Emmanuelle Adda : « les journalistes étaient effondrés à l’antenne »

Emmanuelle Adda est correspondante en Israël dans la Matinale Info et RCJ Midi.

Comment vas-tu ?
Emmanuelle Adda : Beaucoup de travail, beaucoup d’émotion à gérer, beaucoup de colère, de rage, de tristesse. Toutes les émotions qui se mélangent. Mais en même temps je fais mon boulot et j’essaye de garder la tête froide, pour le faire le mieux possible. Je prends comme mission d’informer le public.
Depuis le début de la guerre je fais une correspondance régulière sur RCJ en France. après avoir travaillé pendant des années pour le service public israélien, sur Kol Israel et KAN, maintenant j’informe les juifs de France, je sais combien c’est important pour eux. Je suis moins sur le terrain que mes dernières années de militante , c’était compliqué. Il y avait tellement de gens sur les routes. Il y a beaucoup d’organisations qui ont pris en main la solidarité envers les soldats et les réfugiés du sud. Donc j’ai pris comme mission d’informer et j’espère que je le fais comme il faut.

C’est pas la première guerre où l’on arrive à debunker toutes les manipulations du Hamas, je pense à l’explosion de l’hôpital ?
Emmanuelle Adda: en fait, déjà, c’est la première fois que nous avons pu récupérer des images qui viennent de caméras go pro que portaient les terroristes, il y avait dans ces caméras les images de tous les massacres , tortures, viols, exécutions menées par les terroristes.. Il y a quelques maisons aussi dans les kibboutzim qui avaient des caméras internes de protection, il y avait des caméras aussi dans le kibboutz même, donc on a pu regrouper tout ça. La deuxième chose, c’est qu’aujourd’hui avec les drones on peut faire des images en temps réel, tu vois ce qu’il se passe d’un bombardement quel qu’il soit et puis surtout on filme tout maintenant, on a appris de nos erreurs du passé, on filme tout. Donc, par exemple, quand la roquette est partie, elle est tombée sur le parking de l’hôpital, c’était filmé donc on a vu sa trajectoire précise et c’était impossible de dire que ce n’était pas vrai. Faut vraiment être dans le déni total et la mauvaise fois.

Aujourd’hui c’est une guerre des images ?
Emmanuelle Adda: La guerre des images, elle est beaucoup plus facile, parce qu’on a des images et on sait les utiliser, c’est pour ça qu’Israël a décidé de montrer aux journalistes étrangers toutes les images des horreurs commises par les terroristes pour dire à présent plus personne ne pourra dire qu’on ne savait pas, ou nier et dire que ce sont des images truquées, mais la guerre de l’information n’est quand même pas gagnée du tout, les islamistes sont très forts et très nombreux. On nie déjà les massacres, les bébés décapités…c’est écoeurant. Les journalistes doivent faire leur boulot : informer ! Et ne pas chercher à vendre.

Qu’as tu pensé du discours du chef du Hamas, Khaled Meschaal qui assume tout en bloc ?
Emmanuelle Adda: Il a programmé ces horreurs, de son hôtel 4 étoiles du Qatar, même la journaliste lui reproche d’être aller trop loin, non, il assume. C’est un nazi.

Mais tu te souviens quand la journaliste d’Al Arabiya lui demande s’il se rend compte qu’il donne une image terrible de la lutte palestinienne, qu’on les compare à Daesh, s’il veut présenter des excuses aux civils israéliens, et redoute que ça se termine en bain de sang, il « assume tout », comme Bonaparte et termine en affirmant que la victoire des russes, des vietnamiens et des afghans ont couté aussi des millions de vies humaines.
Emmanuelle Adda: oui, à part que Bonaparte, il était sur le terrain et que lui il est caché au Qatar.

