Femmes, Jérusalem et modernité

Une terre où l’ancien et le nouveau se croisent, s’interpellent, s’expriment sans toujours s’écouter. Eh, il faut bien en convenir, il y a des hommes et des femmes depuis le temps le plus reculé de la destinée humaine.
La Genèse décrit la chose de manière colorée : Adam, le premier homme, reçoit la tâche divine de nommer la création et les créatures (Gen. 2,28). Il ne trouve personne avec qui converser, qui lui soit semblable. La Bible perçoit d’emblée un appel à transmettre la vie, en paroles et en échanges. Oui, mais que faire quand un être de chair et de sang se trouve muré dans son unicité… ? Dieu prend pitié de lui, le fait dormir. Il ne s’agit pas d’une petite sieste. Du tout. Il est question d’un sommeil particulier. Il n’est pas du tout du contrôle d’Adam. C’est un abandon involontaire, imposé, proche d’une sorte de mort à soi.
Puis Dieu le réveille et « mène à lui » « une aide prête à le contredire » (עזר כנגדו), ce qui est dynamique. Il ne faut surtout pas trop fantasmer sur le fait que le mot « aide » en hébreu est un masculin. La linguistique comme la transmission scripturaire, la compréhension des radicaux utilisés sont souvent déroutants. Le réveil d’Adam le rend conscient : « Voilà les os de ses os, la chair de sa chair », mots qui indiquent une vocation à un parcours transgénérationnel.
Lisons attentivement l’Evangile. En célébrant la Pâque, l’Eglise orthodoxe affirme la résurrection du Seigneur. Marie-Madeleine, les trois femmes portant les baumes pour sa sépulture s’approchent. Né d’une femme Vierge, Jésus est porté en terre selon la tradition de ses pères par des femmes qui l’enfantent à la traversée de la mort.
Au troisième jour, Marie-Madeleine se promène dans le jardin (on ne reconnaît plus cet aspect au Saint Sépulcre actuel). Elle aperçoit un jardinier et lui demande où l’on a mis Jésus de Nazareth. Jésus prononce le nom-même de Marie. Elle répond en araméen « ܪܒܘܢܝ – רבוני/Rabbouni – mon maître ». Elle porte un nom comme lorsqu’Adam avait nommé la création sans trouver sa pareille. Marie-Madeleine rencontre le « nouvel Adam » et l’accompagne dans la vie comme dans ce temps de la résurrection… Il n’y a pas de « nouvel adam » stricto sensu : Jésus est un homme, né appartenant à la Loi de Moïse, issu de générations d’êtres humains masculins et féminins. Mais il est « nouveau » au sens où il renouvelle, selon la foi qui le reconnaîtra comme messie. Il y a un processus de dynamisme que nous cherchons sans cesse à définir et préciser et qui reste un « mystère » comme question et sacrement des Églises. Jésus ne se laisse pas saisir. Il confie à la femme Marie de Magdala la tâche de prévenir les disciples et de lancer la « création de l’Eglise » .
Chaque samedi, l’Eglise orthodoxe rappelle le rôle fondateur de Marie-Madeleine, considérée comme « Première parmi les Apôtres » . Elle ne reconnaît Jésus que lorsque celui-ci dit son nom. Eve n’avait pas de nom lorsqu’elle fut présentée par Dieu à Adam et reconnue comme la « chair de sa chair ». Mais Marie-Madeleine croit que Jésus est revenu à la vie, ressuscité car la suite montre qu’il n’avait pas l’aspect d’un vivant habituel. A cette époque il n’y avait pas de smartphone pour fixer l’image de Jésus ressuscité. Mais les mots en disent plus. Il faut les analyser et les accepter ou les rejeter selon des critères qui ne relèvent que de la foi personnelle. La conviction nationale ou populaire est autre dans la réalité chrétienne.
