Guerre en Ukraine, 38 minutes de trop

Trente-huit minutes, c’est la durée de la conversation ultra confidentielle entre quatre officiers supérieurs de l’armée de l’air allemande dans l’éventualité d’une fourniture de missiles allemands à longue portée TAURUS.

Cette écoute révélée par les services russes met au grand jour les failles de la sécurité allemande et par la même celle de l’Otan. Elle survient au plus mauvais moment.

Les faits sont les faits

Quoi qu’en disent les dirigeants, les options se réduisent. On se souvient de l’objectif initial qui était la victoire de l’Ukraine. Dans la configuration actuelle, deux options demeurent réalistes : pour l’Ukraine obtenir la parité avec la Russie. Ce qui correspond à geler le front tel qu’il est, plutôt à l’avantage du Kremlin. L’autre, peu évoquée mais réelle, l’effondrement ukrainien faute d’avoir tous les soutiens indispensables de l’UE et des États-Unis. Ces deux conditions ne sont pas réunies à l’heure actuelle. Washington n’a pas pu débloquer l’aide de 60 milliards évoquée depuis des mois. L’UE a promis des aides très importantes, non encore opérationnelles. De même, elle fait de nombreuses déclarations, évoque divers plans futurs.

L’absence de consensus européen est à son comble après ce qui est devenu le scandale des écoutes. La France parle « d’ambiguïté stratégique » qui sous-entend la force atomique, il est également question de « sursaut stratégique »

Le chancelier allemand est extrêmement critique dela position française et de l’action des militaires britanniques et Français opérant en Ukraine et s’impliquant dans le choix des opérations et des cibles. Les désaccords n’en sont que plus vifs entre membres de l’Otan. On rappelle à cette occasion que des têtes nucléaires américaines sont basées en Allemagne avec les avions Torpédo pour les emporter. Il y avait déjà un fossé entre l’Allemagne et la France. Il n’a fait que grandir un peu plus. On est très réservé sur l’issue du prochain sommet de l’Otan dans 3 semaines.

Il n’y a pas de défense européenne au sens de l’UE et de ses 450 millions d’habitants.  On en parle depuis des décennies.

Selon les infos disponibles la Russie reste la deuxième puissance militaire mondiale avec ses 830.000 hommes d’active ( hors nucléaire) , après les États Unis 1.300.000. La Russie possède le plus important arsenal de têtes nucléaires (classement GFP)

La France affiche un effectif de 205.000, le plus important de l’UE. Avec des fournitures & financement de l’ordre de 4 milliards dont trois en matériels et munitions diverses, elle se placerait au sixième rang de soutien de l’Ukraine. L’armée britannique (dans l’Otan) est de 150.000 hommes. A la suite de la visite, en France, du président ZELENSKY un accord de sécurité de dix ans a été signé, comprenant des clauses secrètes (donc inconnues des citoyens)

S’il doit y avoir un « sursaut stratégique européen », cela ne peut se réaliser que dans une complémentarité étroite États Unis-Europe, au sein de l’Otan. Il semble peu réaliste d’envisager une campagne militaire uniquement européenne menée par 27 pays dont les motivations sont à géométrie variable. Face à leur conflit planétaire avec la Chine, les États Unis auraient-ils eu comme objectif secret de fragiliser la Russie, qu’ils ne s’y seraient pas pris autrement.

La situation actuelle

Sur le plan militaire, tous les indicateurs sont au rouge en Ukraine. L’Union Européenne n’a fourni qu’un tiers des livraisons de munitions prévues au 31 décembre 2023. La diversité des équipements utilisés par l’Ukraine rend ces livraisons d’autant plus complexes. On cite volontiers le problème des obus de 155 mm que tout le monde fabrique mais pas avec les mêmes tolérances. De sorte qu’il faut presque prévoir que le fournisseur des canons livrera aussi les obus. Ce qui est un sérieux problème technique et logistique quand les stocks européens sont épuisés.