Est-ce que tu peux me raconter, en temps que journaliste, comment est-ce que vous avez réagi, dans les rédactions ?
Emmanuelle Adda: écoute, moi j’étais devant la télé, c’était Shabbat de simhat Torah, on était dans l’abri quasiment toute la matinée, on apprenait ce qui se passait progressivement sur nos téléphones, puis ensuite j’ai suivi toutes les chaines israéliennes, dans un état de sidération que j’essayais de gérer pour ne rien perdre de ce que j’entendais, parce qu’en fait l’info venait de cette ligne téléphonique ouverte que les journalistes avaient installée, les habitants des kibboutzim étaient enfermés chez eux et repliés dans leurs abris ils ont appelé la police, leurs voisins, amis, et aussi cette ligne ouverte, ils sont passés en direct à la télé et ils racontaient en direct live ce qu’ils vivaient : « on les entend ils sont dans la cuisine, ils sont devant la porte, s’il vous plait, venez nous sauver, venez nous chercher, je tiendrai pas longtemps, je suis avec des enfants, » les journalistes étaient complètement effondrés à l’antenne, c’était un choc collectif, certains se mettaient à pleurer, d’autres essayaient d’aider au maximum comme Lucy Aharish, elle a sauvé toute une famille parce qu’elle a essayé de faire intervenir une unité militaire dans laquelle était son mari. C’était un truc incroyable d’un point de vue journalistique, je te parle même pas du point de vue humain, on avait jamais vu ça… pour comprendre ce qu’il se passait, il ne fallait pas lâcher la télé, parce qu’on avait pas d’images de là-bas. On avait rien, on avait personne sur place. On avait pas de journalistes sur place, donc la seule chose qu’on avait c’était les témoignages des gens, c’est tout, qui appelaient leurs familles ou qui appelaient la télé, la radio. On arrivait ni à réaliser, ni à comprendre la situation. Au début des événements, on parlait de 10, 20 otages, le chiffre augmentait progressivement. On parlait d’une centaine de terroristes qui avaient franchi la frontière, ils étaient des milliers sans compter les civils gazaouis qui les ont suivis. Les informations arrivaient au compte goutte. Et puis surtout comment comprendre l’absence de surveillance, l’absence de service de sécurité, l’absence de l’armée, on ne comprenait rien. Ils sont restés des heures sans l’aide de personnes. A part bien sur quelques civils qui héroïquement sont allés les aider spontanément. Entre l’effet de surprise, l’horreur et la violence du massacre et l’absence des services de sécurité et de défense, c’était difficile d’appréhender ce qui se passait, et je rappelle que pendant ce temps on courait aux abris parce qu’on lançait des missiles sur nous.

Et en quoi justement, c’est un évènement inédit pour un journaliste ? C’est l’instantanéité ? C’est parce que c’est leur famille ou leurs amis ?

Emmanuelle Adda: oui, nous sommes un petit pays. Tout le monde connait tout le monde. Certains journalistes étaient concernés directement, on en a vu pleurer à l’antenne et plus d’un, et puis en tant que peuple, on était en train de vivre un massacre sur notre sol et on ne maitrisait pas la situation pendant plusieurs heures. Il y a un journaliste israélien dans le sud par exemple qui couvre toutes les guerres depuis plusieurs années, il parlait en direct à l’antenne alors qu’il savait qu’il y avait des gens qu’il connaissait qui étaient blessés ou morts. Il avait du mal à gérer ses émotions, mais il a fait son boulot. Tu les voyais à l’antenne il parlait face caméra et ils tapaient des messages en même temps sur leur téléphone, ils guidaient les forces de sécurité en leur donnant les informations qu’ils recevaient de ceux qui appelaient au secours : aller au kibboutz un tel, telle maison, une famille se cache, ils sont en danger, où des jeunes qui étaient allés au festival de musique et qui se cachaient des terroristes… ils passaient des appels pour donner les coordonnées des gens pour dire où ils se trouvaient. Ils ont fait un travail absolument incroyable au moment même du massacre.

