Faut-il vouloir la paix à tout prix ?

© Stocklib / Naruedom Yaempongsa
© Stocklib / Naruedom Yaempongsa

Il y a déjà bien longtemps, je fus confronté à cette question durant l’épreuve du baccalauréat en philosophie. Je ne m’en sortais pas trop mal en utilisant la méthode du dialogue, l’un était pour la paix, peu importe les concessions et le prix à payer, qu’il soit moral, politique économique et militaire, l’important était d’éviter la guerre.

L’autre, c’était le patriote, le garant de l’éthique, de la morale et surtout de la volonté de défendre ses idées, de protéger par les armes s’il le fallait sa population et ses alliés mais surtout de ne pas se plier devant les loups qui hurlent et qui font plier les peuples et leurs chefs parce qu’ils ont peur.

Je ne croyais pas que cette question redevienne d’actualité en ce mois de février 2022, et pourtant, voilà, nous y sommes bien : d’un côté, une Russie qui montre sa force et ses moyens, des centaines de milliers de soldats prêts à envahir l’Ukraine, de deux ou trois points séparés, de Biélorussie, de la Crimée et de la très longue frontière russe.

Vladimir Poutine, le Président tout puissant de la Russie, a décidé de changer l’ordre des choses en Europe, qu’elle soit Europe de l’Est ou Europe de l’Ouest. Il ne veut plus être entouré, encerclé comme il le dit par l’OTAN. Il voudrait revenir à la situation durant laquelle l’OTAN n’avait pas prise sur les pays anciennement faisant partie du bloc soviétique.

Aujourd’hui, dans ce qui se nomme la politique de la porte ouverte de l’OTAN, des nations répondant aux critères de l’OTAN ont le droit et la possibilité de rejoindre l’Alliance Atlantique, une alliance militaire entre nations qui autrefois étaient membres du Pacte de Varsovie.

La Russie aujourd’hui refuse d’accepter cette situation et en menaçant d’envahir l’Ukraine, oblige les grands pays d’Europe de l’Ouest à réagir. A l’heure où nous parlons, le Président russe a réussi à faire peur à toute l’Europe qui essaye par tous les moyens d’éviter une guerre.

Si pour Poutine le but est d’éloigner l’influence de l’OTAN des frontières de la Fédération Russe en menaçant l’Ukraine et peut-être d’autres nations liées à l’OTAN dans un avenir proche, pour les européens, les occidentaux et même pour les USA, les buts sont d’éviter la guerre et de trouver un compromis diplomatique.

Un compromis diplomatique impliquerai automatiquement un recul des intérêts de l’OTAN en Europe et un réajustement des présences militaires avec leurs équipements autour et proches des frontières russes.

A l’heure où nous parlons donc, les Russes ont déjà réussi en menaçant l’Ukraine militairement sans aucunement agir sur le terrain, à faire bouger les occidentaux et si il le faut à prendre des mesures qui iront dans le sens de l’apaisement, c’est-à-dire, dans le sens dicté par le Président russe.

L’Europe ne veut pas la guerre, n’est pas prête à faire la guerre donc elle va être dans l’obligation de trouver des solutions qui prennent en compte les considérations sécuritaires de la Russie, comme l’exige le Président russe.

La situation actuelle a montré la capacité d’influence de la Russie face aux leaders européens et américains. Une politique construite sur des bases d’influence médiatique, de fakenews et manipulations d’images avec une dimension psychologique directe utilisée par le Président russe lui-même durant les différents contacts qu’il a eu durant cette crise qui n’est pas encore close pour l’heure.

La longueur des tables du Kremlin utilisées par Poutine étant un des composants de ce travail d’influence et de maintien d’une pression psychologique sur l’adversaire.
La guerre psychologique menée par la Russie est un chef-d’œuvre du genre.

Comment obtenir quelque chose sans devoir tirer un seul coup de feu ?

La pression est telle que les adversaires, tous, les Français, les Américains, les Allemands sauf les Britanniques, semblent dans une crainte de guerre qui les forcent à essayer tous les stratagèmes diplomatiques et médiatiques pour éviter la guerre qui ne veulent pas. D’ailleurs ils l’ont tous dit haut et fort, face à l’invasion ce seront des sanctions économiques, du jamais vu !