La problématique militaire et l’objectif ukrainien

La vidéoconférence entre les quatre officiers dont l’inspecteur général Ingo GERHARTZ portait sur la possibilité d’atteindre des cibles à l’intérieur de la Russie et avant tout, détruire le pont de Kertch – qui est indispensable au ravitaillement civil de la Crimée et des unités russes en territoire ukrainien – Dans leur échange, les officiers allemands concluaient qu’il était « possible de détruire le pont », sans doute après avoir tirés 10 à 20 missiles, tout en indiquant avoir étudié des trajectoires à cet effet et en constatant qu’une large partie est située dans le territoire russe – reconnu par l’occident. Une telle attaque serait un acte de guerre caractérisé, reconnaissaient les officiers. L’armée ukrainienne est bloquée sur une ligne de front face à l’armée russe. Elle a autant besoin d’un grand succès militaire que psychologique pour relever le moral de ses troupes. Kiev en rêve.

Les implications

L’enregistrement révèle que les Ukrainiens pourraient utiliser les missiles de façon indépendante, sous réserve d’une participation physique allemande. Cette utilisation supposerait nécessairement la fourniture de données sensibles à l’Ukraine au moyen d’une ligne sécurisée entre les 2 pays de base à base, le transfert de données serait effectif ou apporter manuellement ces données via la Pologne. Enfin une option existe par défaut, organiser hors d’Ukraine une formation pour les militaires ukrainiens. Ce qui retarderait d’autant l’utilisation des Taurus. L’échange a également évoqué la possibilité de demander le soutient (la participation) des forces spéciales britanniques. On sait que des forces spéciales de l’Otan opèrent en Ukraine.  Il s’agit « bien entendu » uniquement aux fins de formation. En avril 2023 des documents américains auraient divulgué que près d’une centaine de forces spéciales de l’Otan opéraient en Ukraine, dont la moitié Britanniques. 15 de France, 14 des états Unis et quelques autres des pays de l’Otan. La France forme actuellement 10.000 militaire, en France et en  Pologne. Un responsable de la bureaucratie européenne aurait même déclaré récemment que « tout le monde sait » que des forces spéciales occidentales sont en Ukraine, Ce que certains affirment plus ou moins discrètement : Les principaux généraux de l’Otan participent à la planification des opérations ukrainiennes, notamment son commandant en chef Christopher Cavoli.  Récemment, le Times de Londres, citant des sources internes, indiquait que le chef d’état-major britannique l’amiral Toni Radakin aurait eu un role majeur entre Kiev et Washington, dans l’élaboration de la planification de la stratégie de Kiev, pour éviter de faire apparaître Washington trop en pointe. On imagine ce que la propagande russe peut tirer comme avantage politique et diplomatique de la publication de cette écoute. De plus, qui peut assurer qu’il n’y a pas eu d’autres écoutes, bien que le ministre allemand de la défense Pistorius assure que c’était du a l’oubli d’un des participants de se mettre en sécurité.

Les conséquences

En substance, au plan économique la France, dont l’endettement atteint déjà 3.000 milliards d’euros et dont le déficit sera de l’ordre de 4,8% en 2023 et annonce un plan d’économie de dix milliards pour 2024 et de 16 pour 2025. On ne parle pas encore d’économie de guerre. Si tel était le cas, la population française est-elle prête à en accepter tous les sacrifices, matériels et humains ? Une récente enquête indique qu’une large majorité n’en veut pas (85%)

Pour n’obtenir qu’un gel de la situation actuelle, une coopération très étroite entre Union Européenne et Otan est indispensable, ce qui suppose un engagement encore plus important des États Unis pour donner sens au sursaut stratégique évoqué. Ce qui est devenue une hypothèse : Une victoire de l’Ukraine impliquerait manifestement un énorme effort américain dont personne ne peut actuellement préjuger, dans l’attente de l’élection américaine de novembre. La route de Washington à Kiev semble bien plus longue que celle de Kiev à la maison blanche, dans l’attente de son prochain locataire.

Il est peut-être temps d’envisager autre chose que la guerre, car il ne faut pas confondre l’apparence de la réalité avec la réalité elle-même.

à propos de l'auteur
Ancien cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles, depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine.
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