Du silence coupable contre Kamel Daoud
J’ai attendu sagement que les personnalités connues et reconnues prononcent leur soutien indéfectible à Kamel Daoud, accusé d’islamophobie par des ignorants, des mal-intentionnés voire des complexés. Je suis restée sage ces derniers jours, à guetter tout éventuel soutien, me disant que le mien n’était que trop petit face à cet homme.
Aujourd’hui, à l’heure où des médias iraniens relancent la fatwa contre Salman Rushdie et face à ce silence ASSOURDISSANT en France, nous n’en sommes plus là. Je commencerai par remercier Raphaël Enthoven, le quotidien El Watan, Serenade Chafik, Alain Finkielkraut et tous ceux qui se sont emparés de ce sujet plus que jamais vital pour la démocratie, les droits de l’homme, les droits des femmes, la laïcité et tout simplement, l’avenir de la France ainsi que celui du monde arabe.
Revenons sur les événements. Kamel Daoud a écrit un texte publié le 31 janvier dernier dans lequel il livre, entre autres, une analyse des événements de Cologne la nuit de la Saint-Sylvestre (« Cologne, lieu de fantasmes »). Un texte que tout un chacun peut retrouver sur le site internet du journal Le Monde.
Le 11 février, un prétendu « collège de scientifiques » (rien que le mode opératoire est odieux) écrit « soudainement » un texte. Ces gens ont bien sûr l’hypocrisie de faire croire qu’ils visent l’article de Kamel Daoud, alors que c’est tout son travail et surtout toute sa personne, entre autres, qu’ils attaquent. Ces gens-là, attendaient, je dirai, tapis, l’opportunité d’une attaque groupée, en horde.
J’aurais voulu avoir le luxe de balayer la bassesse des attaques et la niaiserie des propos de ce collectif mais je ne peux pas, car ce serait nier la dangerosité de ceux-ci. En voici quelques extraits: « Cet humaniste autoproclamé livre une série de lieux communs navrants sur les réfugiés originaires de pays musulmans ». « L’auteur recycle les clichés orientalistes les plus éculés, de l’islam religion de mort ». « Dans le contexte européen, il épouse toutefois une islamophobie devenue majoritaire ». « De quoi Daoud est-il le nom? » « Kamel Daoud intervient en tant qu’intellectuel laïque minoritaire dans son pays (…) » etc.
Quelle argumentation. Depuis quand le fait d’être minoritaire serait-il synonyme d’avoir tort? Et s’il est si minoritaire, pourquoi prenez-vous alors le temps de vous réunir et de vous mettre d’accord, ensemble, sur un texte commun, pour le jeter ainsi à la vindicte populaire? Curieux, curieux, très curieux.
« L’argumentation de Daoud ne fait qu’alimenter les fantasmes islamophobes d’une partie croissante du public européen, sous le prétexte de refuser tout angélisme. » Le problème, Mesdames et Messieurs appartenant à ce collectif, c’est que votre angélisme à vous TUE. Non, quand je vois une jeune fille mineure voilée mariée à son oncle comme j’en ai vu de mes propres yeux dans le monde arabe, ça n’est pas un folklore. Non l’excision, ça n’est pas un folklore. Non les coupeurs de tête, ça n’est pas un folklore.
Car c’est cela que les détracteurs de Kamel Daoud insinuent lâchement. L’heure est grave. Chers Français, emparons-nous de tous nos sujets de société, n’attendons pas après les autres pour le faire, ni politiciens ni intellectuels. Ils ne le feront que si nous en donnons l’impulsion nous-mêmes. Cette tribune est loin d’être anecdotique. En visant Kamel Daoud, nous sommes tous en ligne de mire.
Les stéréotypes que ce collectif de détracteurs accusent Kamel Daoud de « recycler », ce sont, bien au contraire, ces personnes qui les alimentent. Pour couper court à tout débat sur l’islam, ou sur l’islamisme. Peut-être que ces gens sont encore noyés dans le complexe de la colonisation, même devant ceux qui décapitent. Des gens qui, en fait, voudraient, dans le fond secret de leur cœur, que ces « gentils petits arabes restent à leur place » et ne prennent pas le chemin de la démocratie et de la laïcité.
