Éloge de l’antisémitisme
Pour ne pas traumatiser ceux qui ne dépasseront pas le titre, je précise d’emblée qu’il est ironique, comme l’éloge du cannibalisme de Swift dans sa Modeste proposition sur les enfants pauvres d’Irlande.
Ce n’est pas par masochisme que je tiens à mettre en évidence les aspects positifs de l’antisémitisme : il ne s’agit pas de souhaiter l’antisémitisme, mais de constater qu’il existe quoi qu’on fasse – tout comme la pluie ou les marées.
Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement de haine des Juifs, mais du phénomène universel désolant qui désigne une minorité comme bouc émissaire responsable des maux de la société. Freud affirmait qu’on peut réunir une masse d’hommes dans l’amour, pour autant qu’il en reste d’autres à haïr.
Alors, plutôt que de se plaindre encore et de déprimer sur la nature humaine, positivons…
Se défendre
Les menaces contre notre propre existence ont pour premier effet positif de nous pousser à la défendre. La création de l’Etat d’Israël visait à ce que les Juifs puissent enfin se défendre des persécutions. Les menaces pesant sur ce pays depuis 1948 l’ont mené à résister et à remporter une série continue de victoires contre ses voisins. La dernière opération de défense à Gaza, en août 2014, a permis de neutraliser les tunnels et l’arsenal accumulé par le Hamas.
Cette nécessité de se défendre est accentuée par le fait qu’on a pu observer, notamment au cours de ce dernier conflit, que la majorité des médias occidentaux se rangeait au côté des agresseurs, fermant les yeux sur les missiles lancés sur Israël avant l’offensive, et dénonçant uniquement des « massacres » commis par l’armée israélienne.
Apprécier l’existence
La deuxième conséquence positive des menaces contre notre existence est de nous la faire apprécier davantage. C’est le ressort secret de notre fascination pour les catastrophes. Tout visiteur est frappé – comme moi – par l’énergie et la joie qui imprègne la vie quotidienne d’Israël, pays dynamique, créatif, qui ne connaît pas la crise économique. Ceci au grand dam du mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS), qui rêve de l’annihiler, comme le reconnaît Norman Finkelstein, dans sa critique d’un mouvement qu’il a longtemps soutenu.
L’absence d’équité dans la relation médiatique du conflit israélo-arabe, et la volonté de supprimer Israël des militants pro-palestiniens montrent que « l’antisionisme » est devenu aujourd’hui le mode principal d’expression de l’antisémitisme.
Europe post-libérale et multiculturelle
Les Juifs qui vivent à l’extérieur d’Israël, au sein d’environnements où l’antisémitisme progresse, éprouvent plus de difficultés à se défendre et à apprécier l’existence. Les Juifs européens, se sentent pris en otages et suspectés, par leur seule origine, de soutenir Israël. D’où les cris de « mort aux Juifs » régulièrement entendus dans des manifestations pro-palestiniennes. Pour se défendre, ils se sentent souvent obligés de se montrer « antisionistes », sans se rendre compte que le fait qu’on les prenne à partie sur Israël est en soi une preuve d’antisémitisme. Pourquoi seraient-ils responsables des actes d’un Etat dont ils ne font pas partie, si ce n’est au nom d’une appartenance « raciale »?
Cette difficulté des Juifs européens à assumer leur existence est d’autant plus difficile que l’Europe semble devenue globalement incapable d’affirmer ses propres valeurs et cède complaisamment à d’autres valeurs. Nathan Sharansky écrit que dans l’Europe post-libérale, « on n’est pas encouragé à aimer sa propre identité. Dans une société libérale, les droits individuels sont une valeur suprême, pour laquelle on est prêt à lutter, voire à mourir. Mais dans l’Europe multiculturelle toutes les cultures devant être tenues pour égales, il est interdit de considérer qu’une culture qui respecte les droits individuels est supérieure aux identités illibérales » (Causeur, janvier 2015).
Exiger l’équité
La haine d’Israël, qui résulte de l’antisémitisme et qui l’entretient, est également favorisée par des motifs électoraux. Pour flatter les électeurs d’origine arabo-musulmane, « on en fait des tonnes sur la Palestine ».
Plutôt que de défendre les valeurs démocratiques communes à l’Europe et à Israël, le monde politique et les médias européens renforcent, par leur critique systématique d’Israël, ce qu’un sociologue français appelle « l’antisémitisme sans antisémites », qui ne serait d’après cette théorie qu’un langage dont personne n’est responsable.
Si la maladie antisémite contamine le langage de l’Europe contemporaine, il est indispensable de porter le remède à ce niveau. La meilleure manière de lutter contre l’antisémitisme actuel, qui s’exprime dans la haine d’Israël, n’est pas de prendre parti pour Israël ou de s’en désolidariser, mais d’exiger l’équité dans le traitement médiatique du conflit israélo-palestinien.