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Du bon usage de la parole contre l’homophobie

La Torah nous enseigne que les mots peuvent tuer

Shalom à tous,

Je remercie le rabbin Delphine Horvilleur de m’avoir donné spontanément la parole auprès de vous ce soir car, justement, tout tourne autour de ce point-clé : la parole.

La Torah nous enseigne que les mots peuvent tuer.

« La médisance tue 3 personnes : celle qui la profère, celle qui l’écoute et celle dont on parle », nous dit le Talmud.

L’actualité triste de ces derniers temps ne cesse, en effet, de nous rappeler le poids des mots.

Aussi, je souhaite ce soir redonner aux mots leurs lettres de noblesse. Car les mots, lorsqu’ils sont bons, peuvent être une aubaine pour l’âme.

Le silence lui-même peut parfois être une aubaine pour l’âme !

Il est des silences qui font réfléchir, d’autres qui tendent à ne pas heurter.

Mais d’autres silences, hélas, nous privent d’une parole salutaire… et révèlent un tabou.

Or, certains tabous font des ravages

Apres la Seconde guerre mondiale, lors du procès de Nuremberg, la tragédie des « triangles roses », les homosexuels, fut passée sous silence.

Cela fut fait à dessein car les vainqueurs poursuivaient eux-mêmes dans leur propre pays des politiques homophobes. Aucune stèle, aucun monument ne fut érigé en leur mémoire

Après la tuerie d’Orlando, il fut assez surprenant, le lundi matin, de constater, dans les Unes de la presse française, l’absence totale d’un mot, d’une expression, pourtant essentiel à l’appréhension de cet événement.

Le Figaro affiche : ‘Attentat islamiste à Orlando, la terreur et la haine’

L’Humanité titre: ‘Tuerie de masse dans une boite de nuit en Floride’

Le Parisien dénonce: ‘Les Etats-Unis frappés par la pire tuerie de leur histoire’

Les Echos traitent d’une ‘Nuit d’horreur en Floride’

Libération mentionnent une : ‘Plaie béante’

Si sensationnelles que soient ces présentations, elles ne rendent pas compte du problème de fond. Et c’est bien ce qui provoque l’effroi – pour ne pas dire un certain écœurement.

Ne pas préciser que la fusillade a eu lieu dans un club où se réunit une communauté homosexuelle, c’est nier que les victimes furent tuées PARCE QUE supposées homosexuelles.

C’est nier que les homosexuels sont une cible.

C’est donc nier que l’homophobie tue.

Cet étrange déni n’est pas sans rappeler « l’affaire Ilan Halimi » dont nul ne souhaitait, au départ, évoquer l’aspect antisémite. L’acte fut sobrement qualifié de « crime crapuleux »…. avant que la Justice se ressaisisse et retienne finalement, dans son verdict, la circonstance aggravante d’antisémitisme !

Nous étions certes en 2006. Mais je constate encore, dix ans plus tard, cette même frilosité. Cette même difficulté à nommer les choses.

Ne pas prononcer le mot « juif », comme ne pas prononcer le mot « homosexuel », cela participe du même procédé.

C’est de la désinformation.

Il existe pourtant une parole qui non seulement ne craint pas de prononcer les vrais mots, mais qui assume de s’opposer. De résister.

Le Président du Consistoire, ainsi que le Crif, n’ont pas eu le courage de cette parole là, face aux propos de Monsieur Sitruk.

Ils ont plutôt brillé par un silence assourdissant….

Je les enjoins donc à relire « J’accuse » d’Emile Zola.

Mais, ne nous y trompons pas, il existe aussi une parole qui, par excès, devient bruit, tapage et nuisance.

Aux USA, quelques mois avant le massacre d’Orlando, certains journaux se sont livrés à un débat stérile et tapageur relatif à la récente loi votée en Caroline du Nord qui interdit aux personnes transsexuelles (dont le changement d’état civil n’a pas encore été effectué) de se rendre dans des toilettes publiques correspondant à leur identité de genre ! Un débat inutile et tout à fait malsain, n’ayant pour seul mérite que de stigmatiser les personnes transsexuelles et de révéler au passage la façon indécente dont celles-ci sont traitées Outre-Atlantique. Cela a contribué à diffuser un climat homophobe.

