Droit international : l’impuissance en action

Les représentants des États-membres lors d'un vote sur une résolution portant sur Gaza pendant une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies au siège de l'ONU, le 22 décembre 2024. (Crédit : Yuki Iwamura/AP)
Les représentants des États-membres lors d'un vote sur une résolution portant sur Gaza pendant une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies au siège de l'ONU, le 22 décembre 2024. (Crédit : Yuki Iwamura/AP)

Depuis des jours, les commentaires vont bon train sur les plateaux de télévision israéliens ou français pour tenter d’analyser l’attaque israélienne sur l’Iran qui s’est déclenchée le 13 juin 2025. Bien évidemment, l’arsenal nucléaire iranien, qu’il soit sur le point d’être opérationnel, en cours de constitution à une échéance de quelques mois ou bien tout simplement fantasmé, occupe une place de choix.

Et chacun y va de son appréciation sur le pourcentage d’enrichissement d’uranium atteint par les ingénieurs et les militaires iraniens, alors que les informations réelles sur la capacité de l’Iran de disposer de la bombe atomique à court ou moyen terme restent au mieux très imprécises.

Ce facteur de bombes nucléaires potentielles a certainement beaucoup joué dans la prise de décision des autorités israéliennes, au point qu’une majorité de leur discours mentionnent systématiquement cet argument comme cause première de l’émergence de ce nouveau front guerrier. Mais quel que soit son poids, d’autres considérations ont joué, et les tenants du respect du droit international qui n’ont de cesse de systématiquement accabler Israël de tous les maux en font rarement état.

Un conflit sans cause entre les deux pays, qui paraît insoluble

Jusqu’en 1979, les relations entre Israël et l’Iran étaient relativement cordiales, voire même chaleureuses. Celles-ci prirent un essor particulier suite au tremblement de terre dans la province de Qazvin située à 150 km au nord-ouest de Téhéran, qui fit plus de 12 000 morts en 1962. Outre le grand nombre de victimes, cette catastrophe naturelle a ravagé cette région qui produisait une grande partie des fruits et des légumes consommés dans le pays.

En particulier, elle a détruit des systèmes complexes d’irrigation datant de plusieurs milliers d’années qui n’étaient plus opérationnels. Le dirigeant de l’époque, le Shah d’Iran, avait déjà noué des relations cordiales avec Israël avant cette tragédie, et dans l’urgence du moment, il fit appel aux experts hydriques israéliens pour contribuer à remettre en état ce qui avait été détruit et faire en sorte que cette province puisse se reconstruire et faire renaître son agriculture. S’amorça alors une coopération étroite et fructueuse qui devait durer plus d’une quinzaine d’années, avec des centaines de coopérants israéliens présents sur le sol iranien[1].

Tout cela s’arrêta brutalement début 1979, lorsque les mollahs prirent le pouvoir et déclarèrent de manière péremptoire et unilatérale qu’Israël était un ennemi à abattre, faisant ainsi de l’éradication de « l’entité sioniste » la mère de tous leurs combats. Plus personne ne s’interroge aujourd’hui sur les ressorts d’une telle hostilité hargneuse, tant elle fait désormais partie du paysage international actuel.

Pourtant, il n’y a absolument aucun contentieux d’aucune sorte entre les deux pays, qu’il soit territorial, économique, historique, culturel ou une compétition quelconque pour l’accès à des ressources convoitées. Il s’agit juste d’une idéologie expansionniste (!) mortifère sortie du chapeau, ou plutôt du turban, dont les esprits éclairés peinent à comprendre les motivations.

En revanche, aussi difficile que soit l’identification de ses causes premières, la violence des propos du régime iranien ne laisse aucun doute sur l’objectif poursuivi. On ne compte plus les déclarations des plus hauts dignitaires du régime appelant à détruire Israël et à exhorter le pays à s’en donner les moyens.

Or, si dans un conflit ayant des vraies causes rationnelles, on peut parfois envisager une négociation en vue d’un compromis, il n’est en général pas possible de composer avec une hostilité idéologique sans fondement ; d’où une situation figée de confrontation permanente, qui perdure depuis plus de 45 ans. D’autant que celle-ci présente également un volet religieux prononcé qui ne contribue ni à la flexibilité ni à l’apaisement.

Des proxys très belliqueux

Pour progresser dans les buts destructeurs qu’elle s’est elle-même fixée depuis 1979, si jusque très récemment la République islamique s’était abstenue de mener elle-même depuis son territoire des opérations militaires contre son ennemi auto-déclaré, elle a énormément investi dans la constitution d’un réseau d’alliés qui comprenait plusieurs composants :

  • le Hezbollah au Liban,
  • les milices houthis au Yémen,
  • le djihad islamique palestinien[2],
  • l’appareil d’État syrien de Bachar El Assad,
  • et des milices armées en Irak.

