Fer et argile
« Le fer ne se mélange pas avec l’argile ». Livre de Daniel, 2,43.
Hors de la civilisation chrétienne occidentale se trouvaient l’islam et les spiritualités extrême-orientales (bouddhisme, taoïsme, hindouisme, yoga et leurs dérivés). Ce n’est plus le cas aujourd’hui : bien que l’Occident domine encore le monde, l’Orient l’a pénétré de l’intérieur. Ainsi aujourd’hui, par exemple en France, les spiritualités et religions orientales sont présentes à la fois dans nos sociétés laïques et dans la religion chrétienne. En caricaturant la situation, on pourrait dire que le christianisme se confond maintenant avec le bouddhisme et que la laïcité s’est adaptée à l’islam.
Le christianisme ayant depuis le IVème siècle négligé l’Orient, celui-ci, sous la forme de l’islam et des spiritualités orientales, contribue à l’effondrement spirituel de l’Occident dont nous sommes en train d’observer l’élargissement des brèches. La conceptions chrétienne du Divin entre en collision avec la conception musulmane du Dieu unique et la conception orientale du divin Absent. Le divin humain (ou surhomme) sous-jacent à notre société est en train de se fissurer alors qu’en apparence il triomphe.
En termes bibliques, le fer et l’argile sont mélangés (cf. livre de Daniel). Cela signifie que deux éléments incompatibles forment le nouveau socle spirituel de notre société : l’esprit chrétien – qui a succédé à la domination politique chrétienne du Moyen-Age – a favorisé la pénétration létale de l’Orient dans notre civilisation occidentale. Cet assemblage fatal pour l’Occident est la réponse de l’Orient à sa colonisation par le modèle impérialiste chrétien occidental.
Nous pouvons voir concrètement aujourd’hui les prémisses de la fin de la domination de l’esprit occidental sur la planète. Il faut cependant que cette conquête parvienne à son terme pour que son apogée prélude à sa bienheureuse chute. En effet, cet effondrement attendu (prévu par les Ecritures) est la meilleure solution pour notre planète terre maltraitée. L’assemblage spirituel Orient-Occident ne peut qu’aboutir à une émergence salvatrice de l’Orient. Comment contribuer à cet heureux dénouement ?
Pour espérer pouvoir répondre à cette question il nous faut mettre en relief deux points étonnants :
– la ressemblance du christianisme évangélique américain et avec le christianisme orthodoxe russe, tous deux se posant en défenseur des valeurs morales chrétiennes.
– le paradoxe du christianisme américain qui parvient à concilier l’inconciliable, la promotion du wokisme et un christianisme fondamentaliste, rassemblant Démocrates et Républicains dans une conception de l’universalisme occidental qui aurait vocation à « civiliser » le monde en le modernisant.
L’occidentalisation semble parvenir à ses fins (ce qui prélude à sa fin). La « technologisation » (et la technocratisation) de la planète a rendu ses habitants dépendants des outils qu’ils ont conçu et fabriqué. Nous sommes désormais contraints d’avancer jusqu’à l’abîme d’autodestruction de l’humanité. Notre seule issue est l’assemblage Orient-Occident qui pourra accélérer la dislocation de notre civilisation moderne prédatrice, l’empêchant ainsi de consumer notre terre. Comment contribuer à cette destruction salvatrice en atténuant les dégâts collatéraux ?
Ce processus est résumé dans le livre de Daniel qui relate le rêve de Nabuchodonosor avec la statue aux pieds d’argile et de fer. Seul Daniel parvient à interpréter le rêve du roi, sous l’inspiration d’une vision nocturne. Voici comment il raconte le songe :
« Ô roi, voici ta vision : une énorme statue se dressait devant toi, une grande statue, extrêmement brillante et d’un aspect terrifiant. Elle avait la tête en or fin ; la poitrine et les bras, en argent ; le ventre et les cuisses, en bronze ; ses jambes étaient en fer, et ses pieds, en partie de fer, en partie d’argile. Tu étais en train de regarder : soudain une pierre se détacha d’une montagne, sans qu’on y ait touché ; elle vint frapper les pieds de fer et d’argile de la statue et les pulvérisa. Alors furent pulvérisés tout ensemble le fer et l’argile, le bronze, l’argent et l’or ; ils devinrent comme la paille qui s’envole en été, au moment du battage : ils furent emportés par le vent sans laisser de traces. Quant à la pierre qui avait frappé la statue, elle devint un énorme rocher qui remplit toute la terre. Voici le songe ; et maintenant, en présence du roi, nous allons en donner l’interprétation.
