Gaza : lettre ouverte aux journalistes français

Journal "Le Monde", couverture. Illustration. (Capture d'écran lemonde.fr conformément à l'article 27a de la loi sur le droit d'auteur)
Journal "Le Monde", couverture. Illustration. (Capture d'écran lemonde.fr conformément à l'article 27a de la loi sur le droit d'auteur)

Mesdames et Messieurs les journalistes,

Il est un lieu commun qui énonce que les événements rapportés par les médias ne sont pas classés en fonction de leur importance respective les uns par rapport aux autres mais plutôt en fonction du nombre de journalistes qui les couvrent[1]. La guerre à Gaza illustre parfaitement ce tropisme.

Aussi grave qu’ait pu être la razzia sanguinaire du 7 octobre et la violente riposte qui s’en est suivie, on a du mal à comprendre la place démesurée que vous faîtes à cette guerre dans l’actualité internationale par rapport à d’autres conflits tout aussi meurtriers et tout aussi importants. Que l’on songe aux événements tragiques qui se déroulent actuellement en République Démocratique du Congo, au Soudan, au Sahel, en Éthiopie, en Syrie, en Ukraine, en Irak ou ailleurs encore, les tragédies de chacun de ces pays sont toutes aussi dramatiques, voire bien plus, que ce qui se passe dans la bande de Gaza.

L’écho que vous donnez à chacune de ces autres tragédies est infinitésimal par rapport à ce que l’on observe pour cet affrontement précis au Moyen-Orient, déclenché il y a une dizaine de mois par le carnage sans précédent commis par le Hamas.

Comment pouvez-vous rendre compte d’un tel déséquilibre ? En envoyant une armée de journalistes pour couvrir ce conflit et, ce faisant, en dégarnissant mécaniquement d’autres zones d’où les reporters sont quasiment absents, vous participez activement à une surinformation pléthorique qui finit par avoir des effets profonds sur l’opinion, voire sur vous même.

Les images quotidiennes du malheur des populations palestiniennes qui subissent une offensive d’une rare violence sont effectivement insoutenables : enfants qui enterrent leurs parents ou parents qui enterrent leurs enfants, des centaines de milliers de vies brutalement bouleversées début octobre 2023, une malnutrition chronique ainsi que des problèmes sanitaires extrêmement aigus, un territoire minuscule[2] surpeuplé et urbanisé à l’extrême qui n’est plus qu’un immense champ de ruines, etc…

Les rapports des acteurs humanitaires présents sur place sont accablants. De fait, qui peut rester indifférent lorsque l’on voit tous les jours les reportages poignants de ces tragédies et ne pas instinctivement éprouver un sentiment de haine profonde vis à vis de ceux qui en sont tenus comptables ?

Mais à ne jouer que sur ce registre émotionnel de votre lectorat, vous ne remplissez pas du tout l’une des caractéristiques essentielles de votre mission qui est d’éclairer le public sur l’actualité en lui donnant un minimum d’intelligibilité. Au-delà des scènes de désolation que vous étalez en permanence, et qui ne peuvent qu’apparaître intolérables à tous, vous ne les replacez que rarement dans un contexte plus global qui permettrait à vos lecteurs de mieux apprécier ce qui se joue dans cette partie du monde.

Vous ne faîtes pas bien votre travail

En minimisant ou en ignorant la dynamique des causes et des effets.

Le représentant de l’Organisation des Nations Unies a déclaré en substance peu après cette journée noire du 7 octobre 2023 : « l’attaque du Hamas ne s’est pas produite dans un vide », laissant entendre que celle-ci pourrait éventuellement être appréciée, expliquée, comprise voire même justifiée par l’imbroglio israélo-palestinien qui dure depuis si longtemps.

