Et si Roger Cukierman était réellement une chance pour le CRIF ?
Lors de la manifestation en faveur d’Israël en juillet 2014, le président du CRIF m’a reproché vertement, devant des officiels et représentants des associations juives, de m’en être pris à lui. J’aurais atteint à l’image du CRIF car j’ai critiqué les actions de son président : « attaquer le président, c’est attaquer et affaiblir l’institution CRIF ». Je persiste et je signe. Et je crois que Cukierman peut en profiter pour sortir par le haut de son 3ème mandat.
Une brève histoire de Roger Cukierman
Roger Cukierman atteindra ses 80 ans lors de la fin de son mandat, il est un militant reconnu sur la Place de Paris. Il a déjà été le neuvième président du CRIF de 2001 à 2007 lors de ses deux premiers mandats.
Il avait succédé, en mai 2001, au talentueux Henri Hajdenberg, président du Renouveau Juif, créateur des Douze Heures pour Israël. En 2007, il laisse sa place à son conseiller en communication Richard Prasquier. Puis il revient le 26 mai 2013 pour 3 ans. Il en est alors le onzième président.
En mai 2016, il devrait donc laisser sa place et ne pas briguer de 4eme mandat comme il l’avait laissé entendre. D’ailleurs, il vient de répondre à une interview de JSSNews : « La durée de mandat au sein du CRIF a été limitée, pour ne pas pouvoir s’incruster pendant 20 ans dans les mandats du CRIF ».
Roger Cukierman a le même discours depuis des années, la lutte infatigable contre l’antisémitisme. Il faut relire ses interventions aux dîners du CRIF ou revoir les archives vidéo pour retrouver ses arguments contre l’antisémitisme ou en faveur d’Israël. A quelques mots près, les phrases sont hélas inchangées.
Il est l’auteur de quelques gaffes comme aux présidentielles de 2002 quand il déclarait à Haaretz qu’il espérait « que la victoire de Le Pen dimanche servirait à réduire l’antisémitisme musulman et le comportement anti-israélien, parce que son score est un message aux musulmans leur indiquant de se tenir tranquille ».
Plus récemment, il avait déclaré que la quenelle d’Anelka n’était pas un geste antisémite. Ce ne sont pas ses conseillers médias ou son staff qui lui ont fait changer d’avis mais ses petits-fils…
Sorti de sa retraite au profit des Juifs de France ?
Roger Cukierman a répondu à JSSNews qu’il n’était pas favorable aux candidats pressentis en 2013 et qu’il se devait de faire don de sa personne pour le bien de la communauté juive de France. Donc de sortir de sa retraite.
Il faut se rappeler le contexte de l’époque : Meyer Habib avait le vent en poupe et il affrontait une très forte opposition au sein du CRIF dont il était le vice-président.
Sépharade, religieux, homme de droite et supporter du Likoud, il avait tout pour ne pas plaire aux dirigeants du CRIF. L’autre candidat en lice, Arié Bensemhoun, président de la communauté juive de Toulouse, un quinquagénaire flamboyant, était un autre rival menaçant.
Il y a donc eu de fortes pressions de membres du comité directeur du CRIF pour sortir Roger de sa douce retraite, et le supplier de revenir à la tête du CRIF.
Le « Tout sauf Meyer » a été fructueux. Meyer Habib n’a pas été élu, il n’a meme pas été candidat. Mais il dispose maintenant d’une tribune nationale, bien plus importante et visible, en étant député de l’Assemblée Nationale française. Stratégie gagnante ?
Arié Bensemhoun a obtenu 39 % au scrutin de 2013, il est l’un des leaders juifs les plus actifs au niveau Européen et dispose de sérieux alliés autour de lui, membres ou non du CRIF.
Bataille d’égos démesurés et de place sur la Tribune devant un micro ou une caméra, jeune garde contre vieille garde, stratégies de lutte souterraine ou au grand jour. Qui peut dire ce que le scrutin du CRIF de 2013 a pu apporter de positif à la Communauté ?
L’Homme du Rassemblement ? Oui, Parfois.
En juillet 2014, alors qu’Israël était encore en guerre à Gaza et que des manifestations pro-palestiniennes dégénéraient à Paris et Sarcelles en violences antisémites, le CRIF refusait de rassembler les Juifs de France dans la rue.
La forte insistance d’associations non membres du CRIF comme le Consistoire et l’UPJF allaient mener à une décision du président d’organiser une manifestation devant l’Ambassade d’Israël.