Cet ensemble hétéroclite fut baptisé « axe de la résistance », sachant que l’analyse de l’objet de cette « résistance » peine à s’énoncer.

Or, loin de s’en tenir à des discours véhéments, ces différents groupes armés ont entrepris de très nombreuses actions offensives contre Israël.

Sans même mentionner l’attaque abominable du 7 octobre à l’origine de toute cette recomposition moyen-orientale à laquelle on assiste aujourd’hui, Israël a dû faire face à une multitude d’agressions de quasiment tous ces proxys, qui ont fait plusieurs dizaines de victimes tout en bouleversant la vie quotidienne de 10 millions d’Israéliens depuis près de deux ans.

Dans le droit international, tout bombardement d’un pays est universellement reconnu comme acte de guerre, et légitime le pays agressé à riposter pour la faire cesser. Or, la caractéristique des opérations anti-israéliennes menées par ces proxys est qu’elles n’émanent pas d’un État constitué, mais de groupes armés, opérant au sein d’États faibles ou faillis, voire même très complaisants ; d’où la grande difficulté du droit international à s’appliquer dans ces cas de figure – étant entendu que bien évidemment les protagonistes non étatiques n’y sont pas soumis.

En revanche, il est bien établi que toutes ces milices sont financées et soutenues par le régime iranien qui poursuit ainsi son objectif idéologique dans lequel des ressources considérables sont investies, au détriment du bien être de sa population.

Dès le lendemain de la razzia sanglante qui a tué près de 1200 Israéliens[3] le 7 octobre 2023, bombes, roquettes et missiles ont commencé à pleuvoir sur Israël, et ce pendant plusieurs mois. Les régions nord et sud-ouest du pays ont été évacuées, rendant des centaines de milliers d’Israéliens réfugiés dans leur propre pays.

Pour donner une idée de la perception de la situation par les Israéliens, osons une comparaison : que se serait-il passé si au lendemain des tueries du 13 novembre 2015 à Paris, des roquettes avaient été tirées sur la France depuis des groupes armés opérant à Molenbeek (Belgique) pour protester contre le sort faits aux terroristes responsables de ce massacre ? Est-ce que les autorités françaises se seraient juste contentées d’en appeler au droit international pour faire cesser de tels bombardements, considérant que la Belgique n’était pas partie prenante de cette action en permettant à des groupes affiliés à Daesh d’opérer depuis son territoire ?

Dans le cas de ce fameux « axe de la résistance », il est difficile de considérer que l’Iran n’est pas un protagoniste actif de cette séquence où tant de projectiles se sont abattus sur le territoire israélien. D’ailleurs les discours du régime iranien ne se privent pas de glorifier toutes ces actions, comme ils ont d’ailleurs glorifié le pogrom du 7 octobre, se réjouissant que cette fameuse « résistance » – qu’ils ont créée et qu’ils maintiennent toujours à bout de bras – s’en trouve renforcée.

Toutes les voix qui s’élèvent aujourd’hui pour en appeler au droit international en condamnant énergiquement cette attaque israélienne sont restées bien silencieuses lorsque roquettes et missiles pleuvaient sur Israël de fin 2023 au début 2025. Que proposaient-elles à ce moment précis ? De négocier avec le Hamas, les Houthis ou le Hezbollah pour faire cesser ces agissements ?

Encore une fois, est-ce que les Occidentaux ont envisagé une seule seconde d’aller négocier avec Daesh ou Al Qaïda après les attentats islamistes si meurtriers, pour se conformer à un droit international manifestement inadapté face à des groupes armés ?

L’équilibre très incertain qui s’était établi entre les deux protagonistes principaux, Israël et l’Iran, a été rompu :

  • d’une part l’attaque du Hamas,
  • et d’autre part les bombardements en provenance du Liban, de la Syrie, de l’Irak et du Yémen qui l’ont suivi.

Les développements militaires sur le terrain ont alors conduit à un alignement des planètes particulièrement favorable à Israël, qui a également bénéficié de l’accession au pouvoir d’un clown populiste et autoritaire à la Maison Blanche, qui fait que la première puissance mondiale bouscule tous les codes diplomatiques établis dans les relations internationales depuis 1945.

Ces facteurs, couplés à une minutieuse préparation militaire, elle-même associée à une exceptionnelle connaissance de l’ennemi, ont abouti à cette décision fatidique d’Israël, non pas de déclencher un nouveau conflit, mais de donner une accélération sans précédent à une confrontation déjà existante depuis des années.