Cette déclaration d’Antonio Guterres n’est peut-être pas fausse, mais elle pourrait être accompagnée par une multitudes d’autres déclarations du même type, toutes aussi dérisoires, qui reviendraient sur différentes étapes de l’évolution de ce conflit : « L’impasse du processus de paix ne s’est pas produite dans un vide », « L’occupation des territoires de Cisjordanie ne s’est pas produite dans un vide », « La disparition de l’État arabe prévu par le partage de l’ONU en 1947 ne s’est pas produite dans un vide » etc… Et bien sûr : « La guerre actuelle à Gaza ne se produit pas dans un vide ».

Si on peut, et on doit, questionner la politique d’Israël, tant dans la nature et l’intensité de sa riposte militaire que dans son inadmissible politique de colonisation en Cisjordanie, ne pas tenir compte des relations causales entre les événements, en particulier du refus constant des dirigeants palestiniens d’accepter tout compromis plausible avec un ennemi diabolisé, ne peut qu’aboutir à des réactions purement émotionnelles, à notre époque où la justesse ultime d’une cause n’est plus mesurée qu’au nombre des victimes qu’elle peut faire valoir. De ce point de vue, Israël sera toujours perdant car plus puissant que son voisin ; d’autant que beaucoup d’islamistes palestiniens célèbrent la mort en martyr alors que les Israéliens auraient plutôt tendance célébrer la vie.

De même pour les images tragiques que vous diffusez : vous vous appesantissez sur la cruauté d’un bombardement comme toute personne éprise d’un sens minimum de compassion humaine le ferait, mais vous ignorez commodément que très souvent, peut-être même dans la majorité des cas, le lieu bombardé pouvait être considéré comme un objectif militaire, et donc légitime, dans toutes les armées du monde et selon tous les critères internationaux admis. Là encore, si se désoler sur les effets dramatiques est on ne peut plus normal, ignorer ou minorer les causes de ces effets relève de manquements graves à la déontologie de votre profession.

Vous ne faîtes pas bien votre travail

En isolant ce conflit de manière unique, avec une absence patente d’appréciation par rapport à ce qui se passe ailleurs sur la planète.

Le 13 novembre 2015 eurent lieu les attentats à Paris de triste mémoire. Ceux-ci ont fait 113 morts et 413 blessés, plongeant des centaines de familles françaises dans le deuil. Pour tragique et dramatique que fut cette attaque terroriste sans précédent sur le sol français, elle reste par le nombre de victimes dix fois inférieure à ce qu’a été le carnage du 7 octobre 2023, alors même que la population israélienne est 7 fois inférieure à la population française[3]. Ces attentats ont été précédés et suivis de multiples autres attaques à la même période, de moindre ampleur, que ce soit en France, en Belgique, en Tunisie et ailleurs en Europe.

La riposte occidentale a été cinglante et a consisté en la formation d’un coalition internationale visant à détruire l’État Islamique, organisation barbare à l’origine de cette terreur : la campagne militaire qui s’en est suivie a été relativement « efficace » en ce sens qu’elle a profondément atteint les capacités de nuisance de cette mouvance terroriste. Ce faisant, si de temps en temps vous rapportiez les immenses dégâts humains chez les civils qui vivaient dans les zones de combats, le nombre d’articles et de reportages que vous y avez consacrés est toujours resté très en deçà de l’énorme retentissement que vous donnez à ce qui se déroule actuellement à Gaza.

Les terroristes de Province du Sinaï, groupe affilié de l’Etat islamique, le 6 février 2016. (Crédit : Telegram.me/HaiAlaElJehad5 via MEMRI)

De plus, dans une partie importante des reportages de l’époque, sans l’exprimer explicitement, ces dommages collatéraux étaient quelque part considérés comme « nécessaires » au vu de l’objectif visé qui était d’éradiquer cette nébuleuse malfaisante qu’était Daesh, à l’origine de ces attentats si meurtriers. Et les rares fois où ces dommages étaient évoqués, le coût humain de cette campagne était alors mis sur le compte des terroristes qui avaient fait de ces territoires les sanctuaires d’où ils opéraient.

