France, Allemagne, l’UE et la question migratoire

Des réfugiés arrivant à la frontière entre l'Autriche et la Hongrie près de Heiligenkreuz, à environ 180 km au sud de Vienne, en Autriche, le lundi 14 septembre 2015. (AP Photo/Christian Bruna)
Des réfugiés arrivant à la frontière entre l'Autriche et la Hongrie près de Heiligenkreuz, à environ 180 km au sud de Vienne, en Autriche, le lundi 14 septembre 2015. (AP Photo/Christian Bruna)

La question migratoire devient la prochaine grande source de conflit au sein de l’Union européenne (UE), car la France et l’Allemagne ont déjà des opinions divergentes. L’UE tente de réguler le flux des immigrés et de distinguer entre les migrants réguliers, irréguliers et illégaux, sans parler des demandeurs d’asile dont les demandes sont rejetées.

Cependant, le conflit en Ukraine est actuellement une priorité plus élevée. L’Allemagne est confrontée à des tensions internes, car elle est devenue un acteur-clé de l’OTAN dans le conflit avec la Russie. Le pays doit faire face à un déclin démographique et a besoin d’environ 400 000 immigrants qualifiés chaque année. Le gouvernement allemand a nommé Joachim Stamp pour conclure des accords avec les pays africains et d’autres pour établir des procédures d’asile. En 2022, l’Allemagne a reçu 244 000 demandes d’asile, dont plus de 50 % ont été acceptées, et plusieurs centaines de milliers de demandeurs rejetés devraient être expulsées. Actuellement, plus d’un million de réfugiés sont en Allemagne en raison de la guerre en Ukraine, et certains y resteront probablement. Les politiques des différents pays de l’UE sont opposées les unes aux autres sur cette question. En Allemagne ce sont des fonctionnaires de l’état qui sont chargés de s’occuper des migrants. En France ce sont des associations qui perçoivent des subventions qui tiennent ce rôle et dont la vocation est d’accueillir systématiquement les migrants, les vrais-faux mineurs, les faux demandeurs d’asile. Ce qui provoque systématiquement un conflit avec l’état. Le paradoxe est évident.

L’Union européenne envisage de réviser les conditions d’expulsion, car le nombre de personnes expulsées a augmenté. Au deuxième trimestre 2022, près de 100 000 personnes ont été expulsées, dont plus de 23 000 d’un pays de l’UE vers un autre. La France a prononcé le plus grand nombre d’arrêtés d’expulsion, suivie par la Grèce, l’Allemagne et l’Italie. Selon les nouveaux paramètres envisagés, des centres d’accueil pourraient être créés dans les pays d’émigration, où les demandeurs pourraient déposer leur dossier en échange d’un quota officiel d’immigrants légaux et du retour des expulsés. Il est également envisagé de renvoyer les personnes secourues dans un pays d’Afrique du Nord pour y traiter leur demande. Les spécialistes sont sceptiques quant à la faisabilité de ces propositions et s’interrogent sur ce que l’Allemagne peut offrir à ces pays de transit. Les déboutés de l’asile restent une question brûlante, et les Allemands proposent une autorisation temporaire de résidence pour pallier le vide juridique existant dans toute l’UE. Enfin, l’Europe a perdu de son influence en Afrique, et le renvoi des personnes dans leur pays d’origine est complexe. C’est un problème de plus pour les 27.

Comment l’Allemagne expulse-t-elle ?

En Allemagne, les étrangers coupables d’infractions pénales ou considérés comme des membres d’organisations terroristes peuvent être détenus et expulsés vers leur pays d’origine, alors que la France ne procède pas automatiquement à l’expulsion des délinquants ou des personnes inscrites au fichier S. L’entrée illégale n’est pas considérée comme un délit actuellement. La France a un projet visant à rendre plus automatiques les expulsions, mais il reste encore loin d’être appliqué. En 2022, l’Allemagne a expulsé 12 945 déboutés vers différents pays, alors qu’en 2021, ce chiffre était de 11 982. Les déboutés en Allemagne et en France ont la possibilité de faire appel, les divers recours retardent d’autant la décision finale, et il arrive même que des expulsés reviennent en Europe.
Fin 2022 il y avait 302.308 déboutés devant quitter l’Allemagne. Le chancelier Scholz avait annoncé son intention d’entamer une action offensive au plan des expulsions. En fait c’était surtout un effet d’annonce, car renvoyer les demandeurs originaires d’Afghanistan, d’Iran, d’Irak ou de Gaza est impossible.

L’immigration choisie allemande

La problématique spécifique répond à ses besoins en matière d’immigration choisie, lui fait faire un virage majeur dans ses options et ses conditions d’accueil. Le représentant spécial déclare dans un communique Ceux qui veulent travailler en Allemagne doivent se voir offrir des opportunités équitables. Les criminels et les individus dangereux doivent être expulsés. Il est indispensable de conclure des accords concrets avec les pays d’origine » Ce schéma ne pourra être efficace que si ses modalités sont applicables dans tous les 27 pays de l’UE. A défaut d’unité ca restera un vœu pieux.

