Incohérences des antisionistes sur l’immigration

« Immigration Zéro » – « La France aux français » – « Priorité ou préférence nationale » – « Halte à la subversion migratoire islamique » – « Renvoyez les immigrants arabes chez eux ».
Tous ces slogans, et bien d’autres plus offensifs encore, ont longtemps été les fers de lance de la propagande du Front National de Jean-Marie Le Pen. Quand bien même son héritière Marine en a mis certains en sourdine dans un évident souci de dédiabolisation et de respectabilité en vue d’arriver aux portes du pouvoir, ces mots d’ordre continuent d’irriguer le mental de bien des dirigeants, militants et de beaucoup des électeurs de ce parti qui, depuis ses origines, a fait de la xénophobie son fond de commerce.
Compte tenu des tragédies épouvantables que vivent certains migrants qui n’ont pas beaucoup d’autres choix de survie que de chercher un hypothétique salut hors de leur pays, l’absence de compassion et d’humanisme qui transpirent de ces mots d’ordre est affligeant et a suscité durablement une certaine réprobation de ce parti dans la population française, en particulier dans les milieux de gauche.
Même si cette réprobation a fortement tendance à baisser ces dernières années, étant entendu que cette baisse est aussi liée à cette mise en sourdine des mots d’ordre les plus incisifs.
Pourtant, dans l’antisionisme farouche qui anime la plupart des milieux militants de gauche dont le parti LFI se veut être l’avant-garde, on ne se pose jamais la question des rapprochements entre ces positions politiques contemporaines anti-immigrés de l’extrême droite française relevant d’un nationalisme étroit et malsain, et la position des Arabes de Palestine qui se sont opposés dans des termes somme toute assez similaires à l’immigration juive dans la première moitié du XXe siècle.
Car contrairement à ce qui est avancé par une armée d’antisionistes souvent ignorants de l’Histoire, et qui n’exigent rien de moins qu’ « une Palestine libre[1] de la mer au fleuve », les immigrants juifs qui sont arrivés dans ce territoire de Palestine dans les années de 1881 à 1948 n’étaient pas des colons au sens premier du terme, venus sous la protection d’armées conquérantes pour exploiter de manière éhontée des espaces et des populations autochtones pour leur plus grand profit et pour celui de la métropole dont ils étaient issus.
C’était pour la plupart des réfugiés dont une grande partie était toute aussi misérable que leurs homologues de notre époque. Ils fuyaient des régimes qui avaient fait de l’antisémitisme social l’un de leurs instruments de domination auprès de populations captives, prenant ainsi le relais de plusieurs siècles d’un antijudaïsme virulent d’ordre religieux.
Qu’il s’agisse de la Russie tsariste, des régimes incertains d’Europe de l’Est (Roumanie, Pologne, Grèce, Ukraine, Lituanie, etc…), des pays arabo-musulmans ou de l’Allemagne à partir des années 1933, la situation des Juifs dans ces pays n’était somme toute pas très différente de celle des Soudanais, Afghans, Syriens et de bien d’autres malheureux dans leur propre pays qui se pressent aujourd’hui aux portes de l’Europe.
Quant à la précarité des Juifs dans des États supposés plus « civilisés » tels que la France, si on y comptait moins de victimes avant 1939, elle n’était pas forcément très satisfaisante non plus.
L’affaire Dreyfus en France étant un cas d’école de l’hostilité ambiante qui a d’ailleurs contribué à faire émerger cette idéologie sioniste sur le mode :
Si même au pays des Droits de l’Homme on entend crier ‘Mort au Juifs’ dans des manifestations populaires violentes et vociférantes, c’est le signe qu’une approche d’intégration pourrait ne pas se révéler satisfaisante et qu’une nouvelle démarche politique doit être envisagée pour ce peuple juif persécuté depuis des siècles[2].
Les réactions des populations locales en Palestine à cette arrivée de réfugiés juifs ont été quelque part assez similaires à celles que l’on observe aujourd’hui du côté des partisans du Front National en France vis-à-vis des immigrants, et les slogans mentionnés au début de ce texte peuvent aisément se transposer dans les milieux arabes de Palestine de ce début du XXe siècle :
« Immigration Zéro » – « La Palestine aux Arabes » – « Priorité ou préférence arabe et musulmane » – « Halte à la subversion migratoire juive » – « Renvoyez les immigrants juifs chez eux ».

