Entre deux mondes : la fracture silencieuse entre Juifs de diaspora et d’israël

Depuis hier je suis meurtri, déçu. Déçu de ceux que je croyais proche de moi. Depuis des années, et plus encore depuis le 7 octobre, ma vie est en Israël. Je me sens à présent complètement déconnecté, plus en phase, avec mes amis juifs de diaspora.
Depuis le 7 octobre 2023, une blessure s’est ouverte dans le monde juif. Non seulement à cause de la barbarie du Hamas, ni seulement à cause des menaces existentielles qui pèsent sur Israël, mais aussi à cause d’un mal plus discret, plus insidieux : la déconnexion grandissante entre les Juifs de diaspora et ceux d’Israël.
Ce fossé n’est pas nouveau. Il s’est creusé au fil des décennies, entre une diaspora souvent marquée par un judaïsme culturel, intellectuel, libéral, et un Israël forgé par l’urgence de la survie, le service militaire, la guerre, et une identité nationale assumée, parfois brutale. Mais ce qui était autrefois une tension est devenu aujourd’hui une fracture. Et cette fracture devient de plus en plus difficile à ignorer.
Une incompréhension des réalités israéliennes
Nombre de Juifs de diaspora, notamment en Europe et en Amérique du Nord, abordent Israël à travers un prisme moral, souvent abstrait : celui des droits de l’homme, de l’universalisme, d’un judaïsme éthique désincarné. À l’inverse, pour un Israélien, l’éthique commence souvent par la sécurité : protéger sa famille, défendre sa patrie, maintenir une armée forte.
Cette divergence se reflète dans les réactions à la guerre. Tandis que les Israéliens, meurtris et mobilisés, attendent du monde juif un soutien inconditionnel face au Hamas, certains intellectuels juifs de diaspora – journalistes, rabbins, penseurs – publient des tribunes appelant à la « modération », à la « retenue », voire à la « fin de l’occupation ». Des paroles qui, vues de Tel-Aviv ou de Sdérot, sonnent creux, voire comme une trahison.
Le luxe de la distance
Les Juifs de diaspora ont parfois le luxe de la distance. Ils vivent dans des sociétés où le judaïsme est minoritaire, souvent assimilé, parfois marginalisé, mais rarement confronté aux dilemmes existentiels quotidiens d’un État en guerre.
Cette distance géographique et émotionnelle donne l’illusion d’une supériorité morale. Mais elle empêche souvent la compréhension du vécu israélien.
Pour les Israéliens, l’histoire n’est pas une abstraction. Elle est là, tangible, dans chaque abri antiaérien, chaque uniforme, chaque deuil. Ils ne peuvent pas se permettre les naïvetés de certaines postures progressistes. Ils ne vivent pas dans les pages d’un éditorial du New York Times ou de Télérama, ou dans un appartement cossu de Manhattan ou de Paris VIe, mais dans une réalité où un cessez-le-feu mal négocié peut coûter des vies.
Vers une nouvelle solidarité ?
Cette déconnexion n’est pas une fatalité. Mais elle impose un effort des deux côtés. Les Juifs de diaspora doivent comprendre qu’aimer Israël, ce n’est pas exiger de lui une perfection inaccessible, mais l’accompagner dans ses luttes, sans complaisance mais sans abandon. Les Israéliens, eux, doivent aussi tendre la main, expliquer, inviter, inclure.
Car la force du peuple juif, c’est d’avoir toujours su rester un am echad, un peuple unique, malgré les exils, les langues, les coutumes. Aujourd’hui, plus que jamais, ce lien est vital. Israël a besoin de ses frères et sœurs de diaspora – non pas pour le juger de loin, mais pour l’aimer de près.