Diplomatie d’Israël : de la pitié au respect

Les ministres du cabinet du nouvel État d'Israël, le 14 mai 1948, lors de la cérémonie au Musée d'art de Tel Aviv, marquant la création du nouvel État. (AP Photo)
Les ministres du cabinet du nouvel État d'Israël, le 14 mai 1948, lors de la cérémonie au Musée d'art de Tel Aviv, marquant la création du nouvel État. (AP Photo)

Savoir Écouter les Maux du Moyen-Orient est utile et nécessaire, mais Savoir les Analyser, est essentiel aussi.

En complément des publications régulières dans le cadre de « SEMMO – Savoir Écouter les Maux du Moyen-Orient », seront proposées ici aussi des réflexions de « SAMMO – Savoir Analyser les Maux du Moyen-Orient ».

Voici le numéro 1 de SAMMO – Savoir Analyser les Maux du Moyen-Orient.

Au début du mois d’avril 2025, Michael Oren, ancien ambassadeur d’Israël aux États-Unis au cours du premier mandat de Barack Obama, a écrit un article posant l’hypothèse que les Juifs ne jouaient plus le rôle de « peuple déicide », mais étaient devenu le « Jésus » des nations[1].

Pour Oren, Jésus, désigné par le christianisme comme celui qui est mort pour absoudre les péchés de la population, verrait son rôle aujourd’hui, assumé par Israël. Les nations du monde d’aujourd’hui, se sont presque toutes construites sur des massacres, des génocides, des épurations ethniques, des dénis d’identité et d’autodétermination : le massacre des Indiens d’Amérique, l’esclavage, le massacre des Aborigènes d’Australie, la colonisation occidentale et ses crimes, les conversions forcées au christianisme, à l’islam, l’oppression des Coréens par les Japonais et la destruction des Juifs par les Allemands et par leurs collaborateurs au cours de la seconde guerre mondiale.

Ces exactions ne seront pas réparées. Les États-Unis, le Canada, ne vont pas évacuer les territoires acquis dans des bains de sang pour restituer la souveraineté aux Indiens. Les Australiens ne vont pas abandonner la leur en faveur des Aborigènes. Les descendants d’esclaves africains ne vont pas recevoir de réparation, ni les pays desquels ils ont été déportés.

Les populations qui se sont opposées aux invasions arabes ne sont pas près de voir leur autodétermination rétablie. On le voit par exemple avec l’accueil condescendant que la communauté internationale réserve aux indépendantistes kabyles[2]. La Turquie n’a aucune intention ne fut-ce que de reconnaître le génocide des Arméniens qu’elle a commis en 1915. La France n’a aucune intention d’accorder l’indépendance à ses colonies, qui sont pourtant reconnues comme telles par l’ONU[3].

Mais Israël, ce « petit État de merde »[4] comment un diplomate français l’a désigné une fois, cet État duquel Emmanuel Macron n’a pas hésité de rappeler, en se trompant sur les faits, qu’il ne devait son existence qu’à une décision de l’ONU… Décision qui pouvait donc faire l’objet d’une annulation s’il lui venait l’idée de ne pas honorer ses prétendus géniteurs[5], cet État-là, la communauté internationale tente de l’utiliser non seulement comme le Juif des Nations, mais aussi comme celui grâce à qui « tous ses propres crimes seront pardonnés ».

Ces pays qui font fi d’être dégoutés par leur histoire, qui font preuve de pénitence quant aux massacres qu’ils ont commis – le tout à vil prix, parce que sans conséquences réelles – ; ces pays qui veulent flatter leur bonne conscience mais pas plus réparer (« n’allons pas réparer nos fautes quand même, nous voulons juste améliorer notre image, et surtout l’image que nous nous faisons de nous-même ! ») ; ces pays font en fait preuve d’une hypocrisie incommensurable.

Pour comprendre comment le monde occidental en est arrivé là, il faut répondre à deux questions.

Première question : pourquoi et comment le monde occidental, qui n’a cessé, dans l’histoire, de maltraiter les Juifs au moins jusqu’à la fin de la Shoah, aurait-il modifié sa référence morale ?