Le fait que la couverture que vous avez donnée de ces événements était bien moins importante que celle que vous déployez à Gaza est d’autant plus surprenant que dans le cas de Daesh, l’armée française était un partenaire actif sur le terrain et que par conséquent, on aurait pu s’attendre à plus de considération et de compassion pour les ravages causés par nos propres troupes. Mais il est vrai qu’il est bien plus facile et confortable de s’apitoyer sur les malheurs des autres lorsque l’on n’en est pas comptable car pas concerné !

Notons que les mobilisations de l’opinion publique en soutien aux victimes civiles de ces campagnes en Syrie et en Irak n’avaient pas de prises, entre autre car vous n’avez diffusé que peu d’images des tragédies qui s’y déroulaient. Toute différente est la situation avec le conflit à Gaza où les reportages incessants sur ce qui s’y passent ne peuvent qu’attiser la colère d’un public peu informé de la complexité de la situation sur place, colère qui se déchaîne dans des manifestations appelant à la destruction du « monstre » capable de telles horreurs.

Vous ne faîtes pas bien votre travail

En omettant constamment la dimension stratégique des événements au-delà de leur caractère émotionnel.

Si on se place juste quelques minutes à la place des Israéliens, comment devaient-ils réagir à cet abominable massacre du 7 octobre, et ce indépendamment du détestable gouvernement conjoncturel d’extrême droite conduit par le non moins détestable Benjamin Netanyahu, aux manettes depuis décembre 2022 ?

Si on exclut l’option de tendre l’autre joue que certains voudraient voir appliquer par Israël, alors qu’elle ne leur viendrait même pas à l’esprit pour eux-mêmes, comment pouvaient-ils répondre à ce méga attentat terroriste autrement que par une campagne militaire contre le Hamas afin qu’il ne puisse pas réitérer une telle attaque ? Étant entendu que non content d’avoir commis cette horreur, le Hamas l’a revendiquée très fièrement et a promis de renouveler l’exercice à la première occasion.

Vous ne pouvez pas être sans savoir que l’objectif clairement affiché de ce mouvement n’est pas la paix avec son voisin, ennemi honni, dans le cadre d’une possible solution de compromis, mais l’éradication totale de l’entité sioniste et la disparition des « envahisseurs » juifs qui la composent, conformément à sa charte dont vous faites d’ailleurs rarement mention.

Avec un avant goût on ne peut plus macabre de ce que cette disparition pourrait signifier, dans le cas où cette population juive, considérée comme impure et impie, ne quittait pas les lieux d’une manière ou d’une autre dans le cas où, à Dieu ne plaise, cette organisation palestinienne devait prévaloir.

Face à de telles menaces ponctuées de vrais meurtres de masse, l’action militaire restait malheureusement la seule réponse possible face à un mouvement qui s’est engagé dans les traces sanguinaires de Daesh.

Dès lors que l’on admet qu’Israël était en droit de réagir face à un ennemi qui a tout fait pour s’attirer les foudres de son puissant voisin, la nature de cette riposte militaire devient quelque part une affaire de spécialistes de l’ingénierie militaire qui doivent déterminer comment défaire l’ennemi avec un coût minimum pour lui-même.

Typiquement, compte tenu de la situation sur le terrain, faut-il ou ne faut-il pas attaquer tel ou tel objectif étant donné d’une part sa pertinence militaire et d’autre part les potentiels dommages collatéraux en termes de victimes civiles dans l’autre camp ?

Tout ce que l’on peut dire sur ce sujet précis est que beaucoup d’experts de ce domaine conviennent que les actions opérationnelles de Tsahal sur le terrain se situent dans ce qui est plus ou moins « admis », « toléré » ou « accepté » dans les milieux militaires, du moins dans les démocraties libérales.

À tout prendre, sur ce point très sensible des dommages collatéraux, l’armée israélienne s’en sortirait « plutôt moins mal » que ses homologues américains, français ou anglais dans les récentes campagnes militaires d’Afghanistan, d’Irak ou de Syrie ; et ce indépendamment des images de désolation que vous rapportez en permanence.

