Février 2006. Ilan Halimi nous a définitivement quittés
Février 2006. Un jeune homme de la communauté juive a été sauvagement assassiné. Il s’appelle Ilan Halimi.
Il est torturé à mort par le « gang des barbares » son calvaire prendra fin le 13 février 2006 après trois longues semaines de séquestration. C’est la consternation générale et pourtant, l’histoire ne cessera de rappeler les faits. La communauté juive est sous le choc.
J’apprends la nouvelle en Israël encore toute jeune ola hadasha. Je ne trahirai personne en disant que nous sommes extrêmement choqués par la violence mais aussi par les motifs.
L’antisémitisme n’est pas un fantasme et il tue toujours. Cet épisode fait couler beaucoup d’encre et de larmes. Et beaucoup d’incompréhensions persistent…
Et si pendant ces onze ans, rien avait changé ?
Février 2007. Une année s’est écoulée, sa famille décide de l’enterrer à Jérusalem, un Sefer Torah est écrit pour l’occasion et est déposé dans la synagogue du Kotel. De nombreuses personnes sont venues, la famille mais aussi les amis et « ceux-là » comme moi, cette foule d’inconnus bouleversés par ce crime ignoble qui a du mal à être reconnu crime antisémite.
A Jérusalem dans la Vieille Ville, nous voulons lui rendre un dernier et vibrant hommage en suivant le cortège. Le Sefer Torah au nom d’Ilan Halimi est porté par les hommes, on croirait un jeune Bar Mitsva. Le Sefer reposera dorénavant en paix dans l’enceinte du mur.
Parmi les femmes, sans le savoir, je suis assisse auprès de ses sœurs et de sa maman. C’est émouvant, elles sont fortes et si fragiles à la fois. Je ne dis rien, ne fais rien, juste être de « ceux-là » dans cette multitude d’anonymes orphelins d’Ilan.
Février 2010. Quatre années se sont écoulées mais la douleur est palpable.
Ilan est le 11 septembre de l’antisémitisme en France. Chacun garde un souvenir pareil au 11 septembre 2001 lors de l’attentat du World Trade Center à New-York, douloureux et sourd à toutes explications.
La situation politique, sociale, économique s’aggrave sensiblement en France.
Je m’intègre petit à petit en Israël. Les juifs de France s’interrogent mais le vent tourne.
Février-mars 2012. Six années se sont écoulées depuis son décès, je vis à présent tranquillement en Israël comme des milliers d’olim mais les événements se précipitent et s’accélèrent…
La tuerie islamique de l’école Ozar-Hatorah par Mohamed Merah dévaste la communauté juive. Ces attentats de mars 2012 à Toulouse et Montauban tuent sept personnes dont le maréchal des logis-chef Imad Ibn Ziaten, deux militaires, Abel Chennouf et Mohamed Legouad, le rabbin Jonathan Sandler et deux de ses enfants, Gabriel, 3 ans, et Aryeh, 6 ans ainsi qu’une autre petite fille de 8 ans, Myriam Monsonégo.
A présent, nous sommes loin des actes antisémites isolés, par un plan vigipirate, les militaires protègent les écoles juives et les synagogues, dans un discours de Benjamin Netanyahu à Toulouse, le Premier ministre israélien rappelle qu’en cas de danger les juifs français ont un pays qui les accueillera.
« L’histoire nous enseigne que l’antisémitisme commence par l’agression des juifs mais que très vite cela se répand à d’autres. »
Février 2015. Neuf années se sont écoulées, la même année, le 7 janvier à Paris, l’attentat contre Charlie Hebdo scandalise la France. Tout le monde est « Je suis Charlie » et manifeste sa stupeur dans la rue face à cet odieux attentat islamiste qui tue des journalistes satiriques.
Néanmoins « J’ai oublié d’être Hyper Cacher », cette tragique attaque terroriste islamiste et antisémite survenu le 9 janvier, à la suite de celui de Charlie Hebdo et qui fait quatre victimes juives dans un magasin casher, l’ombre d’Ilan Halimi plane de nouveau.
Aurait-on oublié d’être Ilan Halimi ?
J’assiste à l’enterrement des quatre victimes en Israël, Yoav Hattab, 22 ans, Yohan Cohen, 23 ans, Philippe Braham, 45 ans, François-Michel Saada, 64 ans, devant leurs proches effondrés et la communauté juive de nouveau abasourdie.
En France, l’antisémitisme moribond est un secret pour personne, le romantisme révolutionnaire attise l’anti-sionisme, le conflit israélo-palestinien s’exporte bien. Conséquences, les jeunes musulmans des quartiers s’identifient à Daech et au Djihad islamique.
