Hommage aux habitants des villes du sud d’Israël

Des dommages causés par un tir de roquette à Sderot. (Crédit : Municipalité de Sderot)
Des dommages causés par un tir de roquette à Sderot. (Crédit : Municipalité de Sderot)

En ces temps difficiles où la judéophobie étend ses tentacules à travers le monde, rendons un hommage particulier aux habitants des villes du sud d’Israël, de ces villes où le soleil brûle ardemment et où le vent chaud porte l’écho d’un passé lourd, celui d’une vie suspendue, d’une vie qui est déjà une guerre en soi. Et cela depuis plus de deux décennies ! Plus de deux décennies qu’ils défendent avec leurs armes et avec leur cœur chaque pouce de terrain.

Bien avant que le 7 octobre n’inscrive son horreur dans l’Histoire, avant que le massacre à visée génocidaire ne ravage des vies innocentes, ces habitants vivaient déjà une guerre sourde, faite de terreur quotidienne.

Et le matin du 7 octobre 2023, les habitants de Sderot, cette ville de 30 000 habitants, qu’on a surnommée « la capitale mondiale des abris anti-aériens », a été le théâtre des premiers combats. En quelques heures, Sderot est devenue une ville-fantôme, désertée de presque tous ses habitants.

Depuis mars, certains ont eu le courage de revenir, mais le danger n’est pas écarté et ils en sont conscients. D’ailleurs, il y a quelques jours, le 23 août plus précisément, ils ont essuyé des tirs de roquettes, comme c’est souvent, très souvent le cas à Shabbat.

Lettre ouverte aux habitants des villes du sud d’Israël

Avant le 7 octobre

Un quotidien sous un ciel menaçant

Si vous, habitants de Sderot et d’Ashkelon, villes situées respectivement à 2 et 11 kilomètres de Gaza, et vous riverains de la bande de Gaza, veniez à parler de votre vie aux touristes de passage, ils vous répondraient : « On sait ! On sait ! ».

Mais que savent-ils ? Savent-ils seulement que bien avant ce massacre du 7 octobre, vous viviez déjà, depuis plus de 20 ans, avec l’ombre constante d’une guerre qui ne disait pas son nom, celle des alarmes stridentes qui déchirent le silence, des courses effrénées vers un abri, des regards inquiets échangés en famille ? Quels mots pour leur décrire cette vie où chaque jour est une promesse fragile, où l’invisible menace des roquettes pèse plus que jamais, où votre existence est rythmée par le bruit des sirènes, ces alertes qui brisent le silence d’une nuit paisible ou d’une journée ordinaire ? Quels mots pour traduire l’impact du son assourdissant des sirènes, le prélude à une course contre la montre, à la recherche d’un abri. Je me souviens d’une phrase d’une de mes amies qui demeurait à Sderot « Chaque matin, m’avait-elle dit, on se lève avec l’incertitude : est-ce que ce sera aujourd’hui que je vais mourir ? ».

Savent-ils que depuis plus de vingt ans vous êtes la cible privilégiée des Gazaouis parce qu’à portée de leurs tirs ? Que vous êtes aux premières loges pour qu’ils déversent sur vous leur pluie de missiles ? Que vous avez subi de nombreux attentats, sans parler des attentats déjoués ? Que votre vie s’écoule sous une chape de plomb, une chape faite de craintes, de silences pesants et de regards scrutant le ciel ?

Savent-ils que 56% des habitants de ces villes du sud d’Israël sont affectés par les dégâts des roquettes, que ce soit physiquement ou émotionnellement, quand ce n’est pas les deux à la fois ?

Et le monde se tait !

Que fait la communauté internationale ? Et que fait l’ONU, elle si prompte à condamner Israël ? L’une et l’autre brillent par leur silence, elles ont choisi de rester les bras croisés comme à l’époque d’Hitler, comme en 67 quand des millions d’Arabes s’étaient donné rendez-vous à Tel-Aviv en se lançant à l’assaut d’Israël.

L’une et l’autre ont vite fait une croix sur tous les évènements qui touchent les Juifs, elles ont même oublié le massacre du 7 octobre. Mais vous, vous les habitants de ces villes du sud, vous avez plus de souvenirs que si vous aviez mille ans, vous n’avez rien oublié : ni cette roquette qui s’est abattue sur une salle de classe, par bonheur inoccupée, ni cette bombe qui a frappé un centre de soins situé dans un centre commercial d’Ashkelon faisant alors 14 blessés, ni non plus les tirs de roquettes à partir de l’UNRWA, située au cœur d’une école, ni cette pluie de roquettes dont vous ont gratifiés les terroristes palestiniens alors que vous fêtiez Hanouka, le 24 décembre 2008. Et ce ne sont là que quelques-uns des souvenirs douloureux qui ne vous quitteront jamais.

Il arrive qu’il tombe jusqu’à 32 roquettes par jour, 32 fois vous avez été contraints d’abandonner vos occupations pour tenter de gagner un abri ! 32 fois en 24 heures ! Je sais qu’il vous arrivait même, et qu’il vous arrive encore, d’en recevoir plusieurs centaines par jour !