Typiquement l’un des critères de mesure pourrait être le ratio du nombre de victimes civiles par rapport au nombre de victimes combattantes : de l’avis général, celui-ci tendrait à être moins élevé à Gaza ou au Sud Liban que sur d’autres terrains de guerre auxquels les armées occidentales ont récemment participé[4]. Rappelons les évaluations de la seule conquête de Mossoul en 2016 par la coalition occidentale qui font État de plusieurs dizaines de milliers de victimes…

Vous ne faîtes pas bien votre travail

En ignorant les autres dimensions de ce conflit au-delà du seul contentieux avec les Palestiniens.

De nombreux analystes et commentateurs prônent ce qui semble être la seule solution raisonnable et qui est symbolisée par l’expression éculée : « Deux États pour deux peuples ». Ce que l’on omet de dire c’est que cette option, logique et rationnelle et d’ailleurs acceptée par Israël à plusieurs reprises (1937, 1947, 2000, 2008), quoique parfois du bout des lèvres, n’est souvent qu’un vœux pieux exclusivement martelé dans les démocraties occidentales qui ignore totalement la haine et la hargne d’une multitude d’acteurs locaux qui se considèrent comme parties prenantes de ce conflit.

Prenons les Houthis du Yémen, pays ravagé par une guerre civile depuis 2015, qui trouvent encore la force d’envoyer des missiles à longue portée vers Israël et de perturber le trafic maritime international de manière importante.

Des Houthis brandissant leurs mitrailleuses lors d’un rassemblement anti-américain et anti-Israël, à Sanaa, au Yémen, le 1er novembre 2024. (Crédit : Osamah Abdulrahman/AP)

Ou bien encore le Hezbollah qui vit dans un État en faillite et qui, loin de mobiliser son énergie pour reconstruire un Liban meurtri par des années d’incurie, ne pense qu’à aller bombarder le nord d’Israël, déclenchant ainsi des ripostes sur son territoire alors que ce pays est déjà à l’agonie.

Et il y aurait également les combattants en Syrie et en Irak, deux pays exsangues après des années de guerres civiles qui ne rêvent que d’en découdre avec ce qui reste, pour le moment, le seul État démocratique de la région. Il est peu de dire que cette perspective de deux États pour deux peuples, si prisée dans les démocraties libérales, les fasse particulièrement peu rêver…

Les attaques de ces mouvements périphériques, suivies des ripostes de l’armée israélienne, font tellement partie de l’actualité rapportée quotidiennement que vous-même, et vos lecteurs dans votre sillage, finissent par oublier de s’interroger sur les ressorts d’une telle hostilité militante qui motivent les choix de ces milices puissamment armées par l’Iran. D’ailleurs pour ce dernier acteur, probablement le plus important, comment comprendre cet État de guerre permanent entre Israël et la République Islamique, pays 70 fois plus grand et 9 fois plus peuplé que son ennemi auto-déclaré ?

Rien, zéro : juste une idéologie mortifère de Khomeini et de ses héritiers qui considère que toute présence souveraine non musulmane au Moyen-Orient doit être âprement combattue. Or, si vous vous étendez très largement sur les conséquences du conflit entre l’Iran et ses obligés d’un côté, et Israël de l’autre, vous n’abordez que rarement cet aspect des causes d’une telle animosité[5], renvoyant le plus souvent dos à dos ces pays en guerre, incapables de s’entendre, alors qu’il y a clairement un agresseur et un agressé. Dans le cas de la guerre en Ukraine, vous faites en général preuve de bien plus de discernement !

Et pourtant, c’est l’axe majeur qui permet de donner du sens au reste. Quand bien même cette solution de deux États pour deux peuples devait aboutir en Israël – Palestine, imagine-t-on sérieusement les Houthis, le Hezbollah, la Syrie, l’Irak et bien sûr l’Iran baisser les armes et consentir à l’existence de l’État d’Israël alors que toutes leur déclarations laissent entendre le contraire, et ce depuis des décennies ?

