France : islamisme, entrisme, état des lieux

Depuis des années, les autorités ont cherché à organiser l’islam à l’image du Consistoire israélite. La tâche était rude : le président Sarkozy avait ouvert la voie en 2012 ; le troisième ministre de l’Intérieur et des cultes sous la présidence d’Emmanuel Macron s’y est essayé à son tour. Tout semblait avoir réussi, lorsque le président de la République déclarait urbi et orbi en 2021, à propos de la signature de la Charte des principes pour l’islam de France[1] par cinq des fédérations sur les neuf constituant le CFCM :
Un engagement net et précis en faveur de la République.
À propos du CFCM (Conseil Français du Culte Musulman)
L’organisation est constituée d’un grand nombre de fédérations, sinon même de sous-fédérations, d’associations cultuelles. Chacune d’elles avait remis sa contribution au président du CFCM, chargé d’en réaliser la synthèse, de la faire accepter par ses confédérés et ensuite de la présenter au ministre, avec l’assentiment du président. Le résultat final fut à l’image du paradoxe bien connu du verre à moitié plein.
- Pour certains, c’était mission accomplie, car les autorités se refusaient à afficher un échec ou une semi-réussite.
- Pour d’autres, c’était certes une condition nécessaire de remplie, mais pas suffisante pour être véritablement l’outil qui permettrait d’établir sereinement la coexistence et l’intégration pleine et entière de la communauté musulmane au sein de la République dans le total respect de ses lois et institutions : nos valeurs républicaines.
Les conditions qui ont prévalu à l’accouchement douloureux de cette charte – que toutes les fédérations n’acceptèrent pas – mirent au grand jour d’une part une dissension majeure entre les groupes au sein de cette communauté qui représente de l’ordre de 11% de la population[2], d’autre part l’impuissance du CFCM à légitimer son rôle. En effet, il ne réussit pas à imposer l’adoption pleine et entière de ce texte qui constituait, certes une avancée – entre rien avant et un peu plus après – au point de vue des principes, mais qui finalement était au rabais, quoi qu’on en dise. Il soulignait l’impuissance des autorités à imposer ce que tous les citoyens respectent déjà : nos valeurs républicaines, en premier lieu la Laïcité pleine et entière.
Il était inquiétant que le ministre des Cultes ait dû plier devant une partie de la population pour qu’elle accepte de respecter le cadre républicain ; ce qui révèla un mal profond au sein de l’institution, qui déjà ne pouvait pas exercer son autorité, à l’heure où on s’apprêtait à voter une loi contre le « séparatisme ».
Le sixième article de la charte posait problème à certaines fédérations : il demandait aux signataires :
- de ne pas faire la promotion de l’islam politique,
- de ne pas diffuser de discours nationalistes en défense des régimes étrangers,
- et de financer de plus en plus les lieux de culte sans recours aux fonds étrangers.
L’ingérence turque, réelle ou supposée
Le CCMTF (Comité de Coordination des Musulmans turcs de France) est une association musulmane française, sauf qu’elle dépend du ministère turc des Affaires religieuses (ou Diyanet). Elle soutient la politique nationaliste et musulmane conservatrice du président Erdogan dont on connaît les appréciations sur le président de la République et Israël. Elle consacre une très grande partie de ses activités à l’éducation et à la politique. Une partie de ses membres sont des citoyens français, alors que le gouvernement turc emploie et paie les salaires de ses imams et finance ses locaux. Si ce n’est pas une ingérence étrangère, quel nom lui donner ?

Foi et Pratique, l’une des trois organisations qui ont refusé la charte, est issue du mouvement islamique du Tabligh. La charte la désigne explicitement comme un courant de l’islam politique. Les deux autres fédérations, turques, revendiquent aussi un islam politique, qu’elles assument. Elles veulent faire de la politique et rejettent le principe de ne pas pouvoir recevoir des financements étrangers, partie intégrante de leur identité. Assani Fassassi, le secrétaire général de la Fédération française des associations islamiques d’Afrique, des Comores et des Antilles (FFAIACA), tweetait :
Le Coran est limpide, il y est écrit : nulle contrainte en religion.
C’était une réponse de rejet, en peu de mots.