Pourtant, ce rapprochement élémentaire ne viendrait jamais à l’esprit des militants de gauche qui n’ont de cesse de dénoncer les positions de l’extrême droite française d’aujourd’hui vis-à-vis des immigrés tout en approuvant tacitement celles des dirigeants arabes de ces années 1881-1948 vis-à-vis de l’arrivée des Juifs, au nom d’une résistance supposée légitime à un colonialisme imaginaire.
De tous temps, les conquêtes militaires ont permis à des clans, des pays ou des empires de s’approprier des territoires appartenant à d’autres peuples et d’asservir ces derniers par leur supériorité militaire. Elles ont ainsi permis à certaines puissances de conquérir et dominer des régions entières, imposant à leur population une oppression très brutale.
Dans tous ces mouvements, l’esclavage et l’exploitation abusive des autochtones a fait des ravages, et si l’Occident s’y est largement adonné, cela n’a pas été un monopole du continent européen blanc et chrétien, contrairement à ce qu’une certaine idéologie woke voudrait aujourd’hui nous faire croire.
Le colonialisme est l’un des termes qui s’est imposé pour décrire ces phénomènes de domination militaire, politique, économique d’une puissance sur un territoire et sa population, et a concerné tous les pays expansionnistes de la planète.
Dans cette perspective, pour les militants de gauche, l’idée de qualifier l’immigration étrangère actuelle venant d’Afrique ou du Proche-Orient de colonialisme ou de néo-colonialisme leur paraîtrait des plus incongrues, avec raison.
Les malheureux immigrants qui tentent de gagner la France et de s’y installer ne constituent pas l’arrière-garde d’une troupe militaire étrangère dont l’objectif serait de conquérir tout ou partie du territoire français pour l’exploiter et soumettre sa population.
De même, comment peut-on qualifier les Juifs sionistes du début du siècle dernier d’acteurs de la colonisation, eux qui ont gagné la Palestine pour fuir les oppressions antisémites insupportables qu’ils subissaient dans les pays où ils vivaient ? Sont-ils venus entourés de colonnes armées pour tirer parti de la faiblesse des populations locales et piller leurs richesses[3] au profit d’une quelconque métropole ?
Typiquement, avant 1947-48[4], peut-on citer le nom d’un seul village arabe dont les habitants auraient été tués ou expulsés, et qui aurait été rasé par des bandes armées de la communauté juive pour que des supposés colons venus d’ailleurs s’en emparent manu militari ?
En réalité, contrairement aux entreprises de colonisation dans l’Histoire, une partie importante des terrains où ces Juifs se sont installés avant 1947 ont été achetés légalement à leurs propriétaires légitimes.
D’ailleurs, il s’agissait souvent d’espaces désertiques ou marécageux inhabités qui ont été aménagés par des pionniers idéalistes qui avaient une ferveur idéologique en acier et s’honoraient de participer à une épopée visant à construire un refuge pour les Juifs qui étaient opprimés dans quasiment tous les pays où ils vivaient.
C’est dans ce cadre que les communautés socialistes originales nommées kibboutzim se sont créées, et du seul point de vue idéologique, les militants de gauche seraient bien inspirés de tirer les riches enseignements de ces expériences authentiques de socialisme en action, uniques au monde, au lieu de les vouer aux gémonies pour crime et péché de sionisme.
Ne nous méprenons pas : l’arrivée massive de Juifs dans la Palestine mandataire était sans doute de nature à susciter une opposition sociale et politique dans la mesure où elle modifiait de manière significative la fabrique de la société arabe de l’époque vivant sur place.
Avec nos yeux du début du XXIe siècle, on peut argumenter que certains aspects de cette société n’étaient pas forcément très positifs, que ce soit en termes de prospérité, d’inégalités, de démocratie, du statut de la femme ou d’autres critères encore. Mais ce n’était peut-être pas non plus à des « intrus » venant d’autres univers d’imposer ou d’accélérer des changements dont certains pourraient aujourd’hui être jugés comme salutaires.
Beaucoup font valoir des chiffres valorisant les impacts positifs de l’immigration juive couplée à l’arrivée des troupes britanniques : baisse de la mortalité infantile, baisse du chômage, augmentation du niveau de vie, etc…
Mais ces statistiques réelles qui ont de fait beaucoup amélioré le quotidien des habitants arabes de l’époque vivant en Palestine mandataire ne peuvent complètement masquer un certain trouble vis-à-vis de nouveaux venus ayant par ailleurs des prétentions politiques.