Illustration : Une jeune femme traverse une route principale devant un panneau d’affichage anti-Israël et anti-américain représentant un soldat israélien recevant des fournitures militaires des États-Unis avec un titre en farsi indiquant « le chien enragé américain » sur la place Valiasr du centre de Téhéran, le 6 novembre 2024. (Crédit : ATTA KENARE / AFP)

Dans ce contexte, est-ce qu’il n’y aurait pas un risque énorme pour Israël à laisser un État palestinien souverain émerger à une poignée de kilomètres seulement du cœur économique du pays, alors que celui-ci pourrait très facilement servir de relai pour ces autres acteurs animés d’intentions peu pacifiques ?

Si la réponse à la question est complexe, on ne la voit presque jamais posée dans ces termes dans vos articles et tribunes où vous vous apitoyez exclusivement sur les malheurs très réels de populations civiles palestiniennes, sachant que d’aucuns pourraient faire observer que celles-ci restent tout de même comptables pour partie des actions sanguinaires de leurs dirigeants, qu’elles ont parfois élus.

En final, en vous désolant devant l’explosion des actes terroristes à caractère antisémites en France et en Europe depuis octobre 2023, vous vous comportez comme des pompiers pyromanes

À la suite de l’appel à la croisade du pape Urbain II en 1095 à Clermont, des dizaines de milliers de personnes en Europe se sont mobilisées pour partir combattre les « infidèles » en Terre Sainte, avec un clergé populaire qui à l’époque rappelait à tous leurs ouailles crédules les immenses souffrances endurées par le Christ, souffrances attribuées aux Juifs accusés d’avoir dénoncé le Saint Homme aux autorités romaines.

Dopés par des milliers de sermons incendiaires, les masses de chrétiens qui se sont se sont ébranlées vers le Moyen-Orient s’en sont donc prises aux communautés juives qui se trouvaient sur leur chemin, perpétrant des massacres épouvantables, en particulier dans la communauté de Worms (Allemagne) où plusieurs centaines d’individus périrent dans un méga pogrom. À l’époque, les autorités catholiques officielles condamnèrent ces agissements. Mais comment ne pas éprouver un certain malaise vis-à-vis de ces condamnations, qui venaient bien tard et de la part d’institutions ayant constamment enflammé les esprits vis-à-vis d’une communauté présentée comme déicide ?

Il en va de même d’une partie de la presse aujourd’hui. Ce ne sont plus les souffrances du Christ qui sont dénoncées mais les souffrances des Palestiniens face au monstre israélien, accusé d’ailleurs régulièrement d’intention génocidaire voire de génocide actif.

Tous les gens sérieux se rendent bien compte que malgré la nouvelle catastrophe qui touche les populations civiles palestiniennes, il n’y a ni génocide ni intention génocidaire qui pourrait se rapprocher de près ou de loin à ce qui s’est passé dans les années 1894-1924 avec les chrétiens d’Orient[6], dans les années 1941-1945 avec les communautés juives d’Europe ou en 1994 au Rwanda. Mais les lieux mêmes où se déroule cette tragédie de Gaza se prêtent particulièrement bien à une scénographie où se rejouerait tous les jours la passion du Christ, le Palestinien prenant la place de Jésus en représentant de la souffrance humaine face au Juif oppresseur, à l’image de ce qui s’est passé il y a tout juste deux millénaires.

Mais cette fois-ci, ce n’est pas une caste d’ecclésiastiques qui par leurs prêches véhéments incitent à la haine du peuple déicide mais plutôt une caste de journalistes qui jouent un rôle analogue en étalant les images d’une guerre très cruelle sans replacer ces images dans un contexte géopolitique qui leur donnerait un minimum de sens et d’épaisseur.

Après avoir soulevé une telle indignation et provoqué chez les esprits faibles un sentiment d’horreur absolue, comment s’étonner que certains en viennent à s’attaquer à des institutions juives jugées coupables ou complices des tragédies que vous étalez en permanence dans vos medias ? Et lorsque des vrais attentats ont lieu, vous les condamnez avec cette grande fermeté qui fait penser à ces condamnations des pogroms du Moyen-Âge par l’Église Catholique, agissant en cela comme des pompiers pyromanes.