C’est à toi, le roi des rois, que le Dieu du ciel a donné royauté, puissance, force et gloire. C’est à toi qu’il a remis les enfants des hommes, les bêtes des champs et les oiseaux du ciel, quelle que soit leur demeure ; c’est toi qu’il a rendu maître de toute chose : la tête d’or, c’est toi. Après toi s’élèvera un autre royaume inférieur au tien, ensuite un troisième royaume, un royaume de bronze qui dominera la terre entière. Il y aura encore un quatrième royaume, dur comme le fer. De même que le fer brise et écrase tout, de même, il pulvérisera et brisera tous les royaumes. Tu as vu les pieds qui étaient en partie d’argile et en partie de fer : en effet, ce royaume sera divisé ; il aura en lui la force du fer, comme tu as vu du fer mêlé à l’argile. Ces pieds en partie de fer et en partie d’argile signifient que le royaume sera en partie fort et en partie faible. Tu as vu le fer associé à l’argile parce que les royaumes s’uniront par des mariages ; mais ils ne tiendront pas ensemble, de même que le fer n’adhère pas à l’argile. » (Daniel 2, 31-45)
Israël est cette petite pierre (un caillou !) qui s’est détachée de la Galout (la Diaspora) pour former une solide nation. Comment un si petit caillou pourrait-il briser le socle d’une statue si imposante ? Parce que cette statue (représentant les empires successifs jusqu’à aujourd’hui) a une conception fragmentée (binaire) du Divin tandis que le petit caillou conçoit le Divin comme une Unité harmonisant les contraires.
Rien ne peut s’opposer à une spiritualité qui repose sur le principe de l’Unité. Si elle a tant tardé à rayonner, c’est parce que les empires successifs qui l’ont étouffée sont parvenus à cimenter artificiellement leurs divergences, notamment grâce au christianisme depuis l’empereur Constantin au IVème siècle. Cette unité n’est qu’une uniformisation superficielle forcée qui implose aujourd’hui sous les déflagrations du Caillou combinées avec l’alliance contre-nature de l’argile et du fer.
Comment contribuer aux effets bénéfiques du Caillou ? En aimant Israël, qu’il soit uni et paisible, ou désuni et nerveux. Tous ceux qui -non juifs- s’intéressent au judaïsme et au pays des Juifs, savent que ses habitants se trouvent dans un sac de nœuds unique au monde et dans toute l’Histoire de l’humanité.
Aussi, Israël nous demande un peu de patience avant de parvenir à unifier son peuple et intégrer les habitants arabes. Si l’on accepte d’avoir un regard qui va au-delà des piquants du cactus on peut alors apercevoir la beauté de l’âme d’Israël et savourer le cœur du cactus (sabra).
Le monde occidental, prenant conscience de sa fin prochaine risque de se braquer contre le petit Caillou. Une association éphémère (de circonstance) entre le monde musulman (l’argile) et le monde occidental (le fer) pour éliminer ce caillou pourrait aboutir à leur effondrement simultané. C’est ce que les prophéties d’Israël appellent la guerre de Gog et Magog où les États-Unis jouent le rôle du protagoniste messianique.
Cyrus dans la Bible est appelé « messie » : 2 Chroniques 36,22 ; Esdras 1,1 et Isaïe 45,1. Le roi du plus puissant empire de la terre serait un messie ! Ainsi, un président des États-Unis déclarait être le nouveau Cyrus : « En novembre 1953, après avoir quitté la présidence des États-Unis, Harry Truman est au Séminaire théologique juif de New York pour rencontrer un groupe de dignitaires juifs. Il était accompagné de son bon ami Eddie Jacobson. Jacobson présenta son ami aux théologiens réunis : « Voici l’homme qui a aidé à créer l’État d’Israël ». Truman rétorqua : « Que voulez-vous dire par « aidé à créer » ? Je suis Cyrus » (christianitytoday). L’auto-identification de Truman avec Cyrus n’avait rien à voir avec de l’orgueil. Elle découlait simplement de sa compréhension de l’Histoire et de la Bible qu’il avait bien lue. Ses professeurs de l’école du dimanche lui avaient appris qu’un jour, Dieu réveillerait d’autres Cyrus, à l’image du roi perse Cyrus II qui avait autorisé les exilés juifs à revenir de Babylone, leur donnant en outre l’ordre et les moyens de reconstruire le Temple. C’était en 538 av JC… »(1)
Dans le Livre d’Esdras (1,1-4), HaChem inspire à Cyrus un décret proclamant l’autorisation de reconstruire le Temple, en utilisant les trésors qui avaient été dérobés par Nabuchodonosor lors de sa destruction. Ce fait historique enrobé de mythologie biblique est repris par les États-Unis qui se considèrent comme une nation salvatrice de l’humanité…
Rappelons que Cyrus est un messie ambivalent car versatile et que la conception américaine du messie est incompatible avec la conception juive polysémique. Le caillou (ou pierre) dont parle le livre de Daniel destiné à devenir « un énorme rocher qui remplit toute la terre », n’a rien à voir avec un objectif impérialiste religieux. Il s’agit plutôt d’une source d’eaux vives qui coulera depuis Jérusalem et où toutes les nations pourront s’abreuver. Une lumière en accès libre et illimité.
L’alliage du fer et de l’argile n’est pas inconcevable si l’on utilise un troisième élément pour les concilier. C’est la vocation d’Israël, fédérer les nations en les aidant à se comprendre. En attendant cette époque messianique idéale, souhaitons auparavant que les Israéliens parviennent à s’entendre(2) et à inclure progressivement en leur sein les Arabes(3).
Notes:
1. https://www.shalom-israel.info/thanksgiving-et-la-reconnaissance-disrael/
2. « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lévitique 19,18)
3. « Tu aimeras l’étranger comme toi-même, car tu as été étranger en terre d’Égypte. » (Lévitique 19,34)