La pénétration de l’islam fondamentaliste en France
Elle progresse. Le risque ultime que font peser les quatre mouvements islamistes les plus actifs – Frères musulmans, salafistes, tabligh, turcs – est l’avènement d’une contre-société sur le territoire national. La puissance des réseaux islamistes et leur prolifération sont la résultante d’une incapacité chronique à analyser leur stratégie et leurs moyens d’action de manière globale dans des champs aussi névralgiques que :
- l’éducation,
- le monde de l’entreprise,
- le contrôle des lieux de culte,
- internet et les réseaux sociaux,
- les œuvres caritatives,
- et l’université, dernier avatar.
La question essentielle du financement étranger
On refusait également le passage à la loi de 1905 qui oblige à présenter des comptes, donc les sources de financement. L’exécutif veut surtout en savoir plus sur le financement des mosquées. Emmanuel Macron déclarait déjà en février 2020 :
On a besoin de savoir d’où vient l’argent, qui le touche, pour quoi faire. Ça, il faut s’en assurer.
C’était lors d’un déplacement à Mulhouse, consacré au « séparatisme islamiste ». Le second mot a disparu du projet de loi.
La France répugne à regarder ce qui marche ailleurs, au nom de la notion bien enracinée de « l’exception française ». L’Allemagne s’est emparée du sujet depuis 2010, avec une population musulmane de l’ordre de 6% sur 83 millions. Dix ans plus tard, en 2020 elle dispose de facultés qui forment des imams de langue allemande, ce qui s’appelle l’ « exception allemande ».
En France on veut estampiller des imams « à la française ». Vaste programme ! La charte parle des principes, mais on a oublié de préciser quand, comment, sérieusement ? Par principe, l’intendance suivra !
L’État régalien s’est affaibli au fil des années et des élites dirigeantes. La dissolution n’a rien arrangé. Le pogrom du 7 octobre a aggravé les fractures devenues béantes. L’État est aujourd’hui privé des moyens suffisants pour exercer son autorité. C’est désormais devenu un débat, sinon un combat, entre partisans et adversaires de l’intégration et ceux de l’assimilation.
Le président Macron lui-même – après Chirac, Sarkozy, … – n’a-t-il pas déclaré en son temps[3] :
Dans notre code civil figure encore cette notion problématique d’assimilation. Elle ne correspond pas à ce que nous voulons faire. Nous devons miser sur l’intégration.
Est-ce la réponse à la réalité ? Elle ne peut pas rester un vœu pieux.
Les réalités du terrain
Nous sommes désormais victimes de la confluence d’un terrorisme endogène, aggravée par des attaques exogènes. Pour s’en persuader, si l’on avait encore des doutes, référons-nous à ce qu’en dit la DGSI, dont le travail est considérable et qui le formule très clairement[4].
Les mouvances islamistes en France
Les Frères musulmans représentent le mouvement le plus structuré et le plus influent. Le mouvement salafiste, hétérogène, s’il ne dispose pas de structure organisationnelle, connaît une croissance exponentielle.
118 villes ont une empreinte salafiste illustrée par des salles de prière ou des associations affiliées ou des lieux de propagande tels que des librairies ou des bibliothèques.
Ils font de l’éducation une priorité absolue, et ce depuis la petite enfance où on relève de nombreux cas de radicalisation précoce. Le manque de contrôles rigoureux demeure une porte ouverte aux manipulations qui s’ensuivent ; on en connaît les conséquences !

Puis de l’école à l’université, ils tiennent à ce que les jeunes ne soient pas « prisonniers » de programmes, d’instituteurs et de professeurs, dont la laïcité et la rationalité sont étrangères à leur vision de l’islam.
On identifie trois types de structures d’enseignement :
- majoritairement des écoles privées,
- des écoles coraniques,
- et des organismes d’enseignement en ligne.
Le mouvement Tabligh, acteur majeur de la réislamisation des banlieues dans les années 70, s’appuie sur une prédication et un prosélytisme de terrain auprès de populations très fragilisées.
Le mouvement turc est la quatrième communauté étrangère. Il peut s’appuyer sur un important réseau de communautés en Europe et de financements, très soutenu et poussé par le président turc au pouvoir.