La présence de Macron c’est utile ou c’est trop tard ?
Emmanuelle Adda: c’est certainement utile pour les familles françaises des otages prisonniers, ça doit être réconfortant d’avoir le président français qui se déplace et qui vient les voir. Trop tard ? peut être… On a eu la visite de nombreux chefs d’état, la présidente du parlement européen, la présidente de l’assemblée nationale française (Yaël Braun-Pivet), Macron est le 9e. la France a toujours voulu jouer un rôle au Proche-Orient mais elle n’y arrive pas. La France a des intérêts avec le Qatar qui abrite et finance le Hamas. Macron n’aime pas Benyamin Natanyahou, il préfère Yair Lapid. Mais aujourd’hui nous avons un gouvernement d’union nationale qui mène une guerre vitale, et il faut le respecter. Il a parlé de l’importance de la création d’un État palestinien, c’était déplacé de nous parler de ça alors que nous n’avons ni enterré nos morts, ni libéré nos otages, ni pansé nos plaies. C’était mal pensé d’être allé rencontrer Mahmoud Abbas le jour-même, il aurait dû se contenter de venir en Israël et de faire signe de solidarité et de deuil avec les familles francophones. Il y a un décalage total dans cette réalité. Il est hors réalité, hors contexte. Il aurait dû jouer son rôle de président de la France et venir présenter ses condoléances, et rassurer les familles des otages plutôt que de se mêler de la stratégie d’Israël, ou de parler de l’importance de la création d’un État palestinien. Il y a un temps pour chaque chose. Il n’a pas respecté ce timing. A part les Américains, personne ne peut se mêler de ce qu’on fait, les Américains sont venus nous aider.

La France a des intérêts avec l’Egypte à qui elle livre des avions Rafales…
Emmanuelle Adda: Et n’oublions pas que le Qatar a des intérêts avec la France, le Qatar qui héberge et le leader du Hamas et qui finance le Hamas. Et pourtant ce sont eux qui vont jouer un rôle pour les négociations concernant les otages. Le peuple d’Israël n’aspire qu’à une chose c’est d’éliminer le Hamas, tout le peuple d’Israël, de droite comme de gauche et le monde entier, devra aussi aspirer à éliminer le Hamas-Daesh comme on l’appelle maintenant aujourd’hui, il n’y a pas de discussion là dessus. Après on verra ce qu’on doit faire, comment on doit le faire et chacun peut y aller de ses propositions. Mais d’abord éradiquons cet ennemi international dont Israël aujourd’hui est la victime.

Et suspendre l’entrée dans Gaza pour enclencher de nouvelles négociations, c’est imaginable ?
Emmanuelle Adda: aujourd’hui le scénario prévu, c’est d’éradiquer le Hamas et d’aller chercher les otages, les négociations ont lieu en secret mais à part la libération de 4 personnes sur plus de 220 rien n’avance. Donc il faut bien faire passer ce message là. Tout le peuple d’Israël est uni derrière cette idée : éradiquer le Hamas et le Jihad islamique. Et après quand on n’aura plus de menace existentielle, on pourra discuter.

Israel fait face à plusieurs front aujourd’hui
Emmanuelle Adda: Oui, au nord avec le Hezbollah donc l’Iran et dans les Territoires où de nombreuses cellules terroristes sont installées et armées. L’armée de Tsahal et une armée de journalistes sont sur tous les fronts. Nous n’avions jamais vu autant de journalistes étrangers sur le terrain en Israel.

Le premier discours du Premier ministre après l’annonce de l’incursion, tu en as pensé quoi :
Emmanuelle Adda: oui, il intervient régulièrement. Mais pour la première fois à ce moment-là, il a parlé de manquement et de faute, de culpabilité, même de la sienne… le temps de rendre des comptes et de faire des bilans viendra aussi, il le faudra. Pour le moment nous sommes en guerre. Et tout le peuple est uni comme un seul être.

Tu lis quoi dans le Niklat ?
Emmanuelle Adda: Prophète et prophéties d’Andre Néher. La lecture de la parasha hier m’a interpellée parce qu’elle parle de prisonnier… d’otage.

à propos de l'auteur
Alexandre Gilbert, directeur de la galerie Chappe écrit pour le Times of Israël, et LIRE Magazine Littéraire.
Comments