Gaza et l’opinion publique française

Les Palestiniens fuyant le nord de la bande de Gaza après un avertissement de l'armée israélienne demandant une évacuation sans précédent du nord de l'enclave côtière, le 13 octobre 2023. (Crédit : Hatem Moussa/AP Photo)
Les Palestiniens fuyant le nord de la bande de Gaza après un avertissement de l'armée israélienne demandant une évacuation sans précédent du nord de l'enclave côtière, le 13 octobre 2023. (Crédit : Hatem Moussa/AP Photo)

Il est difficile de s’opposer à un courant dominant, surtout lorsque celui-ci s’impose comme une évidence. Aujourd’hui, le conflit à Gaza est au cœur d’un débat passionné, où les émotions, l’indignation et l’idéologie prennent souvent le pas sur la complexité des faits. Gaza est bombardée, c’est un fait. Des femmes, des enfants, des vieillards y trouvent la mort, victimes d’une guerre terrible. Mais cette guerre n’est pas unilatérale, elle n’est pas le fruit d’un caprice ou d’une cruauté gratuite. Elle s’inscrit dans une réalité géopolitique et sécuritaire bien plus profonde.

Nombreux sont ceux qui accusent Israël et son Premier ministre de barbarie, allant jusqu’à comparer Gaza à Auschwitz ou au ghetto de Varsovie. Mais cette analogie, bien que puissante sur le plan émotionnel, est historiquement erronée et moralement déplacée.

Les ruines de Gaza ressemblent peut-être aux villes allemandes détruites à la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais qui se souvient que, pour vaincre le nazisme, les Alliés ont dû bombarder massivement ces villes ? Des centaines de milliers de civils ont péri. De même, lorsque les forces occidentales, dont la France, ont voulu éradiquer l’État islamique à Raqqa ou à Mossoul, des milliers de civils sont morts sous les bombes. Où était alors l’indignation globale ?

Il y a dans la couverture médiatique et dans le discours dominant une profonde injustice, un déséquilibre dans la manière dont les conflits sont perçus et jugés. Le Hamas, organisation islamiste radicale, est à l’origine de cette guerre. Il a déclenché les hostilités avec une attaque d’une violence inouïe, affichant clairement son objectif d’anéantir toute présence juive au Moyen-Orient. Pourtant, cette réalité semble secondaire dans la narration ambiante.

Ce qui est encore plus troublant, c’est que l’opinion mondiale ne semble pas reconnaître que cette guerre est menée dans un cadre asymétrique, où l’armée israélienne, malgré sa supériorité militaire, tente de limiter les pertes civiles.

Aucune autre armée moderne n’a pris autant de précautions dans des combats de cette nature, face à un ennemi qui se fond dans la population, utilise les civils comme boucliers humains et se cache dans des hôpitaux, des écoles ou des immeubles résidentiels.

Mais tout cela semble ne servir à rien. Face à la déferlante d’un antisionisme souvent confondu avec un humanisme mal informé, les faits ne pèsent pas lourd. Une partie de l’opinion mondiale refuse d’entendre des arguments rationnels et préfère croire une version simplifiée et émotionnellement chargée, souvent dictée par la propagande du Hamas – une organisation dont les valeurs sont aux antipodes de celles des sociétés démocratiques qu’elle cherche pourtant à convaincre.

Alors, que se passe-t-il ? Pourquoi cette surdité sélective ? Pourquoi cette facilité à diaboliser une démocratie en guerre tout en excusant, voire en glorifiant, un mouvement qui nie les droits fondamentaux ? La réponse est peut-être à chercher dans notre époque elle-même, où l’image prime sur la vérité, où l’émotion surpasse l’analyse, et où le confort intellectuel l’emporte sur la rigueur morale.

Ce phénomène est largement aggravé par l’attitude de certaines élites politiques et médiatiques, dont le rôle devrait pourtant être d’éclairer le débat public avec lucidité et responsabilité. Or, trop souvent, ces élites contribuent, consciemment ou non, à un affaiblissement progressif de l’Occident. Par aveuglement idéologique, par déni des réalités géopolitiques, ou parfois même par cynisme et intérêts partisans, elles participent à une forme de suicide civilisationnel. En refusant de nommer les menaces, en simplifiant à l’extrême des conflits complexes, et en encourageant des narrations victimaires univoques, elles sapent les fondements mêmes des valeurs qu’elles prétendent défendre : la démocratie, la liberté, la vérité.

Il faut aussi oser le dire : une part de cette hostilité irrationnelle à l’égard d’Israël puise ses racines dans un antisémitisme toujours vivant, souvent dissimulé, mais profondément ancré dans l’inconscient collectif européen et occidental. Depuis des siècles, le Juif a souvent été perçu comme l’autre, l’étranger indésirable, le témoin gênant d’un passé religieux refoulé ou d’un refus d’assimilation. Aujourd’hui encore, cette figure dérange, non plus parce qu’elle serait faible et persécutée, mais parce qu’elle affirme sa force, son existence, sa résilience. Et cela, dans bien des esprits, reste inacceptable.

Le Juif qui réussit, qui se défend, qui se projette dans l’histoire au lieu de la subir, provoque une gêne sourde, parfois même une haine viscérale. Ce rejet ancien et persistant colore bien des regards et explique, en partie, pourquoi la légitimité d’Israël est si souvent remise en cause, avec une violence que ne subit aucun autre État démocratique.

Mais à force de se taire, de détourner les yeux ou de mentir par confort, ces élites préparent non pas la paix, mais le chaos. Et lorsque les fondations de nos sociétés finiront par s’effondrer sous le poids de ces renoncements successifs, il sera trop tard pour feindre la surprise. Car ce ne sont pas les ennemis déclarés de l’Occident qui le détruiront – ce sont ceux qui, de l’intérieur, par lâcheté ou par corruption, auront cessé de le défendre.

Article paru sur Tribune Juive le 10/01/2024. Avec l’aimable autorisation de l’auteur.

à propos de l'auteur
Créateur d’une méthode transdisciplinaire de Thérapie Sociale, Charles Rojzman est intervenu depuis les années 1990 dans les banlieues françaises, où il a animé des groupes de confrontation sur les questions du vivre ensemble et formé des acteurs de terrain et des personnels des services publics à l’exercice de leur profession dans un contexte de crise. Aujourd'hui, il forme des professionnels de Thérapie Sociale qui interviennent dans de multiples contextes sociaux et politiques et mène en France et dans plusieurs pays des actions sur les conflits et les cohabitations interethniques.
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