Comment le monde occidental, soutenu par sa culture, sa religion, sa morale, qui croyait bien faire pendant des siècles en opprimant, expulsant, massacrant, chassant, haïssant les Juifs, pourrait-il avoir changé sa vision des Juifs en quelques décennies ? De quel droit, par quel miracle serait-il, en à peine 80 ans, passé du statut d’ « oppresseur de Juifs » à « défenseur de Juifs » ?

La France, par exemple, pays dans lequel – selon certains – même Dieu était heureux avant-guerre, a mis les Juifs qu’elle parvenait à capturer dans des wagons à bestiaux à destination d’Auschwitz. Oui, le mérite héroïque de certains Français justes qui empêchèrent des déportations était extraordinaire… Mais la politique de la France pendant cette période était activement anti-juive, reposant sur un esprit antisémite très très ancien. Les autres pays européens, conquis par le IIIe Reich, n’ont pas même connu de mobilisation s’opposant aux déportations de Juifs.

Même les États-Unis se sont opposés à l’arrivée de réfugiés Juifs sur leur territoire, en les condamnant à leur mort certaine. Une initiative d’un membre du Congrès américain pour accueillir en masse des Juifs fuyant le nazisme vers l’Alaska, qui justement manquait d’habitants, fut repoussé par antisémitisme de la population locale.

Le Royaume-Uni, puissance mandataire en Palestine[5], refusait l’arrivée de Juifs (fuyant le nazisme) sur leur terre ancestrale, pour ne pas froisser les populations Arabes.

Puis arrivèrent les années post-Shoah : le mal incarné par le nazisme fut tellement évident, qu’il devint impossible de le nier. Et puis la pitié aussi. D’un coup, cette pitié effaçait non seulement les fondements historiques de haine des Juifs à cause desquels la Shoah fut possible, mais elle effaçait aussi des siècles d’oppression. Et pour prouver sa bonne foi, le monde occidental votait en faveur de la création d’un État juif en Palestine, laissant croire que cette initiative était née des suites de la Shoah, et oubliant que les Juifs du sionisme moderne luttaient activement pour cette solution depuis des décennies.

L’hypocrisie de ce vote ne s’arrêtait pas là d’ailleurs : si Israël n’avait pas gagné la guerre d’indépendance de 1947-48 contre tous les pays arabes qui refusèrent ce vote de l’ONU et qui avaient juré de détruire cet État d’Israël dans l’œuf, celui-ci serait resté lettre morte. Les pays occidentaux, eux, avaient fait leur devoir hypocrite : oui, ils ont émis un vote, mais leur engagement issu de cette pitié ne s’étendait pas jusqu’à exercer la force pour qu’il soit mis en application.

Mais la pitié, ça s’use. Si elle ne repose que sur un sentiment émotionnel de nature à apaiser une bonne conscience, cette bonne conscience qui avait été éraflée avec la Shoah, disparait.

Et, très rapidement, au bout de 80 ans, une goutte d’eau aux yeux de l’histoire millénaire d’Israël, le monde occidental revient aux anciens poncifs : petit à petit, on accuse Israël de tous les maux.

  • Il se défend face à des populations cruelles qui jurent sa disparition ? On l’accuse de meurtres prémédités.
  • Il mène une guerre contre des monstres qui n’hésitent pas à utiliser des bébés comme otages ou comme boucliers humains ? On l’accuse de génocide.

Mais surtout, le monde occidental ne prodigue jamais de conseil. « Ce que vous faites est mal, très mal. Mais ne nous demandez pas ce que vous devriez faire à la place. Nous ne sommes là que pour critiquer, voire opprimer », semble-il nous dire.

Donc, quand les chefs d’État occidentaux ne se gênent pas pour intimer des ordres à Israël, argumentant que : « ce que vous faites n’est finalement pas même bon pour votre défense », Israël doit répondre :

Quel est exactement votre référent moral pour savoir :

1/ ce qui est bon pour les Juifs ?

2/ ce qui est juste ?

Votre histoire prouve que vous avez échoué sur les deux plans de manière magistrale. Vous avez bâti vos sociétés sur la haine des Juifs et sur l’injustice. Vous n’avez que très peu de légitimité historique et morale pour nous dicter ce que nous avons à faire. Nous, en revanche, survivons depuis des millénaires dans l’adversité. Nous en savons quelque chose en termes de survie en terrain ennemi.