Souvenons-nous aussi de la France de 2013 et de cette sur-médiatisation autour du « Mariage pour tous », qui n’a fait qu’entraîner une recrudescence abjecte de l’homophobie, en paroles et en actes.
Il existe enfin une dernière parole : celle des élites religieuses qui, lorsqu’elle s’érige en parole de vérité, produit elle aussi ses effets pervers.

Il est incontestable que les discours engagent et que les religieux, de par leurs mots, portent une grande part de responsabilité.

On se souvient des sorties du cardinal Barbarin, primat des Gaules : « Après, ils vont vouloir des couples à trois, à quatre. Un jour peut-être, l’interdiction de l’inceste tombera ! » De telles déclarations ont stimulé et fait les beaux jours de la « Manif pour tous ».

Du côté de l’Islam, le Code Pénal, de nombreux des pays à majorité musulmane continuent de condamner -souvent à mort- l’homosexualité.

Quant au Rav Sitruk, il affirme ceci : « La Torah considère l’homosexualité comme une abomination et un échec pour l’Humanité ». Il considère la Gay Pride de Tel Aviv comme une « tentative d’extermination morale du peuple d’Israël » et invite au passage à l’acte dans un style très salafiste: « J’espère que les auditeurs écouteront mon appel au secours et réagiront de façon radicale à une telle abomination ».

Le corollaire de ces paroles religieuses décomplexées, c’est qu’elles tuent toute velléité de vie spirituelle chez les LGBT. Quand elles ne les tuent pas tout court.

Est-ce donc cela l’intention cachée ? Nous damner ? Nous excommunier ?

J’aimerais m’attarder encore sur la parole de Monsieur Sitruk, qui m’a beaucoup occupé ces dernières semaines. Elle est l’arbre qui cache la forêt.

  • Une partie de la communauté s’est indignée.
  • Une autre est restée indifférente.
  • Une autre encore a continué de soutenir aveuglément le Rabbin.

Cette dernière prétend que Monsieur Sitruk est libre de ses paroles. Que sa parole est « libre » !

Elle l’est, de fait, un peu trop…

…Puisqu’elle s’affranchit d’une valeur fondamentale du Judaïsme : « Aime ton prochain comme toi-même » !

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Voici quelques perles relevées sur les réseaux sociaux (les pires avaient été déjà supprimées)

David: « Oui la Torah est homophobe ! Oui l’homosexualité est une dépravation et une abomination ! Celui ou celle qui conteste cette réalité ne peut se dire juif ! »

Freddy : « Vous voulez évoluer, très bien. Aujourd’hui, il vous faut un homme avec un homme. Demain il vous faudra une vache et vous direz c’est normal. C’est l’évolution ! »

Nathalie : « Dans quelques années, vous allez aussi défendre l’inceste et la pédophilie, bande de tarés ! »

Je passe sur cette charmante internaute m’expliquant, le plus sérieusement du monde, que si j’avais assidument suivi les cours du Rav Sitruk, « je ne serais pas pédé aujourd’hui ! » ….

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Devant un tel déferlement de violence :

Comment rester dans la communauté ?

Comment entrer dans une synagogue ?

Comment un adolescent peut-il dédramatiser son orientation sexuelle?

Les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles se suicident en moyenne 4 fois plus que le reste de la population. Chez les adolescents, les violences homophobes sont la première cause de suicide.

Suite à la polémique qu’il a provoquée, Monsieur Sitruk n’a pas eu la moindre parole réconfortante. Sinon une parole convenue, assez bateau, et volontairement vague :

Je tiens d’abord à revenir un instant sur mes propos de la semaine dernière. En effet, j’ai toujours milité pour l’unité de la communauté et tous les Juifs, quels qu’ils soient, en font partie.