Très récemment, le CRIF fustigeait dans sa newsletter, dans l’un de ses rarissimes écrits, les associations non membres du CRIF qui l’ont pourtant aidé à rassembler 5000 personnes en juillet.
Nous ne vivons plus en Avril 2002, avec un Le Pen presque assuré d’aller au second tour de la présidentielle, et l’organisation d’une grande manifestation qui rassembla de 50.000 à 150.000 personnes selon les estimations. Le climat politique et l’approche des élections contribuèrent évidemment à ce succès que le CRIF s’attribue aujourd’hui.
Le CRIF a raison sur un point, il est désormais incapable de réussir un rassemblement populaire seul. Et cela malgré les 70 associations qui le composent. D’où la peur du ridicule de se retrouver à quelques centaines. Mais cela n’excuse pas les critiques acerbes des actions de collectifs qui agissent en dehors du CRIF et appellent à manifester, par exemple, devant l’Assemblée Nationale.
Le CRIF, Parlement et plate-forme communautaire ?
En 2010, j’avais, avec mon association, lancé une collaboration avec le CRIF. Il s’agissait de SHOMRIM, journées de formation et d’information, destinées aux leaders et membres des associations juives. Qu’elles soient adhérentes ou non au CRIF.
L’objectif était simple, un partage d’informations, de moyens, de ressources. En synthèse, une plateforme commune de ressources pour l’ensemble des associations communautaires afin de contrer le manque de moyens par un élan commun dans l’intérêt de la communauté.
Un autre collectif avait été lancé, au-delà du CRIF, dont certaines associations ne veulent ou ne peuvent être membres de par leur action internationale ou européenne par exemple.
Mais le CRIF a fait capoter ces initiatives, ne pouvant disposer d’un droit de veto ou de la direction de ces organisations.
Si Roger Cukierman veut finir en beauté son mandat, à lui de devenir le leader naturel et respecté de la communauté en rassemblant les associations membres ou non du CRIF, ses fans et ses opposants, dans le cadre d’un « Parlement Communautaire ». Mise en commun de moyens financiers, techniques ou humains, lancement de projets quitte à être en désaccord et à ne pas y participer, mais sans les torpiller
Une représentativité vraiment représentative ?
Adhérer au CRIF passe par une candidature présentée au Comité Directeur, et implique de disposer d’une ancienneté certaine, de présence nationale, et de moyens pour payer sa cotisation annuelle.
L’influence réelle au CRIF passe par une élection au Bureau Executif ou au Comité Directeur. L’assemblée générale est convoquée pour écouter les discours du président et de ses invités.
Une prime est donnée aux associations les plus importantes, ce qui explique la surreprésentation de l’UEJF, dont l’un des vice-présidents est issu, Yonathan Arfi. On pourrait s’attendre à une influence de la Jeunesse sur le CRIF, ce qui n’est hélas pas le cas.
La lecture des 70 associations membres du CRIF est instructive. Plusieurs associations existent-elles encore comme l’Union nationale des Amis de Tlemcen ou la Fédération des anciens combattants juifs de France ?
A côté de cela, la plus grande institution Juive Européenne, le Consistoire n’a toujours pas réintégré le bercail rue Broca.
Des associations importantes et actives comme l’UPJF, le BNVCA, le Centre Simon Wiesenthal, l’American Jewish Committee ou d’autres ne sont pas dans la liste. Il est amusant de noter que certaines figurent dans un collectif, opposant bruyant au CRIF.
Il fut un temps où le CRIF invitait des associations non membres à des soirées de travail dans le but d’actions communes ou de transmissions d’informations. Ce temps est révolu, le CRIF s’enferme dans sa Tour d’Ivoire. Pourquoi le Président ne profiterait-il pas de sa fin de mandat pour rouvrir les portes de la Rue Broca ?
Agir contre l’antisémitisme dans les prétoires : reprise des actions par le CRIF ?
Le CRIF a, à juste titre, proclamé depuis des années sa priorité dans la lutte contre l’antisémitisme.
Dans les faits, ce n’est pas le CRIF qui agit en justice, mais l’UEJF ou le BNVCA.
Pourquoi ? je n’en sais rien, le CRIF n’entre en procès que lorsqu’il est attaqué lui-même. Ce fut le cas contre la LCR qui perdit son procès contre le CRIF en 2008, contestant les mots d’ « alliance bruns-verts-rouge » prononcés au diner du CRIF en 2003.