L’avancement du programme nucléaire iranien, constamment mis en avant, a certainement joué un rôle important, mais le contexte général d’agressions caractérisées envers Israël depuis plus de 18 mois a probablement lui aussi été tout aussi décisif.

La difficulté du droit international à être pertinent dans ce conflit

Tout d’abord, il convient de garder à l’esprit la nature des acteurs qui interviennent dans l’application du droit international. Si l’on prend le critère démocratique, qui devrait être un élément important dans l’appréciation des différents pays qui composent cette fameuse communauté internationale, Wikipédia donne les informations illustrées par les deux images ci-dessous (source) vis-à-vis des 193 États rassemblés dans l’assemblée générale de l’ONU :

NB : La population mondiale fait référence à la population totale des 167 pays évalués. Étant donné que l’enquête n’exclut que quelques micro-États, cela équivaut à peu près à l’ensemble de la population mondiale estimée en 2022.

Par ailleurs, pour diverses raisons, une partie importante de ces acteurs manifeste une hostilité systématique à d’Israël. On peut mentionner certaines de ces raisons :

  • L’aspect religieux : plus du quart des pays de la planète sont composés d’une population majoritairement musulmane qui, bizarrement, se sent toujours très solidaire des Palestiniens, quels que soient leurs agissements, alors que d’autres populations musulmanes en grandes difficultés bénéficient rarement de tels élans de solidarité (Ouïghours, Rohingya, Kurdes, les minorités musulmanes en Thaïlande, en République Centrafricaine ou au Tadjikistan, etc).
  • L’aspect historique : Israël est perçu comme faisant partie du bloc occidental toujours considéré comme colonialiste et esclavagiste. La rancœur de beaucoup de pays vis-à-vis de ce bloc ne s’est toujours pas apaisée, et comme il est plus aisé de s’opposer à un petit pays qu’aux grandes puissances, Israël en est venu à jouer le rôle de symbole planétaire d’une oppression passée, et de triste mémoire.
  • L’aspect jalousie : l’extraordinaire réussite de l’État juif dans ses évolutions économique, scientifique, militaire, culturelle depuis près d’un siècle renvoie à beaucoup d’autres États l’image de leurs propres échecs, ce qui leur est difficilement supportable.

La combinaison de tous ces facteurs, et de bien d’autres encore, a abouti à une situation grotesque où Israël fait l’objet d’un nombre de condamnations de l’ONU totalement hors de proportion avec celles qui concernent les autres pays. Pour mémoire, avant même le 7 octobre :

Depuis 2015, l’Assemblée générale a adopté 140 résolutions condamnant Israël, en particulier pour son traitement des Palestiniens, pour ses relations avec les nations voisines et autres mauvais comportements présumés. Au cours de la même période, elle a adopté 68 résolutions contre les autres pays. [4]

On peut effectivement accuser, avec raison, Israël de beaucoup de maux – en particulier cette situation d’Apartheid qu’il tolère et encourage en Cisjordanie, ainsi que son manque total d’horizon politique concernant les Palestiniens – mais comment ne pas rester pantois devant un tel déséquilibre dans les résolutions de condamnation de l’ONU ?

Ce décalage de 140 résolutions contre Israël comparé à 68 contre le reste de la planète laisserait entendre qu’Israël, grand comme à peine deux départements français, et dont la population est inférieure à celle de l’Île de France, est comptable, responsable et coupable des deux tiers de tous les maux qui assaillent notre monde ? Plus que tous les agissements combinés de la Chine conquérante, de la Russie guerrière, de la Turquie expansionniste, de la Corée du Nord menaçante ou de bien d’autres pays qui sévissent aujourd’hui[5] ?

Dans ce contexte, comment le droit international, si souvent invoqué en France par des commentateurs bien installés dans leur confortable fauteuil, pourrait-il être effectif pour s’appliquer de quelque manière, dans cet environnement si particulier, qui fait intervenir de tels déséquilibres ?

Étant entendu qu’aucun de tous ces autres pays ne fait l’objet d’autant de déclarations niant son droit à l’existence, appelant à sa destruction et supportant tout attentat terroriste et envoi de roquettes qui pourraient faire avancer les choses dans cette funeste voie. D’ailleurs, que vaut un organisme supposé appliquer le droit dans lequel l’un des participants, la République islamique, profère en permanence des menaces de mort envers un de ses membres ?

Dans ce contexte, comment le droit international, si souvent invoqué en France par des commentateurs bien installés dans leur confortable fauteuil, pourrait-il être effectif pour s’appliquer de quelque manière dans cet environnement si particulier qui fait intervenir de tels déséquilibres ?