De 2005 à 2007, immédiatement après le retrait unilatéral israélien de la bande de Gaza, ce sont 5700 roquettes qui se sont abattues sur le sud d’Israël, soit onze fois plus qu’en 2003-2004.

L’anxiété, un mal que vous connaissez bien

Pour vous qui vivez à quelques kilomètres de la frontière avec Gaza , chaque instant est empreint d’une tension invisible.

Comment décrire ce mélange d’angoisse et de résignation ? Chaque matin, en sortant de chez vous, en déposant vos enfants à l’école, en faisant vos courses ou en buvant un café avec des amis, une seule pensée vous traverse l’esprit : « Où serai-je si l’alarme retentit ? Combien de secondes aurai-je pour protéger ma vie, celle de mes enfants, celle de ceux que j’aime ? 7 secondes ? 15 secondes si j’ai de la chance ? ». Votre existence est, depuis des décennies, hantée par ces maudites alertes qui déchirent le silence à tout moment de la journée.

Et vos enfants ? Si nous en parlions…

Comment pourriez-vous, comment nous Juifs, pourrions-nous pardonner à ceux qui ont juré de vous éradiquer, vous et tous les Juifs d’Israël ? À cause de ces monstres à votre frontière, vos enfants ne connaissent pas la douce innocence de l’enfance comme ailleurs. Ils grandissent en apprenant la peur avant même de connaître le monde, s’éveillant aux sons qui signalent le danger avant de goûter à l’insouciance de l’enfance.

Pendant la deuxième Intifada, vos enfants ne sortaient jouer dehors que très rarement, vous étiez trop terrifiés par le risque qu’ils ne soient blessés, voire tués par des roquettes. Le ciel, qui devrait être un espace de rêve, se change en un plafond de menaces. Comment pourrait-il en être autrement quand ils voient leur mère, leur père accroché à la radio, l’oreille tendue, caressant l’espoir que, cette fois encore, tout ira bien ? Leur monde est fait de drills, d’exercices d’évacuation, d’instructions sur la manière de courir le plus vite possible vers les abris.

Comme tous les enfants du monde, ils jouent à cache-cache, mais ce n’est pas pour s’amuser comme le font les autres enfants, c’est pour apprendre à se protéger. Leurs rires sont souvent interrompus par le sifflement d’une roquette en approche. Dans leurs dessins, des abris remplacent les maisons, des alarmes prennent la place des oiseaux. Ce que l’on comprend aisément quand on sait que les terroristes du Hamas, animés de désirs sadiques, se plaisent à attacher des engins incendiaires aux ballons de fête des enfants, si bien que tout ballon devient, pour eux, un explosif.

Alors rien d’étonnant si 75% des enfants souffrent de troubles post-traumatiques dont la guérison prend parfois des années. Et les maladies chroniques dont souffrent petits et grands, comme la dépression ou encore l’anxiété généralisée, sont très répandues.

Mais la vie doit continuer…

Elle doit continuer malgré cette épée de Damoclès sur votre tête 24h/24. Vous vous battez pour une normalité qui semble toujours vous échapper.

Il faut que les mariages aient lieu, que les enfants aillent à l’école, que les repas de famille s’organisent. Mais tout cela se fait avec une constante dans votre esprit : l’angoisse qu’à tout moment, tout peut basculer. Une tension permanente, invisible, mais palpable. Comme un arrière-goût amer qui ne disparaît jamais. Dans chacun de vos gestes et même dans chacun de vos sourires, nous voyons la peur enracinée dans votre être et contre laquelle vous luttez inlassablement.

Heureusement, comme vous aimez la vie, que vous vous protégez du mieux que vous pouvez, que vous consentez à vivre dans des abris, plusieurs jours d’affilée s’il le faut pour échapper à la mort, et comme pour vous « celui qui sauve une vie sauve l’humanité », le nombre de victimes, en cas de guerre avec vos voisins, est somme toute peu élevé comparé à celui des victimes gazaouies.

Évidemment, il arrive que vous connaissiez des accalmies. Mais elles sont de si courte durée ! On se souvient de votre ville, Sderot, que vous avez désertée pendant l’opération « Plomb Durci », une bataille grâce à laquelle vous avez connue par la suite une « accalmie », accalmie toute relative, puisque votre ville ne recevait « pas plus d’une ou deux roquettes par semaine », dites-vous. Vous ne savez que trop, hélas, que le mot « trêve » n’a guère de sens pour les terroristes palestiniens, qu’ils n’ont aucun scrupule à la rompre. Vous en avez fait, à plusieurs reprises, la douloureuse expérience.

Car après une accalmie, la situation, loin de s’améliorer, s’est bien souvent aggravée, les roquettes artisanales jugées insuffisamment puissantes ont fait place à des obus au phosphore blanc qui ont une portée de 6 kilomètres et la particularité de s’enflammer aussitôt qu’ils entrent en contact avec l’oxygène de l’air, provoquant des brûlures et allumant des incendies.

