Fors l’honneur
Confronté comme tous, Jonathan s’efforçait de démêler le tissu de raison et d’émotion enchevêtrées. Dans ces temps exacerbés de vie, de mort, de balance entre honneur et déshonneur.
De François 1er, défait à Pavie, qui proclame « j’ai tout perdu, fors l’honneur », à Winston Churchill qui lance à Chamberlain, revenant apparemment triomphant de Munich, « Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre », la relation entre guerre et honneur s’est constamment imposée.
Les personnages de « Guerre et Paix » que Tolstoï plonge dans les ébranlements et les drames de la guerre, trouvent eux, dans la recherche de la paix, la voie du libre-arbitre contre le destin, et une signification de la vie humaine.
Phénomène de toute époque, la lancinante et terrible confrontation entre la guerre et la paix, s’illustre dramatiquement dans les temps modernes, en particulier dans le conflit de presque cent ans qui ensanglante le Moyen-Orient. Une région où, précisément, l’honneur et le déshonneur tiennent les plus hautes places dans la table des valeurs humaines.
La guerre. Hormis le célèbre « Oh Barbara, quelle connerie, la guerre ! » lancé par Jacques Prévert, qui devrait clore définitivement tout débat, hormis de traverser, de façon quasi ininterrompue, toute l’histoire de l’humanité, elle n’a cessé de nourrir la pensée des hommes, l’évolution des sociétés. A croire que, de gré ou de force, elle s’impose, point focal de toute vie.
Inévitable selon Freud, Eros, pulsion de vie ne peut opposer sa rationalité à Thanatos, trop forte pulsion de mort. Qui pour le confirmer plus qu’Israël, qui depuis sa création voit sa vie de Nation flanquée de cette compagne macabre. Qui, depuis l’horreur absolue du 7 octobre est immergée dans une guerre existentielle multiforme. Qui, en ce moment, suspend son souffle, dans l’attente d’une guerre totale.
La paix. Par intervalles enchantés. Comme cette période de raison triomphante d’après-guerre 39/45, brisant le cycle fou d’affrontements entre France et Allemagne, enfin réconciliées sur l’autel de l’Europe. Confirmation de la conviction vitale d’Einstein. Dans un monde de plus en plus, irrésistiblement mondialisé, l’interconnexion entre les peuples révèle la nature profonde de la guerre. Une absurdité, au profit d’une minorité, aux dépens de la grande majorité.
Eros, la pulsion de paix, aussi impérative que la pulsion de mort, enracine ses valeurs dans l’éducation et la conscientisation. Là encore, qui peut le confirmer plus qu’Israël. Alors que font rage, mort, atrocités, guerre au sol, bombardements, destructions, terrorisme, drame des otages, malversations, d’innombrables associations réunissant Palestiniens et Israéliens, luttent ensembles pour les forces de la paix. Combattants des deux camps, parents d’enfants tués, femmes-courage, engagés pour l’éducation, l’agriculture, la santé, la culture, l’économie, la science, le climat… Toute une humanité qui veut s’associer à la foi d’Einstein sur la rationalité et la paix, contre le réalisme pessimiste radical de Freud.
L’honneur et le déshonneur. Jonathan se sentait tenté de retourner la formule initiale de Churchill, en l’appliquant à la situation d’Israël dans son environnement. Le pouvoir pense trouver dans la poursuite et l’élargissement de la guerre la conservation des honneurs, la prédominance religieuse, la mise au pas de la justice, le règne de la minorité. Il risque d’engloutir son ambition sous les décombres dramatiques inévitables issues de toute guerre, de voir son honneur remplacé par l’horreur, de perdre son alliance religieuse, et sa volonté d’accaparation de la justice.
À rebours, le camp de la paix, celui de cette majorité toujours perdante dans les temps de guerre, pourra regagner dans la priorité à la concertation, l’ouverture à un monde ouvert et coopératif, la part de son honneur perdu. Perdu dans la passivité devant les exactions commises en son nom dans les territoires par les extrémistes religieux ; devant le système tortionnaire régnant dans les camps d’internement de prisonniers de guerre. Renforçant ainsi l’honneur d’un engagement total de toute la population le 8 octobre. Dans l’unité, la solidarité. Dans la lutte pour les valeurs de paix, le retour des otages, la défense des libertés
Il inscrivait sa réflexion dans les pas de Paul Valéry, « la guerre, un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas ». Le faux honneur provoqué par le vrai déshonneur. Le plus souvent, la pulsion de mort exploitée par un prédateur. Au détriment éternel du peuple, à son bénéfice propre, vénal, idéologique, religieux, racial.
Un peuple, manipulable mais fondamentalement disciple d’Eros. Qui, naturellement, trouve dans l’honneur le carburant de sa pulsion de vie. Qui, dès qu’il a accès à la connaissance, à l’éducation, s’ouvre au monde.
Maitrisant sa tendance Nathanos, Jonathan ne voulut pas pousser cette réflexion jusqu’à son application à la situation actuelle vécue par Israël. Il résolut, pour l’honneur, de privilégier la présentation de deux démarches de paix. Preuves à venir. Au prochain accès de réflexionite.