Leur dénominateur commun est la volonté d’opérer un changement profond dans le rapport que les Français de confession musulmane entretiennent vis-à-vis de la citoyenneté, la démocratie et le vivre ensemble. Les vecteurs d’influence utilisés par les réseaux évoluent. Certains, comme la guerre informationnelle médiatique et sur internet, deviennent absolument primordiaux.
Une guérilla rhétorique
L’un des points centraux de la pénétration des Frères musulmans dans la communauté musulmane et la société française est centré sur une tactique redoutable de guerre terminologique avec un double objectif :
- une stratégie de victimisation systématique de la communauté musulmane fondamentaliste,
- et un positionnement de défenseur de ladite discrimination, voire l’exploitation chez les jeunes Musulmans d’une vision sectaire du monde, entre hypocrisie et complotisme.
Un grand nombre de Musulmans manifestent une profonde absence d’intérêt pour la politique, notamment chez les jeunes, ce qui entraîne chez ces derniers un besoin de recréer une communauté de substitution. Ce qui se traduit aussi par une solidarité envers les autres Musulmans, victimes de « l’impérialisme occidental » selon la formule consacrée. La solidarité avec la communauté palestinienne et la haine d’Israël – et par extension des Juifs – complètent la panoplie.
Fort de ses 12 000 membres, le CCIF (Collectif Contre l’Islamophobie en France) est le centre névralgique d’un véritable combat sur les réseaux sociaux contre les adversaires idéologiques de l’islam politique. Il utilise un langage ambivalent, selon les évènements (attentats et violences notamment). Il exprime une volonté de détruire l’adversaire idéologique. Il est désormais omniprésent sur les nouveaux terrains du Jihad judiciaire, numérique, médiatique, universitaire et des grandes écoles.
L’application des lois en vigueur
Au plan judiciaire, il est important que les juristes prennent dès maintenant en compte le phénomène religieux : les salariés savent désormais que l’entreprise privée n’est pas un lieu où la neutralité s’applique, et entendent exprimer leurs convictions religieuses. Les salariés islamistes peuvent s’appuyer sur diverses organisations comme l’Organisation de la coopération islamique, la Ligue islamique mondiale, l’Organisation islamique pour l’éducation, les sciences et la culture. Les Fréristes aspirent à imposer la pratique de l’islam dans le monde du travail.
Pressions, menaces et procès
Le but ultime de la stratégie de l’intimidation n’est pas nécessairement la victoire judiciaire elle-même, mais de faire taire et de paralyser le discours journalistique, politique, universitaire, médiatique, qu’il soit critique ou hostile vis-à-vis de l’islamisme.
Les cibles sont aussi bien les personnalités politiques que les personnalités publiques en général, faisant l’objet, par exemple, de plaintes pour « injures raciales ».
Last but not least, il existe aussi un certain nombre d’ONG qui s’inscrivent dans les mêmes démarches[5].
Il s’agit donc bien d’un mouvement de grande envergure. La situation est beaucoup plus sérieuse que ce que certains laissent croire, il est grand temps d’en prendre conscience.
Islam de France / islam en France
En conclusion, la véritable question posée, mais pas tranchée par cette charte et les lois actuelles : disposerons-nous un jour d’un islam de France, comme il existe un judaïsme de France, ancré dans la laïcité et les lois de la république, au lieu de l’islam en France, avec ses propres lois ? Comment pourra-t-on continuer à parler de l’islam en France, et opposer assimilation à intégration.
Ainsi va le monde…
–
[1] Charte des principes pour l’Islam de France
[2] En 2019-2020. Source : Insee – La diversité religieuse en France : transmissions intergénérationnelles et pratiques selon les origines
[3] 27 avr. 2023, « Ce que Macron n’a jamais dit des Français », L’Express.
[4] rapport de l’assemblée nationale ; https://www.dgsi.interieur.gouv.fr/dgsi-a-vos-cotes/lutte-contre-terrorisme/letat-de-menace-terroriste-en-france
[5] https://frblogs.timesofisrael.com/france-lislamo-gauchisme-a-un-nouvel-allie-amnesty-international/