Du roman au journalisme : aller-retour
Paris le 18 juin 2019
Flashback
Fin septembre 2000 : Frappée de plein fouet par le blood libel al Dura, j’abandonne le champ romanesque pour me recycler en journaliste. Près de 20 ans plus tard, me voilà repoussée, par la force de l’actualité, vers le romanesque. Je ne regrette rien. Je me suis acquittée honorablement, je crois, du devoir assumé de plein gré. Des milliers d’articles et cinq ouvrages, d’innombrables conférences, interventions à la radio, à la télévision, des rencontres, des voyages et même, pendant un temps, des honoraires. Sans perdre mon accent littéraire, je me suis pliée aux règles du métier. De romancière inconnue je suis devenue témoin internationalement apprécié par des centaines de milliers de lecteurs. Un peu grisant, je l’avoue.
Aujourd’hui, les médias, malmenés par des courants contraires, jettent les journalistes par-dessus bord. Les pigistes aussi sont de trop. Tout le monde devient bloggeur, libre de s’exprimer gratis dans un espace virtuel où la parole de l’un recouvre les mots de l’autre comme autant de feuilles mortes, et ce n’est pas tout. Ce qui reste du journalisme se réduit trop souvent à des commentaires sur des commentateurs commentant des commentaires. Quand ce ne sont pas des dépêches d’agences à peine remaniées. Et pourtant, il en reste des valables et mon propos n’est pas de tout balayer d’un revers de main et certainement pas d’accuser les médias. Car, et c’est pour cela que je reviens à l’art du roman, ce n’est plus la faute à personne.
Il s’est passé quelque chose qui nous dépasse. C’est une man-made fatality. Ce n’était pas une fatalité en 2000, en 1980, en 1953… mais maintenant, si. Epuisée, la volonté de manipuler l’opinion publique, d’imposer une idéologie, une vision, une version de la réalité. Ça roule tout seul. Une sorte de perpetuum mobile nourrit pages, écrans et esprits. Exaspérée, peut-être, l’actualité s’écrit et se déroule toute seule.
La politique
Passons au concret : le scrutin du 26 mai. On le scrute en termes de pourcentages et les conséquences s’en tirent automatiquement. Le bon vieux partage droite-gauche marche toujours pour les chaussures mais en politique c’est fini. Remplacé par le duel LREM / RN ou bien, si vous préférez, progressistes / populistes. Quant au clivage centre gauchedroite / extrême droite, c’est vieux jeu. Contentons-nous du binaire LREM / RN en rajoutant une dose d’écologie, c’est tendance. Conclusion : Laurent Wauquiez doit démissionner (personne ne l’aime… sauf les militants… mais ils sont moins nombreux qu’autrefois…). Aussitôt dit aussitôt fait. Mais ça ne suffit pas. Les municipales s’approchent, les maires LR vont se sauver en courant, qui vers LREM qui vers le RN. On publie une tribune signée par 72 maires qui jettent leur veste LR comme des adultères leur alliance. Youpi, c’est l’hémorragie.
Pour le reste, le débat fait rage. Les Républicains devraient-ils aller tous chez Marine Le Pen ? Pourquoi donc ? Parce que, selon untel—qui par ailleurs a toujours liked les Gilets Jaunes—leur sacré François-Xavier Bellamy est le plus réactionnaire LR depuis 1926. Selon d’autres parce que les deux partis sont d’accord sur tout. Ok, pas tout mais sur quelque chose que certains appellent l’immigration et d’autres l’Islam radical, mais comme c’est l’atout de Marine et l’erreur fatale de Wauquiez-Bellamy, il doit forcément les unir.
Tenez-vous bien : la ligne Wauquiez n’a pas tenu parce qu’il l’a droitisée. Les électeurs votent Marine Le Pen parce qu’ils veulent l’extrême droite, la vraie. Les Républicains doivent faire alliance avec le RN parce que plus rien ne s’y oppose. Et s’ils traînent les pieds, on a un plan Maréchal pour les sauver. Désignée d’office la seule capable de coiffer (vous avez vu la mèche blonde à la Veronica Lake ?) cette nouvelle droite qui gagne, elle saura enjamber sa tante comme un alpiniste dans la file d’attente au sommet de l’Everest. La tante voit la petite mignonne plutôt comme passerelle mais ce n’est pas sûr que de nos jours, jeunesse se passe. Sinon, et puisque on est dans l’univers de la fiction, parions sur un tiercé Macron / Marine / Marion.
De toute façon Les Républicains sont morts. Les gens qu’on aime meurent. Pourquoi pas les partis politiques, qu’on n’aime guère ou bien de temps en temps et seulement en faveur du pourcentage des voix ? Le Front National, par exemple, est mort plus d’une fois. Le voilà aujourd’hui en pleine forme suite à sa mutation miraculeuse grâce au passage du bâton de Jean-Marie à Marine. Longtemps persona non grata (on se demande pourquoi) et maintenant au seuil du pouvoir suprême, sauf que… Sauf qu’il manque un chouia de force vitale. La brillantissime Marion l’a dit : le RN passera… mais ne passera pas sans un apport, une alliance, un supplément de voix. Et alors, on va lui donner à manger le cœur des Républicains. Ainsi nourri, comme un guerrier vaillant, le Rassemblement rassemblera et vaincra le méchant mondialiste Macron. Sans oublier les Verts qui vendent leurs salades à droite et à gauche. Bof, chacun mangera quelques feuilles, histoire de donner des gages aux néo-Malthusiens. Et les carnivores poursuivront allègrement leur chemin. Ce qui nous mène à LREM.
