Gad Elmaleh et Delphine Horvilleur : miroirs inversés d’une même trahison

L'acteur et humoriste français Gad Elmaleh sur scène dans son spectacle « D'ailleurs », au Dôme de Paris, le 8 février 2022. (Crédit : BERTRAND GUAY / AFP)
L'acteur et humoriste français Gad Elmaleh sur scène dans son spectacle « D'ailleurs », au Dôme de Paris, le 8 février 2022. (Crédit : BERTRAND GUAY / AFP)

Il est des itinéraires très différents qui convergent vers un même point d’effondrement moral. Celui de Gad Elmaleh, humoriste juif fasciné par le catholicisme, et celui de Delphine Horvilleur, rabbin libéral devenue figure médiatique, dessinent les deux versants d’un même abandon. L’un passe du divertissement à l’adhésion à un message chrétien idéalisé, l’autre de l’enseignement religieux à la mondanité culturelle de gauche. Deux trajectoires différentes, mais un même objectif : séduire, apaiser, être dans l’air du temps.

Gad Elmaleh a mis en scène, avec un soin narratif assumé, son attirance pour le catholicisme. Dans son film « Reste un peu », il raconte une forme de cheminement spirituel vers la Vierge Marie, présenté comme intime, sincère, presque inéluctable. Le judaïsme y est lourd, familial, presque subi ; le christianisme, lui, apparaît doux, accueillant, lumineux. Ce renversement de polarité n’est pas neutre. Il réactive une vieille imagerie chrétienne : celle du Juif enfin « éclairé », fasciné par la grâce mariale, sauvé par la douceur du message évangélique.

Peu importe la lettre, c’est l’esprit qui parle : avec ou sans conversion, le processus devient ici une fable réconciliatrice, une manière d’absoudre le christianisme de son passé antijuif en mettant en scène un Juif attendri par son message. Car ce christianisme-là – dépouillé de dogme, réconcilié, dépolitisé – devient objet d’admiration. Et dans ce rôle, Gad Elmaleh fonctionne comme une figure messianique inversée : non pas celui qui annonce la rédemption, mais celui qui s’y rend. Volontairement.

Ce récit s’inscrit dans une histoire longue : celle d’un christianisme bâti sur la substitution et l’effacement. L’accusation de déicide a longtemps constitué le cœur de sa théologie, portée par l’Évangile attribué à Matthieu[1]. Cette charge continue d’habiter l’inconscient collectif occidental. Dans ce contexte, un Juif qui célèbre la figure de Marie, qui admire l’Église et qui s’en remet à ses symboles devient un instrument de blanchiment. Un rouage dans le récit de la réconciliation chrétienne, avec sa propre violence.

En miroir, Delphine Horvilleur emprunte un chemin inverse mais comparable. Elle ne quitte pas le judaïsme, mais le transforme en produit de communication. Elle a su occuper l’espace médiatique comme rabbin progressiste, figure rassurante, apte à faire entendre un judaïsme compatible avec les codes moraux du temps : inclusif, féministe, intersectionnel, tolérant à l’excès. Elle n’interprète plus la Torah : elle la reformule pour plaire. Elle ne transmet plus la tradition : elle la « reconditionne ». Le judaïsme devient un langage parmi d’autres, un prétexte à discours éthique, un objet esthétique. Il ne dérange plus ; il s’ajuste.

Delphine Horvilleur sur le plateau de l’émission « C à vous » le 21 février 2024 sur France 5. (Crédit : Capture d’écran / Youtube ; utilisée conformément à l’article 27a de la loi sur le droit d’auteur)

Mais cet ajustement n’est pas neutre. Il laisse apparaître des notions étrangères au judaïsme, venues d’une théologie chrétienne intériorisée : primat de l’amour sur la Loi, pardon détaché de toute responsabilité, universalité morale indistincte, culte de la souffrance et de la victime. Horvilleur construit ainsi un judaïsme qui, sous couvert d’ouverture, s’aligne progressivement sur des catégories chrétiennes – celles d’une rédemption sans exigence, d’un salut sans peuple, d’un message sans élection.

Ce judaïsme déjudaïsé devient acceptable parce qu’il épouse les valeurs d’un Occident post-chrétien, mais encore largement façonné par le vocabulaire évangélique. En important ces idées dans son enseignement, elle dilue la singularité du judaïsme dans une religion morale abstraite, fondée non plus sur la mémoire et la Loi, mais sur l’émotion et l’universel.

Cette posture séduit un public large, mais elle correspond aussi aux attentes d’une gauche intellectuelle qui a rompu depuis longtemps avec la mémoire juive.

Cette gauche – dont Michel Onfray parle dans « L’autre collaboration »[2] – a troqué l’antisémitisme racial de l’extrême droite pour un antisionisme culturel plus présentable, mais tout aussi destructeur.

Elle ne tolère que les Juifs qui s’excusent d’être juifs ; ceux qui relativisent Israël, qui dénoncent leur propre peuple, ou qui en dissolvent les frontières.

Delphine Horvilleur est devenue l’une des voix officielles de ce judaïsme acceptable : celui qui se veut moral plutôt qu’historique, humaniste plutôt que fidèle, mondialiste plutôt que singulier. Son discours, sous couvert de sagesse universaliste, est toxique pour Israël. Il légitime une dissociation entre le Juif acceptable et le Juif enraciné, et donne des armes symboliques à ceux qui rêvent d’un Israël vidé de sa légitimité historique.

Gad Elmaleh et Delphine Horvilleur incarnent ainsi, chacun à sa manière, une même démission.

  • L’un renonce à ce qu’il est en idéalisant la religion qui a combattu ses ancêtres pendant deux millénaires ; l’autre en se mettant au service d’une idéologie qui nie les fondements concrets du judaïsme.
  • L’un cède au mirage de la rédemption chrétienne ; l’autre au confort de l’adhésion médiatique.

Mais au fond, c’est le même mouvement : ils cherchent tous deux à plaire, à rassurer, à être aimés. Et pour cela, ils sacrifient l’essentiel : l’irréductibilité du judaïsme, son éthique de la séparation, sa fidélité à l’histoire.

Ce qu’ils trahissent, ce n’est pas qu’un héritage religieux ou culturel. C’est une manière de penser, une ontologie.  Le judaïsme repose sur la Loi, sur la transmission, sur la responsabilité.

  • Il ne prêche pas l’amour inconditionnel, mais la justice.
  • Il ne célèbre pas la faiblesse, mais la fidélité.
  • Il ne vise pas à fondre l’humanité dans un tout, mais à rappeler à chacun sa place, sa parole, sa dette.

Ce qui se joue ici, dans ces deux trajectoires publiques, c’est la perte de cette altérité exigeante. Et avec elle, et avec elle, la dissolution de tout ce qui fait du judaïsme une altérité vivante.

[1] Évangile selon Matthieu 27:25 : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants ! ».

[2] Michel Onfray, L’autre collaboration. Les origines françaises de l’islamo-gauchisme, Éditions Plon, février 2025.

à propos de l'auteur
Daniel Horowitz est né en Suisse, où ses parents s’étaient réfugiés pour fuir l’occupation de la Belgique. Revenu à Anvers il grandit au sein de la communauté juive. A l’âge de quinze ans il entre dans l’industrie diamantaire et y fait carrière. Passé la soixantaine il émigre en Israël où il se consacre désormais à l’écriture. Il a récemment publié aux éditions l'Harmattan un ouvrage intitulé "Leibowitz ou l'absence de Dieu".
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