Mais la « techouva[7] » faisant partie des valeurs du judaïsme, restons à l’écoute, gardons l’esprit ouvert. Un pays, un peuple qui soutiendrait sincèrement le droit et même le devoir d’Israël à se défendre, qui ferait preuve d’un regard large sur la position géographique de ce pays entouré encore de populations ennemies 50 fois supérieures en nombre qui souhaitent sa disparition, et, surtout, un pays qui ne ferait plus preuve d’un regard condescendant et moralisateur sur Israël, celui-là pourrait être apprécié à sa juste valeur, comme un partenaire égal.

Deuxième question : Comment ce schéma de « contrition – accusation » fonctionne-t-il ?

Soyons réaliste : dans notre monde actuel, tant qu’on est en vie, l’apparence l’emporte sur la réalité.

  • Israël a subi des attaques existentielles depuis le 7 octobre 2023, mais c’est lui qui « commet un génocide ».
  • Il se bat à Gaza dans des conditions rarement rencontrées dans l’histoire des guerres (boucliers humains, soldats en civils qui se mêlent à la population, culture qui prône la mort face à la vie), mais c’est lui qui est accusé pour ses « réactions disproportionnées ».
  • Les ennemis d’Israël tiennent aussi le monde occidental dans leurs viseurs, mais il n’en n’a cure. « Israël peut continuer à faire barrage » pense-t-il inconsciemment.

Oui, l’apparence l’emporte sur la réalité, dans la culture occidentale aussi. Ainsi pense-t-elle :

Nous devons d’abord reconnaitre nos fautes, puis, faire acte de contrition, puis… C’est tout. Non, nous ne réparerons pas nos fautes. D’ailleurs, comment pourrions-nous ? Les terres que nous avons conquises dans le sang, à qui pouvons-nous les rendre ? Les populations massacrées, comment les ramener à la vie ? Les cultures effacées, comment les faire renaitre ?

Le wokisme a fait de ses prises de conscience des procédés obligatoires, voire imposés à certaines minorités à leur corps défendant parfois[8].

Joe Biden, le président américain qui était en exercice au déclenchement de la guerre actuelle à Gaza le 7 octobre 2023, s’est rendu en Israël, dans les jours qui ont suivi. On le sait, cette visite de soutien a été payée au prix fort par Israël : de l’aveu de Blinken lui-même, le Secrétaire d’État à cette époque, celle-ci n’a pu se faire que parce qu’Israël avait cédé sous sa pression et laissé entrer de l’aide humanitaire dans Gaza quelques jours à peine après le massacre du 7 octobre, sans contrepartie et alors que les otages israéliens étaient paradés dans les rues sous l’acclamation des populations locales.

Et le message de Joe Biden, le 18 octobre 2023 fut en substance :

Ne répétez pas nos erreurs. Ne faites pas comme nous. Ne soyez pas consumés par la colère.

Cette expression est la parfaite illustration de ce schéma de « contrition-accusation ». Comme pour dire :

Nous les États-Unis avons mal agi, nous le regrettons aujourd’hui, et faisons donc pression sur vous Israël, pour que vous ne répétiez pas les mêmes fautes que nous. Grâce à cela, les populations que nous avons opprimées, verront que nous agissons bien et nous pardonnerons. Et si vous, Israël, réagissez à ces attaques dans une mesure que nous estimons disproportionnée, nous vous accuserons, nous ferons pression sur vous, nous vous obligerons à vous soumettre à notre narratif.

Et Israël, entouré de populations prêtes à en découdre, d’une République Islamique d’Iran sur le seuil nucléaire le doigt sur la gâchette de la bombe, du Hezbollah qui a profité de la surprise d’Israël pour étendre le front à sa frontière Nord, de factions Houthis au Yémen le visant avec des missiles supersoniques, doit non seulement se défendre, mais aussi composer avec des occidentaux qui, se prenant pour ses maîtres, guettent la moindre de ses erreurs.