A aucun moment, le mot « gay » ou « homosexuel » n’apparaîtra.

En clair : même dans un mot d’excuses…. « nous » n’existons pas !

« Mal nommer les choses, écrivait Camus, c’est ajouter au malheur du monde. Ne pas nommer les choses, c’est nier notre humanité. »

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Heureusement parfois, la parole émerge.

Elle devient salvatrice, réconfortante… De ces paroles justes qui nous font croire en l’humanité.

Je songe aux mots apaisants d’éminents rabbins, tels que Delphine Horvilleur ici présente, Pauline Bebe, Gabriel Farhi, Yann Boissière (tous issus du courant libéral) et dans une autre mesure, celles de l’actuel Grand Rabbin de France Haïm Korsia.

Je remercie également à l’UEJF qui a condamné les propos de Mr Sitruk.

Je ne résiste pas à l’envie de vous lire la lettre qu’un membre de votre communauté, Régis, (le MJLF de Beaugrenelle) m’a adressée personnellement :

« Cher Président,

Je vous contacte car je voudrais adhérer à Beit-Haverim et n’ai pas trouvé sur votre site le bulletin d’inscription 2016.

Je suis Juif libéral et hétérosexuel, marié et père de 4 enfants.

Ma démarche peut vous surprendre, mais elle a été déclenchée par les deux évènements récents…

….En tant que Français, en tant que Juif, je ne peux pas rester indifférent à ces évènements.

Nous nous devons tous de porter les couleurs de la tolérance.

A mon sens, être Hétérosexuel et adhérent à Beit-Haverim est compatible, mais si vous pensiez différemment, je le comprendrais.

Je voudrais, pour conclure, terminer par des paroles de la Torah, qui sont source d’inspiration et de sagesse, quand les hommes les lisent avec leur cœur :

Vers la fin de la parapha Nasso que nous avons lu ce samedi la Thora parle longuement des offrandes des Néssiim (des Princes, chefs de tribus) le jour de la sanctification du Michkan (tabernacle). Étonnamment, bien que chacun des 12 chefs apporte exactement le même sacrifice, la Torah nomme chacun séparément, dans des versets pratiquement identiques répétant leurs offrandes identiques.

Nous savons qu’il n’y a aucun mot en trop dans la Torah. La Torah n’aurait-elle pas pu mentionner l’offrande la première fois, puis nous dire que tous les autres Néssiim firent exactement la même offrande ?!

Mots semblables, présents semblables même les actions sont semblables mais chacun les fait différemment. En ce sens que chaque personne est unique, chaque personne a sa propre richesse et sa propre façon de faire. Chacun s’inscrit dans la collectivité avec sa propre personnalité.

En outre nous comprenons qu’Hachem éprouva le même plaisir devant le sacrifice du premier Nassi (Prince), que devant ceux de tous les autres Nésiim. C’est pourquoi la Torah jugea approprié d’énumérer chaque offrande séparément.

En puisant directement dans ce texte, j’ai finalement trouvé la plus belle des réponses aux propos de Monsieur Sitruk : Hétéros ou Homos, Homme ou femme, Blanc, Noir ou Jaune, nous sommes tous égaux devant D, malgré nos différences »

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Voilà plusieurs semaines qu’il pleut dans nos cœurs. Mais sans cette pluie, nous ne pourrions voir notre bel arc-en-ciel multicolore, symbole des « gays, lesbiennes, bi et transsexuels » dans le monde.

Symbole originel de notre alliance avec D… Merci à vous.

Discours à la synagogue MJLF de Beaugrenelle

à propos de l'auteur
Alain Beit est président du Beit Haverim , groupe juif LGBT, depuis a 4 ans. Issue d'une famille traditionnelle, il defend les droits des LGBT juifs dans la communauté française. Il a participé à la rédaction du livre "Judaïsme et Homosexualité : 40 ans d'histoire avec le Beit Haverim"
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