Les pays qui prennent des arrêtés d’expulsion

La France est en première position avec 33.450 arrêtes au deuxième trimestre 2022, la Grèce suit avec 8.750, l’Allemagne avec 8.275, l’Italie 6.020.

De fait, la France a procédé à 3.500 expulsions, plus que les 2.785 allemandes. La Suède qui a fait un temps figure de grand pays d’accueil pour les migrants a expulsé 2.380 déboutés, la Grèce 1.770. Les Albanais constituaient le premier groupe, suivis des Russes, des Georgiens et des Turcs.

Les membres de l’UE semblent avoir trouver une base d’accord.  Madame Ursula von der Leyen a déclaré :
Alors que l’UE accueille des millions de réfugiés d’Ukraine, de Syrie, d’Afghanistan, y compris des migrants économiques inéligibles à l’asile, Madame Ursula von der Leyen a déclaré : « Les dirigeants européens ont convenu de mesures plus strictes pour lutter contre ‘la migration irrégulière’
Nous agirons pour renforcer nos frontières extérieures et empêcher la migration irrégulière » (sans autres précisions).

Nouveauté, une décision d’expulsion prise dans un des pays s’appliquera dans toute l’UE. Afin d’augmenter le pourcentage d’expulsion actuel (entre 10 et 15% des déboutés). L’UE aurait acté le principe empêchant un demandeur d’asile refusé dans un des pays de s’adresser à un autre pays membre. Enfin selon le communiqué final, les dirigeants ont appelé la commission à mobiliser immédiatement des fonds européens substantiels pour renforcer la frontière extérieure de l’UE avec des moyens et des infrastructures de protection, des moyens de surveillance, y compris aérienne et des équipements. Ce communiqué assez vague, ressemble plus à un effet d’annonce nécessaire imposé par la conjoncture car aucun des moyens cités n’est financé ni près de l’être vu la conjoncture politique et économique actuelle.

la proposition de construction d’un mur aux frontières avec les pays de transit (Croatie, Grèce). est rejetée.  Josef Borrell en charge des AE a déclaré que « Forteresse Europe » n’est pas la réponse et appelle à proposer aux immigrants des « procédures légales » On voit bien qu’il s’agit de déclarations d’opportunité mais pas de véritables solutions applicables sur le terrain.

En revanche, il y a un rapport avec le déficit démographique allemand. Sa population est en déclin et avec elle le nombre d’étudiants en sciences et en ingénierie. Dans ces créneaux, il y a 5 ans il y avait en moyenne sept candidats pour chaque poste, ce nombre tombe actuellement à trois.

Au vu des projections connues, la France n’a pas ce problème. On part donc d’une hypothèse très différente en matière d’immigration, qui se traduit par des options radicalement opposées qu’on ne peut ni ignorer, ni cacher.

Ce qui change et ce qui ne change pas

De nombreux pays sont confrontés à une pénurie de main d’œuvre qualifiée, tant pour répondre aux besoins de la transformation des moyens de production industriels que du passage à l’économie verte.
Handicap supplémentaire pour le pays le plus industrialisé d’Europe, de nombreux techniciens et ingénieurs partent à la retraite. En avril 2022 le pays recensait un déficit supérieur à 300.000 étudiants inscrits dans les matières industrielles et scientifiques.

Cette pénurie affectera à terme l’industrie où la pression en matière d’innovation est considérable et requiert l’embauche de spécialistes. Le mot d’ordre devient Education, Innovation, Immigration. A défaut de répondre à ces besoins à terme, la compétitivité allemande déjà largement remise en cause par la crise énergétique en souffrira et entrainera de nouvelles délocalisations hors d’Allemagne. La France dont le déficit commercial 2022 de 164 milliards est le pire depuis des années, pendant que la dette publique devient abyssale à plus de trois mille milliards en 2023. A ce stade les perspectives européennes sont peu favorables malgré les déclarations des dirigeants qui semblent ne s’intéresser qu’au conflit en Ukraine et la mise au tapis de la Russie. Le président français souhaite que l’Europe fabrique ses équipements militaires au lieu de les acheter ailleurs (sous-entendu aux États Unis). Ce qui n’est pas pour demain. En France, un plan en matière d’immigration est en préparation mais on craint déjà les demi-mesures et la création de lois supplémentaires inapplicables sur le terrain.

On ne gagne aucune guerre, qu’elle soit militaire, économique ou politique avec des effets d’annonce ou des coups de menton. Certains ne l’ont pas encore compris.

à propos de l'auteur
Ancien cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles, depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine.
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