De même que beaucoup d’étudiants, voire certains professeurs, des Universités américaines déshonorent leur institution dans des manifestations incessantes contre cet État d’Israël considéré comme comptable quasi exclusif de tous les malheurs de ce monde, vous même déshonorez votre profession en diabolisant Israël avec cet océan de reportages que vous diffusez sans les contextualiser.

Il ne s’agit bien évidemment pas de taire ou d’ignorer ce qui se passe à Gaza, mais de replacer ces événements tragiques dans leurs dynamiques politiques et historiques. Vous pourriez pour cela vous inspirer des chaînes d’information israéliennes (Arutz 11, 12 ou 13) qui ne tarissent pas de critiques extrêmement virulentes vis à vis de la politique délétère de leur gouvernement, tout en gardant à l’esprit le volet stratégique de la situation, à savoir la volonté d’une masse de protagonistes locaux de les faire disparaître, eux et leur pays, de la surface de la terre.

Vous même semblez exiger de l’État d’Israël qu’il se conforme à des normes morales, militaires et politiques auxquelles aucun autre pays n’est tenu. Avec en filigrane une exigence qui serait : « L’État d’Israël, créé en 1948 pour servir de refuge aux Juifs, se doit d’être parfait ou ne doit pas être ».

Avec une telle feuille de route, c’est évidemment perdu d’avance ! Mais avec cet État d’esprit qui transpire de beaucoup de vos reportages, vous finissez par faire, inconsciemment ou non, le jeu d’acteurs intégristes qui vous combattent et/ou vous combattront. Dans le dernier épisode de ce conflit, vous passez ainsi du rôle d’observateurs complaisants et d’idiots utiles à des causes exécrables, à celui d’acteurs inconscients et irresponsables.

[1] On notera que, selon le géo politologue Frédéric Encel, pendant la seconde intifada de 2001-2004, il y avait plus de journalistes en Israël et dans les territoires occupés (moins de 30 000 km²) que dans l’ensemble du continent africain (plus de 30 000 000 km²)…

[2] À peine plus de trois fois la superficie de Paris Intra-muros.

[3] L’auteur de ces lignes mesure ce qu’il peut y avoir de pénible en réduisant toutes ces tragédies à de telles statistiques qui ne reflètent en rien la douleur de chacune d’elle. Mais pour tenter de dégager de l’intelligibilité aux événements, il faut parfois en passer par ces mesures comparatives, aussi cruelles qu’elles puissent apparaître pour les familles endeuillées, afin de replacer l’actualité dans un contexte plus général qui lui donne du sens.

[4] Même observation qu’une note précédente : cet argument fait l’impasse totale sur ce que la perte d’un être cher peut avoir de dramatique pour les proches. Mais pour le journaliste ou le commentateur, s’il convient de ne jamais l’ignorer, s’en tenir uniquement à ce caractère émotionnel obscurcirait l’actualité plutôt que de l’éclairer.

[5] Sachant que celle-ci est relativement récente à l’échelle de l’Histoire : avant 1979, les relations entre l’Iran et Israël étaient relativement bonnes et se traduisaient par une coopération étroite dans plusieurs domaines, notamment dans le domaine de l’eau, ressource rare dans ces contrées arides.

[6] On lira avec intérêt l’excellent ouvrage de Benny Morris et de Dror Zeevi sur la disparition à la fin de l’empire Ottoman d’une partie des chrétiens d’Orient, dont les arméniens : « The Thirty Year Genocide ».

à propos de l'auteur
Franco-Israélien né à Paris (France) en 1954, David Musnik vit en France avec un passage de plusieurs années en Israël dans les années 1970’s. Diplômé du Technion en 1977 dans la faculté "Electrical Engineering", puis mobilisé dans Tsahal pendant presque 3 années. Informaticien retraité spécialisé dans l’ingénierie documentaire.
Comments