Dorénavant les attentats ne s’arrêteront plus. D’ailleurs, un autre attentat éclate, le vendredi 13 novembre 2015, une série de fusillades et d’attaques-suicides perpétrées dans la même soirée va faire des centaines de victimes. Les juifs sont très inquiets.
Ilan Halimi repose en paix en terre d’Israël
L’alyah bat tous ses records.
Février 2016. Dix années se sont écoulées, je ne pensais jamais revenir, mais un deuil familial me fait changer de vie. Retour à la case départ. Retour en France. La vie se rappelle à « ceux-là » quand ils ont un destin qui les attend, un jour, quelque part…
A Paris, on m’invite à lire un texte, un cri du cœur écrit quelques années plus tôt en Israël et considérablement partagé sur la blogosphère lors de l’anniversaire de sa mort. Finalement je co-organise « l’Hommage à Ilan Halimi, dix ans déjà » et rencontre les juifs français.
Dix ans et le terrorisme ne s’arrête plus, il a tendance à se banaliser outrageusement, quotidiennement. Le couple de policiers assassiné, l’attentat de Nice, le prêtre tué en plein office… Il faut respecter la mémoire d’Ilan Halimi, respecter sa famille et son souvenir. Mais aussi partager un message…
Est-ce que les juifs ont encore leur place en France ?
Février 2017. Cela fera presque deux semaines et onze longues années, Ilan Halimi nous a quittés. Son visage résonne dans les esprits. Pourtant le temps a retiré certaines blessures, d’autres invisibles sont plus profonds.
Ilan est devenu le symbole de cet arbre déraciné.
Les choses sont devenues évidentes, moins imprononçables, la situation ne s’est pas améliorée pour autant. A présent, nous sommes les derniers des mohicans, les derniers juifs d’Europe.
Et cette cassure entre les juifs et la France continue de se creuser.
Hommage à Ilan Halimi, 11 ans déjà, hier…
Cette année, j’ai décidé de ne pas en parler.
Non, je ne parlerai pas de cette blessure du passé qui remonte inexorablement à la date anniversaire de la mort d’Ilan.
… Ilan serait sûrement amoureux, malheureux puis heureux et voudrait vieillir auprès d’elle…
Non, je ne ferai pas de mise en scène pour exprimer ma peine, au fond tout ça, oui tout ça ce n’est pas anodin, c’était même prévisible, comme le symptôme d’une maladie bien plus profonde qui nous piétine encore, l’antisémitisme en France.
…Ilan serait sûrement marié, puis vivrait les habitudes d’une vie à deux, puis à trois, puis à….
Non, je n’interviendrai pas pour vous dire que ce qui est arrivé devrait nous réveiller. Non je ne le dirai pas, ni ne le penserai d’ailleurs. Car je ne chercherai pas à vous convaincre… Ah quoi bon ?! Vous êtes conscients en France, vous êtes conscients…
…Ilan aurait sûrement élevé une famille, pris un crédit, dit au revoir à sa femme le matin…
Non, je ne manquerai pas de pudeur et de retenue en disant que oui, je suis toujours aussi choquée en rappelant les faits, l’humiliation, la durée, la douleur, le temps ne me calme pas, Il me fait vieillir, mais il ne me calme pas!
… Ilan aurait hésité, monter ou ne pas monter en Israël? Puis il serait sûrement venu dans le pays de ses ancêtres, inquiet au départ comme tous ceux qui franchissent le pas, puis reparti et revenu pour enfin trouver sa place comme vous aussi le jour venu…
Non, je ne poserai pas les questions qui fâchent, les questions qui font mal. Pourquoi être resté en France après le drame d’Ilan ? Au lieu, j’essayerai de vous comprendre, de nous comprendre. Alors qu’hier… Alors qu’il y a 11 ans déjà… Alors qu’à l’école de Toulouse… Alors qu’à l’Hyper Cacher, Alors que les militaires devant les écoles juives devant les synagogues… Alors qu’au fond de nous… De vous… De moi…
…Ilan aurait jeûné les jours de peine, il aurait chanté les jours de joie, il aurait espéré, prié, oublié puis il aurait recommencé comme nous tous à chaque fois…
Non, je ne serai pas révoltée, en colère, pas une fois de plus, une fois de trop, en parlant d’Ilan Halimi, mort en France parce que juif !
J’en ai déjà assez dit. Et je préfère garder cette belle image sereine et libérée de ce beau jeune homme de 23 ans.
Alors j’ai allumé une bougie…
11 ans déjà, hier…