Des sanctions face à une invasion c’est déjà une réponse inadaptée au problème. Face au risque économique et financier, la Russie est prête à prendre des risques. C’est un peu comme si la Russie faisait face à une énorme institution bancaire. Une banque n’a jamais arrêté une guerre.

Le manque de politique militaire commune de Bruxelles, les messages multiples provenant de Washington, surtout en début de crise, ont laissé entendre à Vladimir Poutine que personne véritablement ne voulait ou ne pouvait l’empêcher d’agir.

Aujourd’hui l’idée d’un sommet d’urgence entre les Présidents Russe et Américain est à l’ordre du jour. Une rencontre concoctée par le Président Macron. Cette rencontre, si elle se tient comme prévu, devra aboutir, pour éviter le risque de guerre, à des décisions concrètes.

Pour convaincre Poutine de ne pas envahir l’Ukraine, Biden et Macron vont devoir offrir à Poutine ce qu’il veut. Cette rencontre n’est pas un simple déjeuner sur l’herbe mais une transaction : contre la menace de guerre que vont-ils donner à Poutine en échange ? L’Ukraine ? Des garanties pour demain ? Un recul de l’OTAN en Europe sur 10 ans ? Une plus grande liberté d’action en Afrique, au Moyen-Orient ?

Les Occidentaux auraient pu, si Poutine ne s’était pas engagé dans cette aventure, continuer tranquillement à avancer leurs pions et à ne pas voir ce qui se profilait à l’horizon ; pourtant depuis 2014, l’Ukraine de l’Est est en guerre, une guerre avec des morts en Europe qui n’intéressait personne ou presque.

La nouvelle approche de Poutine a mis en exergue la fragilité des nations occidentales, la complexité de la capacité opérationnelle des USA sur le terrain opérationnel et le fait, surtout, que l’Europe occidentale est faible, désunie et fragile face à des menaces de guerre conventionnelle de très grande amplitude.

L’Europe occidentale ressemble un peu à ces images terribles de l’aéroport de Kaboul durant l’été 2021. La fuite dans l’urgence, les avions qui décollent avec des afghans accrochés à la carlingue, et les Talibans qui regardent et qui sourient.
Ces mêmes images, elles ont été vues dans le monde entier et également par le Président russe qui a compris ce jour-là que l’occident préfère fuir que d’affronter l’ennemi.

Cette situation toujours en mouvement et restant extrêmement tendue est également pour Israël un cas d’école. Les grands pays alliés occidentaux montrent de telles faiblesses qu’ils sont prêts à de très nombreux sacrifices pour éviter la guerre : là c’est laisser l’Afghanistan tomber de nouveau dans l’obscurantisme et l’islamisme radical le plus dangereux, là c’est peut-être laisser l’Ukraine se laisser dépecer, de disloquer, être avalée digérée par le grand et puissant voisin, là c’est donner un accord et des milliards de dollars à l’Iran des Mollah, pour se dégager d’une crise qui n’en finit pas et tant-pis si Israël n’aime pas cet accord…

La crise ukrainienne pourrait également donner la Chine l’envie soudaine de passer à l’action et d’envahir l’ile de Taiwan. Qui pourrait l’empêcher ? Le risque de sanctions économiques serait-il le frein à une telle décision chinoise, certainement pas.

Dans ce monde où les Alliances n’ont pas la capacité opérationnelle de véritablement agir, Israël doit être plus vigilant que jamais pour développer et accroître ses capacités militaires tactiques et stratégiques indépendamment de considérations politiques et diplomatiques régionales et internationales.

Ceux qui veulent la paix à tout prix payent souvent le prix fort et sacrifient toujours quelque chose avant qu’eux-mêmes aient à payer le prix ultime.

Dans ce monde de la crypto monnaie, des FST, de la digitalisation, d’amis virtuels il ne faudrait pas oublier les choses réelles .

à propos de l'auteur
Colonel de reserve de Tsahal. Ecrivain, analyste sécuritaire politique et militaire
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