Game changer à l’extrême droite

Françoise Giroud, en son temps, nous avait prévenu : « Ainsi commence le fascisme. Il ne dit jamais son nom, il rampe, il flotte, quand il montre le bout de son nez, on dit : C’est lui ? Vous croyez ? Il ne faut rien exagérer ! Et puis un jour on le prend dans la gueule et il est trop tard pour l’expulser. »

Beaucoup se posent ces questions à l’heure où Itamar Ben Gvir, nouveau leader charismatique de l’extrême droite ethnocentrique, raciste et messianique monte, monte, monte dans les sondages. A tel point qu’il sait maintenant pouvoir faire cavalier seul et présenter sa propre liste sous un nom qui sera sans doute plus « consensuel » que celui de son parti actuel « Puissance juive » (Outzma hayeoudit).

Il dit vouloir rassembler derrière sa kippa blanche des religieux et des non religieux, des Ashkénazes et des Sépharades, des habitants de la périphérie et de centre-ville, en clair des candidats issus du premier comme du second Israël. Il entend ratisser large et y arrivera sans doute. Depuis la seconde Intifada, c’est-à-dire depuis une génération, et quinze mois après les émeutes dans les villes mixtes, l’ethnocentrisme, le racisme et le messianisme ont progressé, si l’on ose dire.  « L’Arabe, voilà l’ennemi » est une idée largement partagée, à l’extrême droite, bien sûr, mais à droite aussi, et même au-delà.

Itamar Ben Gvir, fils d’une famille irako-kurde de la gentiment bourgeoise ville de Mevasseret Tsion (à l’ouest de Jérusalem), a adopté le sionisme religieux dès l’adolescence. Leader des jeunes kahanistes, il a été exempté de la plupart de ses obligations militaires en raison de son engagement. Devenu l’avocat préféré des extrémistes dans les Territoires, il a beaucoup plaidé, ici l’innocence d’agresseurs et d’assassins ; là, le caractère provocateur de toutes les démonstrations pacifistes.

Il alla jusqu’à brandir devant les caméras l’insigne de la voiture d’un Premier ministre voué aux gémonies : le vainqueur de la victoire de 1967 avait commis le crime de signer les accords d’Oslo sans consulter auparavant Saint-Itamar et les siens. Les vœux mortels des kahanistes furent exaucés le 4 novembre 1995 sur une place des Rois d’Israël renommée place Itzhak Rabin.

Depuis son élection à la Knesset en 2021 par la grâce de Binyamin Netanyahou, Itamar Ben Gvir est devenu une vedette du petit écran, multipliant déclarations et interviews, « un bon client » pour les médias grands et petits. Dans le dernier sondage disponible à l’heure où ces lignes sont écrites, il est crédité de 7 sièges. Et rien ne dit qu’on pourra éviter de « le prend[re] dans la gueule ». « C’est lui ? vous croyez ? Il ne faut rien exagérer ».

à propos de l'auteur
Philippe Velilla est né en 1955 à Paris. Docteur en droit, fonctionnaire à la Ville de Paris, puis au ministère français de l’Economie de 1975 à 2015, il a été détaché de 1990 à 1994 auprès de l’Union européenne à Bruxelles. Il a aussi enseigné l’économie d’Israël à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 1997 à 2001, et le droit européen à La Sorbonne de 2005 à 2015. Il est de retour en Israël depuis cette date. Habitant à Yafo, il consacre son temps à l’enseignement et à l’écriture. Il est l’auteur de "Les Juifs et la droite" (Pascal, 2010), "La République et les tribus" (Buchet-Chastel, 2014), "Génération SOS Racisme" (avec Taly Jaoui, Le Bord de l’Eau, 2015), "Israël et ses conflits" (Le Bord de l’Eau, 2017), "La gauche a changé" (L'Harmattan, 2023). Il est régulièrement invité sur I24News, et collabore à plusieurs revues.
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