Dialogue avec Emmanuel Faye
Emmanuel Faye, critique virulent de la pensée heideggerienne, et auteur de « Arendt et Heidegger », chez Albin Michel, déclare, en septembre 2016, dans Le Point : « Il importe de prêter attention aux sources nazies des écrits d’Arendt ».
Il a répondu à quelques-unes de mes questions en ligne.
Peut-on supporter, une fois encore les sous-entendus qui font de l’holocauste, une entreprise d’auto-extermination ?
Emmanuel Faye : Que l’extermination des juifs soit une forme d’auto-extermination (Selbstvernichtung), c’est précisément la thèse de Heidegger dans ses Cahiers noirs, thèse que je combats. Ce que ne fait pas Arendt, bien au contraire, notamment lorsqu’elle prétend dans Eichmann à Jérusalem que Heydrich serait « demi-juif ».
Hannah Arendt justifierait l’auto-extermination des juifs en suggérant que Heydrich serait demi-juif ?
Emmanuel Faye : Arendt ne suggère pas que Heydrich serait « demi-juif », elle l’affirme comme un fait établi. Il s’agit pourtant d’une rumeur qu’aucun historien n’a jamais confirmée et dont je rappelle dans mon livre le caractère infondé.
Rumeur véhiculée habilement par Goering. Croyez vous vraiment qu’elle justifie ainsi le concept de l’auto-extermination ?
Emmanuel Faye : Il est choquant de voir Arendt relayer une affirmation issue de règlements de comptes entre nationaux-socialistes. Sur l’auto-extermination : ce n’est pas exactement ce que je soutiens. Arendt n’est pas Heidegger. Sa thèse problématique est celle d’ « A specific jewish responsibility ».
Pardonnez-vous avec Primo Levi, à C.Rumkovski ses hauts faits de collaboration, pendant la liquidation du ghetto de Łódź, à côté de qui R.Kastner est un saint homme ?
Emmanuel Faye : Les victimes seules peuvent pardonner.
Considérez-vous Arendt comme une victime qui aurait pardonné aux penseurs du Reich ?
Emmanuel Faye : Certainement pas. Arendt tend à récuser le pardon et parle de réconciliation. Voyez le début du Journal de pensée. Or, comment accepter l’idée d’une réconciliation avec un national-socialiste comme Heidegger qui, après 1945, persiste à affirmer « la vérité interne et la grandeur » du mouvement nazi ? »
J.F. Lyotard parle d’oubli immémorial de la pensée juive chez Heidegger et R. Zagury-Orly de forclusion, y voyez-vous une piste pour comprendre cette réconciliation sans pardon d’Arendt ?
Emmanuel Faye : Non.BIBLIOTHEQUE MEDICIS HEIDEGGER