Mais dans la mesure où cet argument de modification de la fabrique de la société arabe locale est considéré comme valide, il peut alors être repris pour fustiger les migrants arrivant aujourd’hui sur le sol français.
Le Front National a alors beau jeu de crier à la subversion étrangère qui modifie en profondeur la physionomie de cette société française de culture chrétienne, qui affecte le chômage et les dépenses de santé de manière importante, qui crée des problèmes sociaux significatifs dans ce que l’on appelle aujourd’hui « les banlieues », qui remet en cause certains piliers de notre héritage politique et culturel comme par exemple la laïcité, la primauté du civil sur le religieux ou certains enseignements qui ne correspondraient pas à la vision du monde des nouveaux arrivés.
Pour dire les choses autrement, soutenir que le sionisme est un colonialisme et donner quitus à l’opposition forcenée des Arabes à toute immigration juive procède de la même logique politique que prétendre que l’immigration étrangère en France est une invasion non violente dont l’un des effets, voire même l’un des objectifs, est de conquérir la France ou l’Europe, par des voies pacifiques. Étant entendu qu’à côté des analogies que l’on peut observer dans ces deux situations et que ce texte s’efforce de mettre en évidence, il importe de garder en mémoire les différences très importantes qui les distinguent.
- Les immigrés contemporains arrivent en France dans une société souveraine, cohérente, établie et relativement prospère qui a une histoire et une culture vieille de plusieurs siècles ; les Juifs sont arrivés dans le Sancak ottoman de Jérusalem délaissé depuis des lustres par les autorités, puis dans la Palestine mandataire britannique, espace pauvre, peu peuplé et socialement assez divers : Musulmans, Chrétiens, Juifs [5], Bédouins, Druzes, etc…
- Les autorités politiques de la France du XXIe siècle sont stabilisées dans un État fort et indépendant alors que les autorités politiques de la Palestine de 1881 à 1948 faisaient intervenir une puissance coloniale occupante qui administrait ce territoire : l’empire ottoman jusqu’en 1917, puis l’empire britannique de 1917 à 1948.
- Jusqu’à présent, en dehors de quelques bavures notables, le Front National n’a pas [encore…] appelé officiellement et de manière explicite à la violence contre les immigrés, voire à leur déportation massive, alors que les dirigeants palestiniens de l’époque, tout en exigeant fermement que tous les immigrés juifs retournent d’où ils étaient venus, les condamnant ainsi à un sort funeste, ont également provoqué de véritables pogroms anti-juifs qui ont fait des centaines de victimes en 1921, 1929 et 1936.
Il est important d’observer que l’antisionisme idéologique trouve sa source dans l’arrivée des Juifs pendant ces années 1881-1947. Ce qui s’est passé ultérieurement, notamment la tragédie des réfugiés palestiniens dans une guerre déclenchée par eux-mêmes et leurs dirigeants, est la conséquence d’opérations militaires dont l’État d’Israël a profité sans les avoir initiées.
Certains antisionistes soutiennent le recours aux armes des Palestiniens de l’époque en faisant valoir une opposition qui aurait été légitime face à l’émergence d’une quelconque entité politique juive sur tout ou partie de ce territoire.
Bien évidemment, jamais un tel antisioniste n’imaginerait que cette position puisse être invoquée par les militants du Front National qui pourrait d’ailleurs faire valoir un tel précédent pour prendre les armes contre les immigrés qui, de leur point de vue, déstabilisent la société française.
Sans même évoquer ce qu’un tel antisioniste aurait pu proposer aux centaines de milliers de Juifs allemands, polonais, roumains ou autres qui ont réussi à trouver refuge en Palestine dans les années 1930’s, leur évitant ainsi d’être massacrés à la chaîne de manière industrielle.
Il persistera à maintenir contre vents et marées que ces Juifs ne devaient en aucun cas venir en Palestine, sans se soucier de ce qu’aurait pu être une autre solution pour ces réfugiés compte tenu du contexte international de l’époque.
De même, le Front National ne s’encombre pas d’une réflexion sur une alternative plausible pour ces malheureux immigrants venant d’Afrique ou du Moyen-Orient qui n’ont pas beaucoup d’autres choix que de tenter le tout pour le tout en se jetant dans une expédition on ne peut plus risquée dans une ultime démarche de survie.
