Et si Bibi avait raison cette fois ?

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu lors d’une conférence de presse à Jérusalem, le 2 septembre 2024. (Crédit : Sam Sokol/The Times of Israel)
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu lors d’une conférence de presse à Jérusalem, le 2 septembre 2024. (Crédit : Sam Sokol/The Times of Israel)

La société israélienne est à nouveau plus divisée que jamais.

La très brève union sacrée ayant suivi les monstruosités du 7 octobre semble bien loin.

On se déteste à nouveau.

Au milieu de cette cacophonie et de ce chaos, un point de discorde cristallise les tensions : l’accord sur les otages.

Bien que supposées être confidentielles, les discussions du cabinet de sécurité à ce sujet font l’objet de fuites systématiques, quand les querelles entre ministres ne sont pas carrément mises en scène par les protagonistes.

Un lecteur averti aura compris que deux camps s’opposent : les services de sécurité (en ce compris le ministre de la Défense Yoav Galant) et la gauche d’un côté, Bibi et la droite de l’autre.

Les premiers affirment qu’il faut céder le contrôle du corridor de Philadelphie en échange d’otages, tandis que les seconds refusent, ce qui bloquerait tout accord à ce stade.

Qui a raison, et comment comprendre cette altercation dont s’est emparée la société civile en initiant une grève massive le 02 septembre 2024 ?

Pour le comprendre, il faut analyser et comprendre ce qu’est ce corridor de Philadelphie, puis, ce qui anime les deux camps opposés.

Ce corridor représente la bande de terre étroite, d’une centaine de mètres de largeur, qui longe la frontière égyptienne.

Il est, selon les deux camps, l’endroit par lequel transite l’ensemble des produits de contrebande importés par le Hamas, et son unique moyen de contourner le blocus qui lui est imposé depuis de nombreuses années par Israël.

La quantité d’armes utilisées lors des attaques du 7 octobre, puis découvertes au cours des mois de combats dans la bande de Gaza, et le nombre tout bonnement incroyable de tunnels transfrontaliers découverts dans cette zone démontrent l’apparente facilité pour les gazaouis d’importer à peu près ce qu’ils veulent, dès lors qu’ils ont le contrôle de cette zone.

La vision de l’armée, représentée par Yoav Galant au gouvernement peut être résumée par le mot d’ordre des manifestants de gauche : « Akhshav », ce qui signifie « maintenant ».

Autrement dit, nous sommes conscients des enjeux, mais ce qui compte le plus pour le moment, ce sont les otages. Nous nous préoccuperons du problème sécuritaire représenté par l’abandon du contrôle de cette zone une fois les otages revenus à la maison.

De l’autre côté, Bibi et ses ministres de droite, qui depuis le 7 octobre ont intégré qu’il n’est plus possible de laisser vivre une menace existentielle, en espérant trouver une solution future qui règlera le problème comme par enchantement.

Bibi a vécu l’opposition américaine et internationale à l’invasion de Rafah.

Il sait en effet pertinemment que s’il abandonne le contrôle du corridor de Philadelphie dans le cadre d’une première phase d’un accord, il sera politiquement impossible de faire marche arrière.

Le Hamas sera dès lors en position de se reconstruire et de se réarmer, et tout ce qui a été accompli pendant cette douloureuse guerre aura été vain.

Bibi est dépeint dans les médias comme celui qui bloque de son corps la conclusion d’un accord. La raison en est simple : Bibi est celui qui a conclu l’accord de l’otage Gilad Shalit ayant permis la libération d’un certain Sinwar, selon la politique du « Akhshav ».

Le terroriste du Hamas Nael Barghouti brandit le drapeau vert islamique et le drapeau palestinien après son arrivée à Ramallah, en Cisjordanie, après sa libération dans le cadre d’un échange de prisonniers contre la libération de Gilad Shalit, soldat israélien détenu par le Hamas, le 18 octobre 2011. (Crédit :AP/Majdi Mohammed)

Il est celui qui a accepté de transférer des fonds au Hamas afin d’éviter que des roquettes ne pleuvent sur Israël, selon la politique du « Akhshav ».

Il est (principalement) celui qui a laissé le Hezbollah passer d’un stock de 10.000 missiles à plus de 150.000 missiles ; le Hezbollah passant d’une menace stratégique à existentielle, selon la politique du « Akhshav ».

Il est aussi et surtout celui qui a vu à de très nombreuses reprises l’armée prendre des engagements qu’elle n’a pas su tenir par la suite, à la lumière du désengagement d’Israël en 2005, et de la promesse de l’armée de gérer le risque sécuritaire.

Ceux qui accusent Bibi d’agir par considération politique devraient réaliser que c’est précisément ce qui le rend cette fois légitime.

Bibi a failli, et ne veut pas rester dans les livres d’histoires comme celui qui aura à nouveau mis en place une situation sécuritaire qui entrainera dans le futur d’autres catastrophes.

Sa prise de décisions s’inscrit dans un contexte structurel et réfléchi, enfin à rebours du « Akhshav ».

De l’autre côté, les militaires et le ministre de la défense Yoav Galant, qui ont terriblement failli le 7 octobre, ont eux un objectif à très court terme : rendre les otages à leurs familles « Akhshav ».

Ces militaires n’ont ni le sens historique ni le sens politique de Bibi.

Ils n’ont pas d’erreur à réparer autre que celle du 7 octobre, et ne figureront nominativement dans aucun livre d’histoire.

Ils ont un contrat moral avec les familles des otages, quand Bibi a un contrat moral avec l’État d’Israël.

Le Hamas est acculé de toutes parts. Il perd ses armes, son argent et ses otages, récupérés par les forces israéliennes à un rythme plus soutenu que jamais.

Que se passera-t-il s’il utilisait l’un des tunnels encore actifs pour transférer les otages ou Sinwar en Égypte ?

Que se passera-t-il si les USA, en pleine campagne électorale, empêchaient Israël de réoccuper le corridor de Philadelphie après une première phase d’accord ?

Les tenants du « Akhshav » se sont-ils interrogés sur les raisons de l’insistance du Hamas, qui est prêt à tout risquer pour reprendre le contrôle de cet emplacement stratégique ?

Les tenants du « Akhshav » ont-ils oublié les tentatives désespérées du Hamas pour tenter d’empêcher Israël de conquérir Rafah et ce corridor, allant jusqu’à fomenter une campagne médiatique mondiale ayant engendré le fameux « All eyes on Rafah » ?

Les tenants du « Akhshav » qui prônent l’installation de mesures technologiques pour pallier l’absence de troupes ont-ils oublié la piètre performance de ces systèmes le 7 octobre ?

Bibi a peut-être raison cette fois.

Cette position pourra sembler froide et insensible au sort des otages.

Il n’en est rien.

L’auteur de ces lignes est marqué jusque dans son âme par les 101 otages encore détenus dans la bande de Gaza.

C’est précisément cette douleur qui nous enjoint de ne plus retomber dans le confort de la politique du « Akhshav ».

à propos de l'auteur
Arié Krawiec est un avocat d'affaires parisien, marié et père de deux enfants. Passionné par l'actualité et la politique internationale, en particulier celle qui concerne Israël et le Moyen-Orient, Arié a son cœur et son esprit constamment tournés vers cette région. Convaincu que la solution à la crise que traverse Israël ne peut venir des élites politiques actuelles, Arié espère promouvoir de nouvelles idées et de nouveaux débats.
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