Donc, on accuse Israël de génocide, on lui ferme la porte des congrès commerciaux, on remet en cause la légitimité de son existence. Les populations autrefois opprimées par les occidentaux ne peuvent qu’être admiratifs. Devant une telle politique, devant un tel lâchage d’Israël, cet État juif que l’on assimile à tort au monde occidental, devient le paillasson sur lequel ses prétendus frères peuvent s’essuyer les pieds salis par la boue dans laquelle l’esprit woke les a trainés. Et pour supprimer tout doute, le monde occidental fait tout pour « apaiser » ceux qui pourraient rester fâchés.

Ne voit-on pas que le rapport sur les « Frères musulmans et l’Islamisme politique en France », rendu public par le gouvernement il y a quelques jours, demande que la population musulmane soit apaisée. Pour cela, outre la mise en ordre des cimetières confessionnels pour Musulmans et l’apprentissage de l’arabe dans les écoles publiques, il est demandé que la France reconnaisse un État palestinien.

On le sait, Emmanuel Macron a fait sienne cette dernière proposition, ouvrant la voix, non pas à une résolution du conflit israélo-arabe dont il n’a cure puisque, de l’aveu même de ce rapport, l’objectif est d’apaiser les Musulmans de France. Peu importe que cette déclaration sème la mort au Moyen-Orient, la France, pour apaiser sa population musulmane qu’elle a prétendument opprimée dans l’histoire, va faire payer à Israël sa politique de contrition.

Dans ce contexte, Israël n’a qu’un choix : devenir assez fort pour que ses relations diplomatiques avec le monde occidental deviennent des relations adultes fondées sur le pouvoir, les échanges d’intérêts, et débarrassées de la pitié qui ne peut être alimentée que par la mort de Juifs. Ce prix est devenu trop cher à payer et Israël doit le refuser.

[1] https://claritywithmichaeloren.substack.com/p/an-old-wine-in-new-skins

[2] Voir l’interview du président du gouvernement de Kabylie en exil, M Ferhat Mehenni – https://frblogs.timesofisrael.com/interview-de-ferhat-mehenni-president-de-kabylie/

[3] La liste préliminaire des « Territoires non-autonomes » établie par l’ONU comprend 17 entités, qui restent sous domination du Royaume-Uni, de la France, des États-Unis et de la Nouvelle-Zélande. Elle ne tient pas compte des territoires qui ont été « absorbés » par des puissances coloniales et qui sont devenues indépendantes au mépris des populations locales. Voir cette liste : https://www.un.org/dppa/decolonization/fr/nsgt

[4] Il est intéressant de noter que cette formule recherchée sur Google, donne en premier lieu comme résultat « Israël ». Il faut, pour cela, rendre grâce à l’ambassadeur de France au Royaume-Uni, Daniel Bernard, qui, lors d’un dîner en 2001, après avoir désigné Israël de cette formule délicate et ne se sachant pas écouté par Boaz Bismuth, alors correspondant de Yediot Aharonot, a eu son petit quart d’heure warholien… Quart d’heure qui se prolonge depuis près de 25 ans, on le voit.

[5] https://www.lefigaro.fr/international/tensions-au-proche-orient-netanyahou-ne-doit-pas-oublier-que-son-pays-a-ete-cree-par-une-decision-de-l-onu-cingle-macron-20241015

[6] Dont le mandat était pourtant justement l’établissement d’un « foyer national juif en Palestine » (voir ici).

[7] Le repentir.

[8] Voir Le piège de l’identité de Yasha Mounk aux Editions de l’Observatoire (2023).

à propos de l'auteur
Laurent souhaiterait partager ses observations de la vie israélienne et française à travers son regard de Juif français devenu israélien en 2008. Il a pris l'habitude de regarder et analyser les phénomènes politiques, culturels, religieux, géopolitiques, sous un regard différent de celui qu'on a l'habitude de voir. En effet, avant d'arriver en Israël, il a vécu en France, en Allemagne, en Belgique et au Royaume Uni. Il observe les phénomènes humains avec un très large point de vue, puisant dans son expérience de vie et dans son désir d'écrire. Laurent a passé son enfance en Allemagne, fait ses études de management en Alsace et passé sa carrière professionnelle au Royaume-Uni, en France, en Belgique, en Israël.
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