Mais alors pourquoi les milieux de gauche s’insurgent-ils tant contre les immigrés juifs de la première moitié du XXe siècle et en revanche sont partisans quelques décennies plus tard d’un accueil très large en Europe pour les immigrés d’aujourd’hui ?
La cohérence rationnelle élémentaire voudrait que soutenir les uns revient à soutenir les autres. Mais ce mode de raisonnement est totalement étranger aux militants de gauche qui n’en sont plus à une incohérence près, à l’instar de leurs prises de position parfois très incertaines vis-à-vis de la défense de la laïcité.
Pour conclure, citons une belle parabole de l’auteur israélien A. B. Yehoshua qui décrivait la dynamique du conflit israélo-palestinien en écrivant en substance, à propos du sort des Juifs en diaspora face à un antisémitisme meurtrier qui sévissait pendant toutes ces années des débuts du sionisme :
C’est comme un immeuble en proie à un incendie; les habitants juifs sautent par les fenêtres pour échapper aux flammes et finissent par tomber sur la population arabe qui se trouve en bas.
Ce raccourci pourrait tout aussi bien convenir pour décrire la tragédie de l’immigration vers l’Europe de réfugiés qui, fuyant l’enfer de leur pays, tomberaient sur des Européens se trouvant au pied du bâtiment, un siècle à peine après l’immigration juive en Palestine.
Mais les antisionistes de gauche se refusent à voir un quelconque fil directeur – que l’évidence suggère – qui associerait ces deux mouvements qui procèdent d’une même démarche de quête d’un ailleurs moins cruel.
Quant aux immigrés, il n’est pas anodin de noter qu’une bonne partie d’entre eux font preuve d’un antisionisme virulent qui interroge : ils réclament aujourd’hui un refuge dans un pays tiers au vu des conditions qui leur sont faites chez eux, mais dénient rétrospectivement à leurs prédécesseurs juifs venus en Palestine il y a quelques décennies ce qu’ils demandent pour eux-mêmes en arrivant en Europe. Ce qui, quelque part, introduit beaucoup de confusion dans leur position, et ne manque pas d’affaiblir leur cause…
[1] Ceux qui la brandissent ne s’interrogent jamais sur ce que cette locution « Palestine libre » signifie vraiment en 2024-25. Libre de quoi au juste ? On frémit à ce que cette expression pourrait signifier si elle devait vraiment être mise en pratique. Il y aurait bien évidemment une disparition de l’État d’Israël, mais que deviendrait alors sa population juive, forte aujourd’hui de 7 millions d’âmes, dont près de 80 % sont nées en Israël même ? Un voile pudique recouvre cette nécessaire interrogation sur le projet porté par ce slogan si largement partagé aujourd’hui.
[2] Théodore Herzl, considéré comme le fondateur du sionisme politique, était présent sur place à Paris au moment de la dégradation du capitaine Dreyfus dans la Cour de l’École Militaire en 1894. Cette scène aurait joué un rôle important dans son engagement sioniste militant.
[3] On se demande bien d’ailleurs quelles richesses il y aurait eu à exploiter dans cette contrée aride d’une superficie inférieure à celle de la Moldavie, et dépourvue de ressources naturelles…
[4] En 1947, au lendemain de la décision de l’ONU qui prévoyait un partage de la Palestine mandataire en deux États, l’un juif et l’autre arabe, les bandes armée palestiniennes déclenchèrent une violente offensive contre les communautés juives, offensive ultérieurement appuyée par cinq armées arabes, bouleversant ainsi la physionomie démographique de cet espace. Des centaines de villages arabes ont été conquis et rasés dans cette guerre alors que leurs habitants fuyaient les combats. Malheureusement ce phénomène était assez courant dans cette période troublée, et on ne rappellera jamais assez qu’au sortir de la seconde guerre mondiale, il y eut 30 millions de personnes déplacées dans les années 1944-1945. Celles-ci ont été forcées de quitter leurs terres et leurs habitations, et ont dû se reconstruire ailleurs.
[5] On oublie trop souvent que dans la ville de Jérusalem, d’un point de vue démographique, les Juifs forment le groupe religieux le plus important depuis la fin du XVIIIe siècle.