La vie terrestre du Christ s’achève par sa mise au tombeau et les femmes viennent le pleurer et l’enfanter à sa vie nouvelle. Le troisième Dimanche de Pâque leur est consacré, dans l’Orthodoxie byzantine : un rôle essentiel au service du Corps comme de la Présence eucharistique du Seigneur alors qu’il semble s’apprêter à traverser les siècles comme tous les mortels.
La bonne nouvelle de la Résurrection passe ainsi par la femme. Marie-Madeleine voudrait bien retenir le Maître , réflexe très féminin, mais elle a le courage d’annoncer qu’il est bien ressuscité aux disciples un peu désespérés par la disparition de Jésus. La Samaritaine avait eu ce même sens d’annonce de la bonne nouvelle du salut auprès des villageois qui ne connaissaient que trop son parcours.
En ce sens, la vocation d’engendrement des femmes est proche de celle du Christ : il y a un sens unique de la transmission de la vie, de la survie, du miracle perçu comme naturel. Il échappe aux règles de la nature humaine. La tradition juive et orientale – au fond profondément chrétienne – insiste sur ce rôle salvifique. On peut lire avec profit le remarquable ouvrage du Père Paul Evdokimov, théologien russe orthodoxe « La Femme et le Salut du Monde » (Le Cerf), ouvrage toujours actuel.
Le mot d’Isaïe 7,14 « Voici la femme enfantera un fils/ hinne haAlma yalda ben/הנה העלמה ילדה בן » montre ce mouvement novateur, générateur, géniteur, qui traverse le temps et l’espace. « Alma/עלמה » (jeune femme), venue du « monde » (olam\עולם), dévoilant ce qui est « caché\ נעלם » (ne’ilam) et portant en soi plénitude et abondance. En araméen, « Almatho\ܥܠܡܬܐ-עלמתא » ne chicane pas sur la véracité virginale : la foi sémitique sait que rien n’est impossible à Dieu, donc à celles que Dieu a placées pour accompagner l’homme sur le chemin terrestre. L’interprétation et la traduction des mots est devenue au cours des siècles un argument d’altérité, d’opposition, de distance culturelle et non vraiment d’expérience théologique confirmée.
Le Juif pieux en est conscient qui chaque shabbat lit à son épouse l’éloge de la « femme vertueuse/esht khayil-אשת חיל » (Proverbes 31, 10-fin) : « En elle se confie le coeur de son mari, il ne manque pas d’en tirer profit, tous les jours de sa vie » (celle de sa femme, non la sienne).
Il est peut-être significatif que la femme soit apparemment si fragilisée, souvent humiliée ou, au contraire, tentée par la solitude et un pouvoir qui ne serait pas de sa nature. Le siècle commence par la dénonciation souvent puissante et revancharde des maux imposés par la gente masculine aux femmes, à celles que l’on cherche à redéfinir selon un principe gendral qui serait moins physique que culturel ou acquis selon des sentiments ou des idées personnelles. Il reste en cela que la femme donne du jugement, de la cohérence à l’homme. On le voit à travers tout l’histoire du salut, des saintes femmes du judaïsme comme Sarah, Rebecca, Rachel, Léah, mais aussi Judith ou Esther.
Il est fréquent que la femme se sente très seule. Elle est un être « mystérieux » dans ses sentiments, sa pensée, son intelligence, ses émotions, ses entreprises, sa richesse humaine. Trop souvent l’homme oublie qu’il est à son service et non l’inverse. En particulier, le mâle humain doit contenter son épouse physiquement. L’inverse n’est pas essentiel dans le judaïsme traditionnel. Il y a une reconnaissance des capacités d’engendrement uniques de la femme. Ceci est vraiment bafoué, sinon attaqué ou blessé, détruit par les hommes dans bien des circonstances et des pays.
Il y va dans le judaïsme et l’Eglise comme dans la rédemption, de la foi la plus complète, la plus authentique que Dieu a fait la création, ses créatures et les être humains avec bonté et par justice.