En vérité, la pertinence de ce droit international ne vaut que par la crédibilité des acteurs qui participent à son élaboration et à son déploiement. Avant la mise en place de l’ONU en 1946 existait une organisation chargée du droit international : la Société Des Nations (SDN).

Lorsque, dans les années 1930, certains États importants qui la composaient (Allemagne, Japon, Italie, Russie) ont commencé à déployer des politiques très agressives en contradiction flagrante avec les principes qui régissaient cette SDN, cette organisation s’est trouvée paralysée et a été totalement incapable d’agir avec un minimum de résultats.

L’absence perspectives politiques 

En revanche, ce qui frappe le plus dans toutes ces séquences, c’est le manque de perspectives politiques présentées par Israël. Concernant l’Iran, les buts de guerre restent flous, étant donné que selon l’avis des experts de la question, l’infrastructure de l’industrie nucléaire iranienne et ses éventuels prolongements militaires ne pourront pas être entièrement démantelés.

Pire, compte tenu de cette attaque brutale, ce régime se sentira conforté dans sa volonté de se doter de cette arme pour, argumentera-t-il, affronter une nouvelle agression de ce qu’ils appellent « l’entité sioniste ». De même, il tentera de reconstituer cet « axe de la résistance », aujourd’hui très affaibli, pour mener des actions offensives lui permettant de prendre sa revanche sur ce qui apparaît aujourd’hui comme un très sérieux revers.

Aussi, l’offensive actuelle ne peut espérer que ralentir les velléités militaires de l’Iran de quelques années, tout en espérant un changement de régime à Téhéran

Mais ceux qui condamnent facilement cette offensive en raison de cet argument à court-terme ne vivent pas en permanence sous la menace, et il leur est donc facile d’écarter d’un revers de main ce moyen qu’a choisi Israël pour amoindrir les capacités militaires de cet ennemi auto-déclaré, même s’il ne s’agit que d’un répit.

En outre, si le régime iranien ne s’effondre pas au cours de cette guerre, rien ne dit que, dans les années qui viennent, il pourra survivre à un tel échec, qui a dilapidé tant de ressources, pour des aventures qui ont ruiné le pays et se sont révélées être des chimères aux coûts exorbitants.

En Syrie, toute la presse occidentale a salué la chute de Bachar El Assad, en omettant souvent de mentionner ce qui l’a rendu possible, soit les coups portés par Israël au Hezbollah. Quant au droit international, il a été d’une rare impuissance devant un conflit syrien qui a fait plus de 500 000 morts depuis 2011.

Aussi, le mieux que l’on puisse espérer est que le régime des mollahs chiites, qui a fait tant de dégâts, finisse par s’effondrer. Une fois cette purge réalisée, comme la conséquence d’une attaque quelque part justifiée, peut-être qu’un nouveau Moyen-Orient plus apaisé pourra émerger – surtout si le gouvernement messianique israélien en venait lui aussi à trébucher, laissant entrevoir une solution au problème palestinien resté sans horizon. Mais ce n’est certainement pas le droit international dans son état actuel qui pourrait favoriser de telles évolutions

[1] Récit rapporté par Seth Siegel dans son excellent ouvrage relatif au problème de l’eau en Israël : Let there be water.

[2] Et dans une moindre mesure, le Hamas avec qui les relations sont plus erratiques : collaboration dans la lutte contre Israël, confrontation dans la guerre civile en Syrie.

[3] On ne rappellera jamais assez qu’à l’échelle des populations des pays concernés, le nombre de victimes de ce carnage représente 50 à 60 fois ceux des attentats terroristes de 2015 à Paris, et 13 fois ceux des attentats du 11 septembre 2001 à New York. Sans compter la problématique de la prise d’otages, toujours pas résolue au moment où ces lignes sont écrites.

[4] Source : https://fr.timesofisrael.com/en-2022-israel-condamne-a-lonu-plus-que-tous-les-autres-pays-reunis-un-watch/

[5] Sans même parler de l’Afghanistan et de la manière on ne peut plus scandaleuse dont les femmes sont traitées dans ce pays, ce qui laisse les instances internationales impuissantes, voire même indifférentes…

à propos de l'auteur
Franco-Israélien né à Paris (France) en 1954, David Musnik vit en France avec un passage de plusieurs années en Israël dans les années 1970’s. Diplômé du Technion en 1977 dans la faculté "Electrical Engineering", puis mobilisé dans Tsahal pendant presque 3 années. Informaticien retraité spécialisé dans l’ingénierie documentaire.
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