50 nuances d’acoquinage
Depuis la chute de la Maison Fillon, des LRs mécontents deviennent peu ou prou des Macronistes installés, intégrés ou bien s’agitant sur les marges comme des pas tout-à-fait invités planqués devant le buffet. Les récentes déconvenues ont gonflé le contingent de wallflowers en attente d’un cavalier. Se disant dans l’opposition alors qu’ils viennent de la quitter et point séduits par les sirènes Le Pen, ceux-là attendent peut-être que les 90% des Républicains restants viennent les rejoindre pour créer le parti de leurs rêves, une sorte de famille recomposée dépassant le clivage progressiste / populiste, à cheval sur le tiercé gagnant, guérie de la guerre des chefs (tiens, on pourrait faire comme les Le Pen, juste un chef de famille respecté comme au bon vieux temps).
Si les Gilets Jaunes n’ont pas réussi en 30 épisodes du feuilleton « Macron démission », c’est que notre jeune président est indéboulonnable. Mieux vaut critiquer Laurent Wauquiez que de reprocher au gagnant les dizaines de millions d’euros de dégâts, l’Arc de triomphe profané, les Champs Elysées saccagés, le commerce asphyxié, l’image de la France souillée, les forces de l’ordre humiliées et des drapeaux palestiniens hissés aux quatre coins des samedis jaunes. C’était long, cette histoire de rires jaunes, mais c’est quasiment fini et, tout compte fait, le président des riches n’a pas démérité. Notre Batman national, qui a achevé son président socialiste avant de tuer la gauche vient de massacrer la droite. Il a toutes les cartes en main !
A bas les réacs
Et vogue le quinquennat. L’une des erreurs de ce Bellamy d’une autre époque était de croire au débat d’idées (que veux-tu, c’est un philosophe), voire de s’imaginer que les questions dites sociétales ne sont pas résolues une fois pour toutes. Une chercheuse, habilitée à parler pour la société tout entière, le dit : c’est réglé. Qui n’a pas dans son entourage un couple dont l’enfant a été couvé dans un ventre airbnb ? Personne ne va à l’église. La famille papa-maman-bébé c’est archi-réac. De nos jours c’est le patchwork, le collage, le cocktail, le milkshake. Finis les enfants du devoir conjugal. On les commande au comptoir pardi !
Le LR, autrefois (c’est-à-dire avant-hier) accusé de chasser sur les terres du RN, est maintenu risible à cause de son manque de ligne. Ainsi, LREM, en manque de maires et de maillage territorial, embrigadera ceux des déclarés morts LR qui, en changeant d’étiquette, changeront automatiquement de ligne ou bien gardera l’ancienne tout en devenant respectable.
Nos valeurs chéries
Le quotidien qui se croit le centre du monde est ému par le sort des « jeunes Français » condamnés à mort en Irak. N’oublions pas l’autre, condamné par la fronde pour avoir suggéré dans un moment de faiblesse qu’on pourrait éventuellement priver de nationalité française quelques binationaux partis faire la guerre du côté de Daesh et coupables d’actes de torture et barbarie. Quelle idée ! Trahir nos valeurs précieuses en voulant punir les traîtres ! Non, sacrebleu, pas des traîtres, des jeunes Français, victimes d’un tribunal irakien de pacotille, dignes de nos larmes et de nos valeurs. Nous sommes contre la peine de mort. Toujours et partout, contre. Sauf pour les Républicains. Signe de largesse, on est prêt à récupérer des orphelins, les maires par exemple, jugés aptes à la réinsertion.
Le retour du refoulé
Il ne faut pas croire que le consensus ici analysé est le résultat d’un parti-pris quelconque. Si ceux qui hurlaient avec les loups jaunes, hier, sont lovés aujourd’hui contre la gorge du parti au pouvoir comme des transgenres en politique, ce n’est pas par volonté de nuire ou d’améliorer. Ça roule tout seul. Les chiffres tombent et les têtes suivent. Les sondages votent et les citoyens acquiescent. Ceux qui liked les Gilets Jaunes cliquent maintenant sur la petite main « Marine » et si X ou Y pense que c’est plutôt Macron qui a tiré les marrons du jeu, gare au retour en force des GJs… inféodés… à qui ? Note en bas de page : l’extraordinaire M.M. se dit déçue que La Manif pour tous n’ait pas marché main dans la main avec les GJs. Hmmm ? La tante, ayant snobé les papa-maman-bébé, a débordé de bienveillance pour les Gilets Jaunes de toutes les nuances, au point de dénoncer les violences policières.
M’enfin, il y a plus grave. Le New York Times renonce à publier désormais, dans son édition internationale, des caricatures politiques. On déplore la fin de l’insolence. Si on ne peut pas se moquer d’un Netanyahu en chien guide tirant un Trump aveugle coiffé d’une kippa, c’est la mort de la liberté d’expression. Déjà qu’on n’avait pas le droit de rigoler sur la Shoah. Le politiquement correct a tué la joie de rire de tout et de tous. Dire qu’on est arrivé à ça dans nos démocraties ! Nos confrères, tellement émus par cette tragédie (à ranger sur la bande annonce des apocalypses juste après la fin de la planète) ont oublié qu’on a zigouillé les Charlies.
En 2015 de notre ère. Exécutés, les rigolos, dans leur salle de rédaction infidèle. Mises à mort pour avoir publié des caricatures d’un certain gars dont on ne voit plus la tête barbue grossièrement dessinée. On a compris que la caricature de Qui-vous-savez est désormais passible de la peine de mort.
Mais l’insolence avait encaissé le coup.
L’insolence a survécu. Jusqu’au jour maudit où le New York Times a cédé à la pression de… devine qui ?
Fin du premier chapitre du roman en cours