Et aujourd’hui, j’ai eu peur

Aujourd’hui, lundi 2 Octobre, comme tous les lundis matin, je me rends à la gare de Lyon Part Dieu afin de prendre mon train pour Paris.
Aujourd’hui, lundi 2 Octobre, comme tous les lundis matin, j’arrive à la gare, je monte sur le quai, puis dans mon train.

Mais aujourd’hui, tout est différent.

Aujourd’hui tout est différent parce que hier, Laura, 21 ans, étudiante en deuxième année d’infirmière à Lyon, est comme moi arrivée à la gare de Lyon Part Dieu, est montée sur le quai puis dans son train en direction de Marseille, afin d’y fêter son anniversaire.

Puis, en arrivant à sa destination, Laura a rejoint sa cousine Mauranne, 20 ans, de Lyon aussi, étudiante en médecine à Marseille, sur le parvis de la gare.
Toutes deux réunies prennent le temps de discuter sur un banc, dans la gare.

Cela aurait pu être une belle journée.
Cela aurait pu être un bel anniversaire.

C’était sans compter la présence de cet homme, difficilement qualifiable d’homme à vrai dire, qui, arrivant derrière le banc, à l’insu des deux jeunes étudiantes, en égorge une, s’en va, puis revient, et poignarde l’autre à mort.

ÉGORGÉE. POIGNARDÉE À MORT.

Voilà le sort de deux étudiantes françaises qui se sont retrouvées à la gare de Marseille en ce dimanche après midi 1 Octobre 2017.

On aurait pu dire qu’elles étaient là au mauvais endroit au mauvais moment. Mais depuis quelques années, il y a trop de mauvais endroits, trop de mauvais moments. Trop de déséquilibrés.

Trop de coups de feu. Trop de condoléances. Trop de familles brisées. À force de ne vouloir mettre des mots sur ces maux qui touchent la France, on s’enfonce dans un mutisme où l’on ne voit ni ne ressent plus rien.

À force de parler de déséquilibrés, on en viendrait à croire que la France est remplie de fous. Mais non.

Si ces “gens” étaient fous, ils n’auraient pas tous les mêmes paroles qui amènent la mort partout où on les entend. Si ces “gens” étaient des déséquilibrés, il y a longtemps qu’ils seraient en asile psychiatrique.

Mais ces “personnes” sont seulement fichées pour délits mineurs, pour délinquance, ou même parfois fichées S mais sans grande surveillance..
Et ces mêmes personnes sèment la mort partout où elles se rendent.

Hier, c’étaient des Parisiens sortis écouter un concert ou boire un verre en terrasse. Hier encore, c’étaient des dizaines de familles réunies pour regarder le feu d’artifice sur la promenade des Anglais à Nice.

Aujourd’hui ce sont deux étudiantes réunies le temps d’un week-end à Marseille.

Et demain, ce sera qui ? Ce sera où ? Ce sera quand ?

Aujourd’hui, lundi 2 Octobre, comme tous les lundis matin je me rends à la gare de Lyon Part Dieu pour prendre mon train pour Paris. Et aujourd’hui, au lendemain de cet attentat qui a ôté la vie à deux jeunes étudiantes, il n’y avait aucun militaire à la gare de la Part Dieu à Lyon. Il n’y avait aucune sécurité. Il n’y avait personne.

Remarquez, il n’y avait pas grand monde dans cette gare non plus. Peut-être que les gens ont eu peur après tout. Moi, j’ai eu peur en y allant, me disant que si ça s’était passé à Marseille, ça pouvait aussi arriver à Lyon, et à Paris aussi.

J’ai retrouvé dans le regard des voyageurs cette peur et cette méfiance vis-à-vis de leurs voisins que j’avais déjà vu dans le métro à Paris au lendemain du massacre au Bataclan. Chacun regardait derrière lui en marchant, chacun cherchait à être au plus près des murs pour ne pas se faire surprendre, pour ne pas se faire attaquer..

Peut-être ont-ils gagné ?

Peut-être qu’à force de détailler autant la vie de ces assaillants, de ces barbares, de ces vermines, de ces lâches, nous en faisons des idoles pour ces jeunes “déséquilibrés”.

Peut-être qu’en retraçant la vie de ces assassins et en leur ôtant toute responsabilité dans leurs actes, nous en faisons des victimes, au lieu de parler des réelles victimes, qui elles n’avaient rien demandé sinon de vivre.

Peut-être qu’après tout, nous allons devoir nous habituer à ces actes d’une lâcheté sans nom, puisque que les autorités n’ont pas l’air disposées à prendre des mesures de protection à la hauteur de leur inhumanité.

Aujourd’hui, lundi 2 Octobre, comme tous les lundis matin je me rends à la gare de Lyon Part Dieu pour prendre mon train pour Paris.

Et aujourd’hui, j’ai eu peur.

Parce qu’hier, ça aurait pu être moi.

Pour Laura. Pour Mauranne.
Pour toutes les victimes de cette lâcheté inconcevable.

à propos de l'auteur
Sarah est la présidente de l'association étudiante des Juifs de l'Université Paris Dauphine et est à la tête du pôle Actualité et Société de l'association IMPACT (Israël Mobilisation Promotion et Action)
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