Imprévu
L’expertise n’attend pas, non plus, le nombre des années. Le jeune fils de celui que tous connaissaient comme « l’ingénieur », en moins d’une demie journée, monta une réunion par zoom. Ils se retrouvèrent, tous les participants disponibles, miraculeusement, devant leur écran. Un certain nombre d’entre eux porteurs d’un sujet, proposé pour un débat de type habituel. Sauf imprévu. Et l’imprévu est une des marques de fabrique de ce pays fou qu’est Israël.
L’alerte extra-matinale de l’attaque contre l’Iran rebat les cartes, souligna Jonathan. Qui proposa alors de procéder à une présentation en raccourci de ces thèmes putatifs. Chacun risquant de devoir être reconsidéré à partir de l’impact de cette nouvelle guerre.
C’est tout chaud, annonça le prof de math, avec son débit nerveux, haché, pour, c’est le cas de le dire, ouvrir le feu. « Les bonnes âmes ». Il voulait faire part de son dégoût. Cette pseudo-égérie de l’écologie. Qui avait commencé sa carrière médiatique sur le dos d’un vrai problème et qui la relançait sur le dos du drame de Gaza. En compagnie d’une pseudo défenseuse de la cause palestinienne. Porteuse bidon de Keffieh et vraie pourfendeuse du sionisme et des Juifs. Toutes deux s’offrant, sous alibi d’une bonne conscience, un remake de la série comique La croisière s’amuse. Dans le plus parfait mépris de la souffrance des Gazaouis et l’oubli total du martyr des otages israéliens.
La blonde étudiante dit, elle, avec sa tonalité plus structurée, s’inspirer d’un article récent du NYT, le New York Times. Qui lui assénât, brutalement, une réalité tsunami. Après le choc effroyable du 7 octobre, la vision d’enfants massacrés, blessés, enlevés, l’article étalait, apparemment incontournable, un autre choc insupportable. Sur base, non du Hamas mais de l’Unicef, malgré tout moins contestable, le nombre d’enfants touchés par la guerre à Gaza. 1 300 tués, 3 700 blessés depuis la reprise de cette guerre. Après 34 000 blessés, 17 000 tués les 20 précédents mois. Environ un enfant sur 20. Le conflit le plus mortel des conflits récents. Un terrible constat illustrant la défaite de l’homme. La défaillance des générations actuelles face au devoir humain premier. Protéger les enfants. Assurer leur avenir.
Un ‘deepstate’ peut en cacher un autre. Visiblement, le rondouillard expert-comptable bouillait de rétablir ses quatre vérités. Bien commode ce soi-disant ‘deepstate’, dénoncé triomphalement par « la droite » contre « la gauche ». Permettant de faire passer ses turpitudes pour des actes de résistance. Alors que, en y regardant de près, ce courant conservateur, réactionnaire, facilement raciste, trouve sa source d’inspiration, de lobbying, de financement, dans les mouvements suprémacistes américains. Gorgés d’argent et de l’idéologie de la force. Tissant sa toile sur tous les continents. Par exemple, comme par hasard, en Israël. Le ministre, chevalier à la triste figure pourfendeur d’une Justice qu’il est pourtant supposé défendre, trouve son inspiration et ses instructions dans Kohelet-Policy Forum, une riche officine antenne de ces mouvements.
Le « One man show ». Il ne s’agit pas, ici, d’une forme habituelle du monde du spectacle. L’avocate, son regard fixé droit sur l’écran, voulait poser clairement l’objet de son propos. Il s’agit de la déviation majeure que subit la démocratie. Le régime politique des temps modernes est redevenu celui de la royauté. Le processus électoral aboutit, de fait, à déléguer la toute puissance à un homme. Très rarement à une femme, d’ailleurs. Un homme très vite fasciné par l’ouverture de son pouvoir. Qui s’empresse de bétonner son champ d’action en solidifiant autour de lui une cour de fidèles, dépendants et dévoués.
Les parlements, les organismes para-politiques voient de facto leurs fonctions réduites à une portion congrue. Le spectacle « goes on ». Tel celui d’un président des États-Unis, avachi sur son bureau comme Louis XIV sur son trône, accompagnant d’un sourire béat les déclarations de soumission des puissants venus à Canossa. Tel celui d’un responsable de la seule démocratie du Moyen-Orient, la conduisant royalement à rejoindre l’ensemble des théocraties régionales.
Le long libraire, lunettes sur le bout de son nez, voulait, lui, éclairer la notion d’antisémitisme, une des plus vieilles notions au monde dit-il, d’une lumière un peu particulière. Celle du double niveau. Celui de la dure, incontournable réalité. Il faut toujours un souffre-douleur. Depuis les temps ancestraux de Galilée et Samarie, le Juif est le candidat universel et idéal.
De retour dans ses territoires, il retrouve naturellement son rôle éternel. Et puis le niveau, aussi dur et incontournable, de l’éternelle duplicité humaine. Qui fait que tous les petits malins du monde, surfent sur cette vague de l’antisémitisme originelle pour déployer leur propre voile. De haine pure et simple, d’opportunité personnelle, d’idéologie mortifère, de jalousie radicale, de fascination perverse.
Sans prétendre être grand clerc, dit-il encore, Israël et les Juifs du monde peuvent prévoir une persistance, à des hauteurs variables, du premier niveau, et un renouvellement constant des tenants du second niveau. C’est la vie !
Le slogan d’un grand magasin le disait, « À chaque instant, il se passe quelque chose aux Galeries Lafayette », rappela Jonathan. Israël pourrait ajouter « Lafayette, nous voilà ». Ce n’est pas la nouvelle opération iranienne qui contredirait cette adjonction.
Fausses « bonnes âmes », mission enfance abimée, vrai « deepstate », « one man show » politique, antisémitisme dual, tous ces sujets candidats au débat, prendront une nouvelle couleur selon le point d’aboutissement de cet inévitable et ontologique intervention militaire.
Dans les conditions extrêmes, rappela le libraire à son tour, remontant ses lunettes qui risquaient de tomber du bout de son nez, il est toujours bon de retrouver Camus.
L’absurde naît lorsque l’être humain cherche un sens dans un univers indifférent. Mais de cet absurde jaillissent des forces : la révolte, la liberté, la passion.