Or toute critique est bienvenue, l’essentiel étant la bienveillance. Il y a un réel problème si on ne lit pas clairement la bienveillance dans les écrits de Kamel Daoud, à travers ses dénonciations. On veut ainsi « tuer le messager ». Essayer d' »annuler » le message en tentant de tuer intellectuellement le messager. C’est une erreur intellectuelle grave qui relève d’une forme de négationnisme. J’ai aussi lu un article dans Libération, qui sous un titre prétendant le défendre, est en vérité d’une tiédeur sans nom. Alors je me permets de répondre à cette horde de détracteurs, ou de « semi-détracteurs-mais-c’est-un-peu-de-sa-faute-quand-même ».
Ne pas dénoncer, c’est faire le jeu du Front national qui, lui, n’hésitera pas à dénoncer ce type de sujet. Ne pas dénoncer les propos violents sur Facebook contre Kamel Daoud et le silence de la France, c’est soutenir le viol, l’excision et toutes les violences que subissent les femmes dans le monde. Ne pas dénoncer, c’est reproduire l’atmosphère pré-attentat de Charlie Hebdo.
Jeter Kamel Daoud dans la fosse aux lions, c’est un renoncement, une abdication à faire évoluer les sociétés arabes, non pas en tant que « néo-colonisateur » mais, bien au contraire, en soutenant de manière indéfectible les forces qui se battent pour que le chemin de la démocratie et du respect des droits existe.
Jeter Kamel Daoud dans la fosse aux lions et l’y abandonner, c’est tuer la pensée. C’est prendre une part de responsabilité dans les menaces qui sont émises à son encontre. Laisser condamner quelqu’un qui fait avancer la société est un crime sociétal, un crime intellectuel, surtout dans le climat actuel. Car quand on passe sous silence les maux des sociétés arabes, on les nie. On les efface.
A tous ceux qui menacent les esprits éclairés d’ici et d’ailleurs, il faut que le message soit clair. Il y aura toujours d’autres personnes pour prendre le relais de la dénonciation de la violation des droits des femmes, des hommes et de quiconque.
S’attaquer à Kamel Daoud, c’est s’attaquer à l’esprit des Lumières et à la bienveillance d’un homme envers les siens, et qui connaît et vit son sujet. NON, Kamel Daoud ne se fera pas attaquer dans le silence.
Petites gens, grandes gens, soulevez-vous. C’est par là que nous honorons aussi, la mémoire de nos morts, de Charlie, de l’Hyper Casher, de la jeune policière et de tous les morts, nos chers morts, fusillés dans les terrasses de café ou dans une salle de concert. Et à tous les blessés qui luttent aujourd’hui encore. Car ils ont été tués parce que libres. Libres de sortir, de parler, de rigoler, d’écouter de la musique. C’est la même chose qui dérange chez Kamel Daoud, sa liberté.
Vive les esprits éclairés et vive l’Islam des Lumières.
Cher Kamel Daoud, faites exactement ce que vous voulez. Vous parlez d’abandonner, écœuré, le journalisme, je le comprends et le respecte. Personne n’a aucune leçon à vous donner. Mais sachez que vous avez ici en France, des soutiens, aussi petits et grands je l’espère, soient-ils.
Kamel Daoud, vous dérangez des prétendus bien-pensants malveillants qui se croient de gauche, mais qui encouragent clairement l’islamisme, qui en prennent une part de responsabilité. Le texte publié par ce collectif est en vérité un hommage envers votre travail et votre personne.
Cher Kamel Daoud, je voudrais mettre un panneau « please disturb » sur tous les lieux communs de la pensée stéréotypée. Dérangez, dérangez Kamel Daoud, nous vous y invitons.
Cet article a été publié sur le Huffington post.