Hitler 2.0
Jonathan se défendit de leur faire un cours. Encore moins un cours d’histoire. Mais ils lui avaient demandé de leur raconter quels étaient ses sujets d’exploration alternatifs ; remplaçant l’aussi désastreux, intouchable, sujet israélien. Il se retrouva ainsi à leur parler de cette confrontation entre Histoire et présent, qui l’occupait actuellement. Citant d’abord le terrible et surprenant quatrain commis par Jean Richepin :
L’histoire est une enfance insensible et cruelle. / L’histoire au cœur de marbre, a des yeux de vitrail. / L’histoire n’aime rien, l’histoire n’aime qu’elle. / C’est une femme épouvantail.
Cette femme épouvantail ne se répète pas, c’est vrai. Mais elle bégaie. C’est-à-dire qu’une nouvelle réalité peut reproduire une copie distordue de la précédente.
Assis en bout de table, devant une douzaine de ses compagnons périodiques, il développa à voix basse. On pourrait s’y croire. En 1930. L’ « atmosphère », pour reprendre un mot à la mode. Lourde, d’interrogation sinon de peur, de changement. Le monde politique. En mutation, poussant aux extrêmes, sans boussole. Les idéologies. Fracassées pour les anciennes, magnétisantes pour les nouvelles. L’ordre du monde. Chamboulé, suspendu. Le droit. Rabougri, caricaturé, menacé.
Le bégaiement : les hommes étant ce qu’ils sont, maintenant comme auparavant, l’allumette est dans les mains de leaders. Je ne dis justement pas « führers ». Et ne suis pas en train de vous dire, « attention, Hitler revient ». Mais ce qu’on peut entendre des Etats-Unis, de Russie, Chine, d’Iran bien entendu, porte des relents « d’histoire épouvantail ».
Compte-tenu des poids respectifs de ces différents acteurs, priorité à l’Amérique. Quelques similitudes troublantes dans cette version 2 du trumpisme. Une approche de phases. D’abord, l’accès renouvelé au pouvoir, avec la préemption affirmée sur un grand parti existant, la conquête électorale confirmée des couches citoyennes inférieure et moyenne.
Ensuite, l’extension du champ de pouvoir. À l’intérieur par l’adhésion des puissances économiques, financières, technologiques, par le renfort d’un gourou star de la modernité. À l’extérieur par la pression sur les alliés, la menace directe sur des cibles territoriales ou économiques. Enfin, phase future fortement dessinée, sorte de « trumpisation » sociale, ethnique, libérale à l’intérieur, militaire, économique, nationaliste à l’extérieur.
Sur le plan des individus, le contraste, là encore, ne fait que renforcer l’inquiétant bégaiement historique. Non plus un peintre en bâtiment à l’hystérie fulminante magnétique, mais un magnat milliardaire à l’efficacité simpliste, amorale, grossière. Une même croyance non pas en la force de la loi, mais en la loi de la force.
Les similitudes renforcent elles aussi la redoutable inquiétude. Un clan de dévoués sans encombrant état d’âme, une approche décomplexée du racisme endossée par le « muskisme » de l’omniprésent gourou. Sans compter ce « MAGA », propulsé en oriflamme, à la manière, autrefois, d’un autre moto envahissant tous les espaces, toutes les manifestations.
Le présent : soudainement, le monde entier réarme. La sophistication en plus. Il ne s’agit plus de bruit de bottes et de chars d’assaut. L’armement mobilise probablement plus de ressources, d’intelligence, d’IA, que toute la recherche médicale mondiale.
En raison d’une probabilité non nulle que soit initiée depuis l’autre côté de l’Atlantique une autre folie guerrière. Au risque déjà sensible qu’une autre série de « Munich » offre la victoire à cette folie de surpuissance. Qui s’affiche déjà, sans complexe ni nuance. Groenland, Canada sont ouvertement visés, l’OTAN directement menacé. Aidée par ailleurs par la faiblesse, le déclin, le désarroi d’une Europe affaiblie, en mal de second souffle et de leadership. Aidée par la renaissance de la nationalite aigüe des pays d’Europe centrale, par le double jeu au Moyen-Orient d’un Israël « sur-droitisé ». Aidée par l’incapacité du capitalisme, victime de ses excès, à se réinventer. Par l’incapacité jumelle de la démocratie occidentale à s’adapter à la modernité et à l’éveil des peuples par l’effacement de toute pensée alternative héritière de la gauche traditionnelle. Aidée par la transparence et la décrédibilisation du machin onusien, de tout organisme international de régulation.
Un présent happé par le futur. Avec ses drames inévitables, réchauffement climatique, destruction de l’environnement. Avec ses ouvertures à tous les possibles, de l’intelligence artificielle, à l’exploration quantique comme à l’aventure spatiale. Avec le glissement tectonique des nations et ensembles continentaux, Afrique, Asie, Inde, modifiant les équilibres de richesses et de puissance.
« Voilà » se hasarda à formuler Jonathan, reprenant le mot-balai de la génération française actuelle. Le modèle initial est cassé. Mais on peut se laisser aller à voir apparaître, assez vite, un « Hitler 2.0 », trumpisé/muskisé. Une « jumellisation » de la force du bâton et de l’AI dévoyée. Surfant toutes voiles dehors sur la masse des adorateurs du simplisme et du renversement des idoles. Conférant à l’impératif MAGA une dimension impérialiste, assurant son hégémonie.
En son temps, Einstein nous a prévenu :
Deux choses sont infinies dans le monde. L’univers et la bêtise humaine.