Puis vint le 7 octobre

Ce jour où votre pire cauchemar s’est réalisé ! Un commando du Hamas a pris le commissariat, il a procédé à une véritable tuerie de masse, à travers tout le pays, qui restera à jamais dans l’âme collective. Ce jour-là, la peur a changé de visage. Elle n’était plus faite de roquettes lancées à distance, mais de corps jonchant le sol des maisons, mais de vies volées dans une violence inouïe. Ce n’était plus seulement le sifflement des roquettes, mais le hurlement de la douleur, l’invasion brutale de l’intime qui déchiraient le ciel.

Des Israéliens chargent leurs affaires pour évacuer Sderot, le 15 octobre 2023. (Crédit : AP Photo/Ariel Schalit)

Quand les secours arrivèrent, un spectacle cauchemardesque les attendait : des familles entières avaient été massacrées, des enfants arrachés à la vie dans l’horreur, les corps jonchaient le sol, laissant derrière eux des parents dévastés, des communautés brisées.

À la fin de la journée, votre ville, à laquelle vous êtes toutes et tous si attachés, était devenue une ville fantôme, vidée de ses 30 000 habitants, partis se réfugier dans des hôtels.

Aujourd’hui, après cette tragédie inimaginable, vous, habitants du sud d’Israël, portez en vous la mémoire vive d’années de lutte, d’alarme en alarme, de roquette en roquette. Ce qui s’est produit le 7 octobre n’a fait qu’exacerber une douleur déjà bien ancrée en vous. La peur est désormais tatouée dans votre chair, mais aussi dans votre âme. Une peur indélébile, qui ne se dissipe jamais totalement, vous habite, même dans les moments de joie.

Le 3 mars, beaucoup d’entre vous ont choisi de regagner leur maison, si tant est qu’elle ait résisté à la folie de vos voisins.

Quand vous racontez ce que vous avez souffert depuis deux décennies et que nous imaginons aisément les souvenirs douloureux que vous gardez de ces « monstres » assoiffés de sang et qui n’ont qu’un rêve, tuer des Juifs, nous partageons vos souffrances.

Alors comment ne pas vous donner raison quand vous criez que vous ne voulez plus voir ces assassins à quelques centaines de mètres de vos maisons, que vous ne voulez pas d’un État palestinien qui jouxte le vôtre ?

Mais sachez que vos vies, comme les étoiles au-dessus du désert, brillent malgré tout dans la nuit, même si elles sont toujours sur le fil du rasoir. Et aujourd’hui plus que jamais, vous rêvez, et tous les Israéliens et tous les Juifs du monde rêvent avec vous d’un jour où vous pourrez enfin lever les yeux vers le ciel, sans crainte, sans peur, avec la simple certitude que le soleil se lèvera encore demain, pour vous, pour vos enfants, pour tous ceux et celles qui vous sont chers.

Pour conclure, c’est à vous, habitants du sud d’Israël, mais aussi à tous les Israéliens qui connaissent une souffrance inqualifiable depuis le massacre du 7 octobre, que je voudrais dédier le texte de la chanson écrite en 1967 par Serge Gainsbourg, juste à la veille de la Guerre des Six Jours, et qui est restée pendant 35 ans dans les archives de Kol Israël. C’est votre voix, c’est celle de tous les Juifs – à quelques exceptions près – qui parle ici. Et le texte du poète est un message à tous les ennemis d’Israël, afin qu’ils sachent bien que, quoi qu’ils fassent, nous ne partirons pas, nous défendrons contre vents et marée la terre d’Israël car, comme l’avait dit Golda : « Nous, les Juifs, disposons d’une arme secrète dans notre lutte contre les Arabes ; nous n’avons nulle part où aller ».

Le Sable et le soldat

Oui, je défendrai le sable d’Israël,
La terre d’Israël, les enfants d’Israël ;
Quitte à mourir pour le sable d’Israël,
La terre d’Israël, les enfants d’Israël ;
Je défendrai contre tout ennemi,
Le sable et la terre qui m’étaient promis ;
Je défendrai le sable d’Israël,
Les villes d’Israël, le pays d’Israël ;
Quitte à mourir pour le sable d’Israël,
Les villes d’Israël, le pays d’Israël ;
Tous les Goliath venus des pyramides,
Reculeront devant l’étoile de David ;
Je défendrai le sable d’Israël,
La terre d’Israël, les enfants d’Israël ;
Quitte à mourir pour le sable d’Israël,
La terre d’Israël, les enfants d’Israël ;
Quitte à mourir pour le sable d’Israël,
La terre d’Israël, les enfants d’Israël ;

à propos de l'auteur
Dora a été professeur de français pendant 30 ans au Collège français de Montréal. Elle a été chroniqueuse pour Radio-Shalom Montreal, puis pour Europe-Israël.
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