Divisions

A l’heure où on lira ces lignes, on ne saura toujours pas si la Cour suprême aura annulé la « loi sur la raisonnabilité ». Pourtant, les délibérations de la juridiction suprême – retransmises en direct à la télévision – seront terminées au terme d’une journée du 12 septembre qualifiée par la presse d’ « historique ». La question posée est celle de la possibilité d’annuler une loi fondamentale.

La présidente de la Cour suprême, et son illustre prédécesseur, le professeur Aaron Barak, répondent par l’affirmative en argumentant : les Lois fondamentales sont votées comme les lois ordinaires (à la majorité simple) ; en l’absence de constitution, on n’a jamais défini les domaines relevant des lois fondamentales (par exemple la loi du retour est une loi ordinaire en dépit de son importance); si une loi fondamentale vient contredire un des principes fondamentaux (comme le caractère « juif et démocratique » de l’Etat), la Cour peut la censurer.

Les opposants à cette vision soulignent que jusqu’à présent, la Cour suprême a fondé son contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires en les confrontant aux lois fondamentales. Il faudra attendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois (quatre au maximum), pour prendre connaissance de la décision de la Cour suprême. Celle-ci doit en effet être rédigée, et de tels jugements occupent parfois plusieurs centaines de pages. D’autant, que reprenant une tradition de la Cour suprême des Etats-Unis, l’opinion contraire des juges minoritaires fait aussi l’objet d’une publication.

Le plus absurde de la situation est que la loi contestée pourrait faire l’objet d’une rédaction plus consensuelle si l’opposition acceptait une version que Binyamin Netanyahou propose d’inclure dans un compromis global sur la réforme judiciaire. Mais l’aile droite de sa coalition (les « durs » du Likoud regroupés autour de Yariv Levin et les partis de Bezalel Smotricht et Itamar Ben Gvir) ne veut pas céder sur le fond de la réforme.

L’opposition est aussi divisée, Yaïr Lapid considérant qu’il s’agit là d’une manœuvre de Binyamin Netanyahou pour influencer la Cour suprême et pour être mieux accueilli aux Etats-Unis ce mois-ci. Benny Gantz, quant à lui, est prêt à accepter un compromis même s’il n’ignore rien des arrière-pensées du Premier ministre.

On savait le pays profondément divisé en deux camps. On découvre qu’à l’intérieur de chacun d’eux, les divisions semblent aussi inévitables. Dès lors, deux hypothèses sont envisageables : un compromis entre les modérés des deux camps, ou un affrontement encore plus violent provoqué par les extrémistes de la coalition et de l’opposition. A la Knesset et dans la rue.

à propos de l'auteur
Philippe Velilla est né en 1955 à Paris. Docteur en droit, fonctionnaire à la Ville de Paris, puis au ministère français de l’Economie de 1975 à 2015, il a été détaché de 1990 à 1994 auprès de l’Union européenne à Bruxelles. Il a aussi enseigné l’économie d’Israël à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 1997 à 2001, et le droit européen à La Sorbonne de 2005 à 2015. Il est de retour en Israël depuis cette date. Habitant à Yafo, il consacre son temps à l’enseignement et à l’écriture. Il est l’auteur de "Les Juifs et la droite" (Pascal, 2010), "La République et les tribus" (Buchet-Chastel, 2014), "Génération SOS Racisme" (avec Taly Jaoui, Le Bord de l’Eau, 2015), "Israël et ses conflits" (Le Bord de l’Eau, 2017), "La gauche a changé" (L'Harmattan, 2023). Il est régulièrement invité sur I24News, et collabore à plusieurs revues.
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