Génocide, vous avez dit génocide

Illustration. Une manifestante tient une pancarte "STOP THE GENOCIDE", à Londres, le 21 octobre 2023. (Crédit : AP/David Cliff)
Illustration. Une manifestante tient une pancarte "STOP THE GENOCIDE", à Londres, le 21 octobre 2023. (Crédit : AP/David Cliff)

« Vers l’Orient compliqué je volais avec des idées simples », écrivait de Gaulle dans ses Mémoires de guerre. On ne peut probablement pas dire que ça ait vraiment réussi, ni à lui, ni à l’Orient.

Et, pour enfoncer le clou, son interlocuteur, ophtalmologue, solide, quarantaine bien assumée, ajouta qu’à son humble avis, une grande majorité de quidams pratiquaient le même mode de vol. Ce qui évoqua spontanément dans l’esprit de Jonathan la célèbre allégorie chiraquienne des « vols en escadrille ».

Il stoppa, la citation au bord des lèvres, et se borna à demander à quoi faisait allusion ce visiteur du soir. Commença alors, sans qu’il l’ait prévu, un large déploiement du propos. Comme l’avoua son ami, en bon français, il en avait trop gros sur la patate.

C’est inévitable. Dans ce temps où le visuel, photos, films, vidéos, est devenu roi, le choc des images annihile le poids des mots. Ce qui aboutit à banaliser l’usage d’un mot. Celui qui définit pourtant le plus inhumain des comportements humains.

Génocide.

« L’élimination physique, intentionnelle, systématique, préméditée d’un groupe humain en raison de ses origines ». 

Pour bien comprendre, du grec genos, race, et du latin cide, tuer. Un projet d’élimination complète. Dans un monde d’images, les mots n’expriment plus des idées. Ils deviennent des balles. Au service d’idéologies. Le mot « Génocide » devient la balle de la haine visant Israël. Et derrière Israël, visant les Juifs.

Banalisation. Elle devient ici injure vis-à-vis des six millions de victimes de la Shoah. Injure vis-à-vis des Arméniens, des Tutsi. Réellement victimes d’un projet d’élimination totale.

Elle est le recours à l’ignominie verbale par les racistes de tout acabit, exploitant les massacres provoqués par toute guerre, camouflant l’antisémitisme derrière l’antisionisme.

Oubliant volontairement que le vrai projet génocidaire, visant Israël, est ouvertement affiché dans la charte des mouvements islamistes, est proclamé urbi et orbi par l’Iran des Mollahs. La banalisation du mot tue la spécificité horrible de la chose.

La guerre.

Mot terrible, et chose terrible. Qui vaut pour la guerre de Gaza. Une guerre qui, toute justifiée qu’elle soit par l’horreur du massacre du 7 octobre 2023, a provoqué son dramatique bilan de morts, de destructions.

Dramatique mais qu’il est malhonnête et honteux d’assimiler à un génocide. Guerre, folie des hommes, que la folie des armes rend toujours plus exterminatrice.

Tout chiffrage est affreux. Mais 30 000 morts dans une population de plus de 2 millions d’habitants, entassés sur un territoire de 41 km de long et 6 à I2 de large, après 16 mois de guerre. Comment assimiler ce drame à un projet d’élimination complète ?

Alors, l’histoire.

Oui, parlons de génocide à l’échelle historique. Les Juifs ont deux raisons d’avoir le droit, eux, de prononcer le mot.

Bien sûr, il y a la monstrueuse tentative hitlérienne d’industrialisation de l’extinction de ce qu’ils appelaient une race. Après laquelle, d’ailleurs, on a entendu « plus jamais ça ». Jusqu’à maintenant.

Quand cette devise semble, soudainement, se fragiliser. Et il y a aussi, l’éternelle, multimillénaire volonté « d’élimination physique, intentionnelle d’un groupe humain en fonction de son origine ». Les tueries, les évictions, les pogromes. Alors, oui, il y a eu « génocide ». Long et court.

Voilà. Israël. Le grand coupable. Coupable, soudainement, d’interrompre ce cycle infernal mais si commode. Le cycle du défoulement sur le maillon jusqu’à lui faible de l’humanité.

Si commode pour exercer sur lui les pulsions de haine, de jalousie, de sauvagerie. Un maillon qui, soudainement, prend sa complète indépendance, prend charge de sa sécurité, prend pied sur sa terre historique. Devient fort, et même l’impudent, devient vainqueur.

Plus il devient « normal ». Heureusement, comme tout État normal, il fait des erreurs, commet des fautes. Ce qui permet reboucler sur le cycle. De brandir le mot brûlot, « génocide ». D’effacer le souvenir du vrai génocide, cette encombrante Shoah.

L’histoire cherche à reprendre ses droits. Ou plutôt, son cours tordu.

Impressionnant soupira Jonathan.

Demandant aussi comment, à partir de ce point apparemment final, un ophtalmologue pouvait voir l’avenir. Sans attendre la réponse à cette fausse question, il proposa à son ami de ramener à une proportion supportable son encombrante « patate ».

Parce que l’histoire a également légué à ce dernier maillon, Israël, l’ardeur de vie. Celle qui a fait traverser les siècles au peuple juif. Face à la barbarie, malgré la rage, Israël privilégie, et privilégiera toujours, le choix de la vie. Et, en passant, de s’attaquer, pour le compte d’un monde qui adore le vilipender, au cancer de mort de l’Islam extrémiste.

Merci Israël. Merci les Juifs et les Arabes israéliens.

à propos de l'auteur
Fort d'un triple héritage, celui d'une famille nombreuse, provinciale, juive, ouverte, d'un professeur de philosophie iconoclaste, universaliste, de la fréquentation constante des grands écrivains, l'auteur a suivi un parcours professionnel de détecteurs d'identités collectives avec son agence Orchestra, puis en conseil indépendant. Partageant maintenant son temps entre Paris et Tel Aviv, il a publié, ''Identitude'', pastiches d'expériences identitaires, ''Schlemil'', théâtralisation de thèmes sociaux, ''Francitude/Europitude'', ''Israélitude'', romantisation d'études d'identité, ''Peillardesque'', répertoire de citations, ''Peillardise'', notes de cours, liés à E. Peillet, son professeur. Observateur parfois amusé, parfois engagé des choses et des gens du temps qui passe, il écrit à travers son personnage porte-parole, Jonathan, des articles, repris dans une série de recueils, ''Jonathanituides'' 1 -2 - 3 - 4.
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