Le discours doit être cohérent, le CRIF devrait se porter partie civile contre Dieudonné, Soral, Joe le Corbeau, France-Palestine, le MRAP et ceux qui appellent au boycott d’Israël. Contre ceux qui utilisent Internet pour propager la haine antisémite ouvertement ou sous couvert d’antisionisme. Alors pourquoi ne pas reprendre la lutte au nom du CRIF dans les faits ?
Le dîner du CRIF, évènement mondain ou d’utilité publique ?
Le diner annuel du CRIF est une belle fête mondaine, un banquet républicain unique qui permet à la communauté juive d’inviter les autres communautés religieuses, des membres du gouvernement et du Parlement français et des ambassadeurs étrangers. Sans compter les personnalités et dirigeants d’associations qui y trouvent une assistance rarement vue ailleurs.
Chaque année, le président du CRIF parle d’antisémitisme, d’antisionisme, d’Israël et de désinformation.
Chaque année, le Président de la République (ou son Premier Ministre) lui répond en précisant que la France fait son maximum pour renforcer la lutte contre l’antisémitisme, pour protéger les Juifs de France car « qui touche à un Juif touche à la France » (au Top 10 des gouvernants de Gauche et de Droite), et rappeler qu’Israël doit faire des concessions pour avoir la Paix…
Et si Roger Cukierman innovait cette année ? Transformer ce diner mondain et recherché en un débat public, où les Juifs de France pourraient réellement parler au Président de la République ? un « face au public » dans lequel la France parle à ses concitoyens Juifs directement ?
Le CRIF a-t-il compris les enjeux de l’information 2.0 ?
En 2010, j’avais conseillé à Richard Prasquier, successeur puis prédécesseur de Roger Cukierman, d’investir massivement dans la communication sur Internet. Le CRIF avait un site criblé de failles, piraté à de nombreuses reprises, et une newsletter poussive.
Le CRIF a certes refait son site mais vient à peine de réaliser la nécessité d’une équipe digitale de community managers. Mais le chemin est encore loin jusqu’à une présence forte et active du CRIF sur Internet.
Je suis étonné, de lire que Roger Cukierman déclare à un site Israélien : « Pour être franc, je ne m’occupe pas de la newsletter… Je ne sais pas… Mais je crois qu’on essaye de faire quelque chose de qualité »
Le CRIF déclare lui-même être incapable de rassembler la communauté dans la rue, et avoue ne pas s’intéresser à sa communication digitale ? A-t-il compris où se passe la lutte en 2014 ?
La page Facebook du CRIF est aimée par un peu plus de 15.000 utilisateurs Facebook, le compte Twitter a 5.200 abonnés. La Newsletter ne comprend pratiquement aucun écrit propre au CRIF, mais des copier / coller de la presse nationale ou d’autres sites juifs.
Pourtant, le CRIF ne manque pas d’experts en communication sur Internet en son sein. L’UEJF alliée à Google (mais aussi aux antisionistes du MRAP) dans la lutte contre l’antisémitisme et le racisme peut apporter son aide.
Pourquoi Roger Cukierman ne lancerait-il pas un immense projet de communication 2.0 avec l’aide de professionnels de la communication et de l’Internet pour faire avancer le CRIF dans le 21ème siècle. Là où antisionistes et pro palestiniens comme Soral et Dieudonné ont investi la place avec des millions de vues, Internet est LE terrain de la désinformation sur lequel le CRIF doit devenir leader.
Monsieur le Président, prévoyez une sortie « agréable » du CRIF pour la Communauté
Le CRIF est une belle institution qui vit des moments difficiles. Son rôle de leader de la Communauté est nécessaire, vital même. Mais le CRIF doit se ressaisir, laisser les égos et les honneurs de coté au profit de la coordination et du leadership communautaire.
La Communauté Juive traverse des moments difficiles, où sa survie à long terme est en discussion. Alyah ou survie en France ? Ghettoïsation, assimilation ou tête haute ?
Quelle sera la communauté des futurs présidents du CRIF ? Quel sera le profil du président idéal ?
Monsieur Cukierman, vous avez les mains libres pour achever votre mandat en rassemblant les forces vives de la Communauté. Affrontez les courtisans, laissez les hypocrites dans leur coin et les rancunes au placard.
Osez renforcer la représentativité du CRIF par des réformes douloureuses pour certains, mais nécessaires pour les Juifs de France en cette future année 2015, dernière année pleine de votre 3ème mandat !