Économie de copinage
Depuis quelques mois, les administrations israéliennes se vident de leurs hauts-fonctionnaires ; les partants ne sont pas irremplaçables mais le copinage dans les nomination devient la règle.
Une curieuse tendance caractérise aujourd’hui la fonction publique en Israël : les hauts-fonctionnaires qui arrivent en fin de contrat, à l’âge de la retraite, voire décèdent, ne sont pas remplacés immédiatement. Il peut s’écouler plusieurs mois (voire années) avant qu’un fonctionnaire titulaire ne soit affecté à un poste vacant.
Directeurs par intérim
Pourtant, les règles de nominations dans la fonction publique en Israël sont claires et efficaces. Un Comité consultatif pour la nomination des hauts-fonctionnaires (en place depuis 1999) vérifie la compétence et l’intégrité des candidats au poste à remplir et propose au gouvernement de nommer le profil professionnel le plus approprié.
Outre le président du comité consultatif, trois autres membres y siègent : le commissaire de la fonction publique et deux représentants du public issus de divers domaines, comme le monde universitaire et la justice.
Seulement voilà, le dit-comité est resté lui-même sans président titulaire pendant deux années pleines ! Suite au décès du président Éliezer Goldberg en mars 2022, il a fallu attendre avril 2024 pour que le gouvernement israélien approuve la nomination du juge Asher Grunis au poste de président du Comité des hauts fonctionnaires. Durant ces deux années donc, c’est le juge Elyakim Rubinstein qui servira de président par intérim du comité.
Autre commission importante au sommet de l’État : le Commissariat à la Fonction publique, qui gère au sein du cabinet du Premier ministre la politique gouvernementale dans le domaine des ressources humaines. Problème : la commission a été dirigée pendant quatre mois (janvier-avril 2025) par un commissaire par intérim, Roy Kahlon, qui ne pouvait qu’expédier les affaires courantes. Kahlon, candidat du Premier ministre, a vu sa candidature rejetée par la Cour suprême en raison de conflits d’intérêts et qualifications insuffisantes ; depuis début mai, le commissariat fonctionne sans commissaire.
Politisation de l’économie
La direction d’une administration par un directeur intérimaire est donc devenue un mode de gouvernance en Israël. Le problème est qu’un président par intérim ne peut pas prendre des décisions importantes, alors que de nombreuses titularisations traînent.
Lorsque des nominations concernent des postes-clé de l’économie israélienne, un impact négatif est vite ressenti sur le bon fonctionnement de nombreuses administrations économiques.
- Bitouah Leoumi :
La Caisse d’Assurance nationale est sans directeur-général titulaire depuis le départ du dernier titulaire du poste (Meir Spiegler) en novembre 2022 ; depuis deux ans et demi, et faute d’un accord avec le ministre de tutelle (Affaires sociales), un directeur par intérim est à la tête de 5.000 salariés et d’un des plus gros budgets du pays (120 milliards de shekels par an).
- Banque d’Israël :
La banque centrale est restée sans vice-gouverneur pendant trois mois ; le titulaire du poste (Andrew Abir) n’a pas été remplacé à échéance de contrat (décembre 2024) et a dû attendre fin mars 2025 pour que le gouvernement le reconduise à son poste. L’importance de la banque centrale pour la stabilité économique en période de guerre n’est plus à démontrer, mais elle n’a pas influencé le Premier ministre Netanyahu qui tentait de nommer un candidat qui soit davantage favorable à la politique du gouvernement.
- Conseil de l’Enseignement supérieur :
La haute autorité publique qui supervise les institutions universitaires (universités et collèges) est sans directeur titulaire depuis 2019. La vacance d’un poste aussi important depuis six ans cause de graves dommages au bon fonctionnement de l’enseignement supérieur en Israël et à la bonne reconnaissance des diplômes.
- Autorité des sociétés gouvernementales :
Beaucoup d’entreprises de l’État (comme les Industries aéronautiques ou la Compagnie d’Électricité) sont administrées par des directeurs nommés directement par le ministre de tutelle Dudi Amsellem ; celui-ci favorise des candidats proches politiquement du gouvernement, même s’ils n’ont pas forcément toutes les capacités requises.
Le retard dans la nomination de fonctionnaires titulaires s’explique bien par le souci des ministres de tutelle d’accorder des postes à des amis ou des proches qui partagent les mêmes idéaux politiques, sans forcément tenir compte de leurs compétences ou qualifications.
En 2025, Israël a basculé vers un État de copinage. Ce n’est plus seulement l’économie qui en est impactée mais tous les domaines de l’intervention publique : la justice, l’éducation, la sécurité, la culture, le culte religieux, etc.
Le savoir-faire ne suffit plus ; tant pis si les moins compétents grimpent les échelons plus vite que les professionnels expérimentés.