Dieu est-il raciste ?

Crédit : Pierre Orsey
Crédit : Pierre Orsey

Avant d’aborder plus profondément cette question, j’ai choisi d’y répondre d’abord rapidement, de manière superficielle et volontairement caricaturale : oui a priori Dieu est raciste.

Racisme

Si Dieu est raciste, Israël aussi ; si Israël est raciste, Dieu l’est aussi… En voici une illustration tirée d’une expérience personnelle.

A la recherche d’un emploi en Israël, j’ai postulé dans une école française. Ma candidature intéressant le directeur, il m’a proposé un entretien d’embauche. Voici le début de notre dialogue :

– Êtes-vous juif ?
– Non.
– Votre épouse est-elle juive ?
– Non.
– Avez-vous un statut de résident permanent en Israël ?
– Non.
– Désolé, je ne peux pas vous recruter.
– Et si vous me faites une promesse d’embauche qui me permette d’obtenir un visa de travail ?

– Le gouvernement israélien taxerait votre salaire, vous me coûteriez 25 % plus cher qu’un Juif ou un résident.

La suite de la conversation a été sympathique, il m’a raconté son parcours professionnel, ses projets et il m’a donné des conseils pour trouver un poste dans d’autres pays. Le directeur de cette école ayant un statut d’expatrié il n’est pas concerné par ces restrictions ; il est sans doute le seul non juif de cet établissement.

Bref, l’État d’Israël est pour les Juifs, au cas où je ne l’aurais pas remarqué. Faut-il pour cette raison affirmer sans nuances que c’est un pays raciste, que les Juifs sont racistes, et que par conséquent Dieu l’est aussi ?

Discrimination

Formulons autrement la question initiale : le Dieu d’Israël (qui est à mon avis l’unique Dieu et celui de toute l’humanité) est-il raciste ? Cette question en amène inévitablement une autre : les Juifs sont-ils racistes ? Ou plutôt : le peuple juif est-il raciste ? Et avec cette question vient logiquement celle-ci : l’État d’Israël est-il raciste ? Et puis, bien sûr, dans toutes ces questions il y a implicitement : la Torah est-elle raciste ? Et certains répondront -un peu vite- : la Torah non, mais le Talmud oui…

Lorsqu’il y a vingt-cinq ans je faisais des démarches pour devenir volontaire dans un kibboutz, j’avais appris ce que signifie -dans un sens péjoratif- le mot « goy » (qui peut aussi avoir un sens neutre). Je veux dire que j’ai connu le mépris de la part de Juifs qui se sentent supérieurs à ceux qui ne le sont pas.

Cela ne m’a pas découragé mais au contraire stimulé. Dans mon village des Alpes, nous avons nous aussi un mot patois pour désigner ceux qui ne sont « pas de chez nous ». Même ceux du village voisin sont perçus comme des étrangers parce qu’ils ne parlent pas exactement comme nous, parce qu’ils n’ont pas tout-à-fait les mêmes codes. Aussi, souffrant à mon tour de cette discrimination, j’étais compréhensif (et le suis toujours) ; j’éprouvais non pas de la haine mais de l’amertume.

Commençons par la définition du terme polysémique et flou « raciste ». La définition la plus simple est : « partisan du racisme ». Selon le Larousse : « Idéologie fondée sur la croyance qu’il existe une hiérarchie entre les groupes humains, les races ; comportement inspiré par cette idéologie. » Il y a dans cette définition une connotation évidemment négative ; le racisme est une idéologie, une croyance qui débouche sur un comportement ségrégationniste (mot synonyme de raciste) forcément néfaste. Dieu n’étant pas néfaste, comment pourrait-il être raciste ?

Le Larousse définit ainsi la ségrégation : (bas latin segregatio, du latin classique segregare, isoler) Action de mettre à part quelqu’un, un groupe. Processus par lequel une distance sociale est imposée à un groupe du fait de sa race, de son sexe, de sa position sociale ou de sa religion, par rapport aux autres groupes d’une collectivité. Proposons alors une autre manière de définir le racisme en le remplaçant par un mot moins négatif que ségrégation : le terme discrimination.

Le mot discrimination : (latin discriminatio, -onis, séparation) Action de séparer, de distinguer deux ou plusieurs êtres ou choses à partir de certains critères ou caractères distinctifs ; distinction.

Et dans un autre dictionnaire, j’ai trouvé deux définitions :

1. Action de discerner, de distinguer les choses les unes des autres avec précision.

2. Fait de séparer un groupe humain des autres en le traitant plus mal.
Le racisme étant connoté négativement il vaut mieux le remplacer par discrimination qui peut avoir un sens neutre ou un sens négatif. Ainsi il serait alors acceptable de dire que Dieu fait de la discrimination plutôt que de dire qu’il est raciste. Acceptable, ne signifie pas compréhensible.

Comment comprendre que Dieu puisse être discriminant ? Comment comprendre qu’il puisse distinguer « son » peuple Israël des autres peuples ? Séparer un groupe humain au détriment des autres, c’est « mal », mais séparer un groupe d’un autre groupe ce n’est pas forcément « mal ».

Consécration

Consécration : Action de donner à quelqu’un, à quelque chose une place éminente (Larousse).

Dieu a choisi un peuple en particulier et lui a demandé de rester à part, séparé des autres peuples : « Soyez saints, car je suis saint, moi, l’Eternel, votre Dieu » Lévitique (Vayikra) 19,2. André (Noham) Chouraqui traduit ainsi ce verset : « Vous serez consacrés. Oui, je suis consacré, moi, IHVH-Adon-aï, votre Elohîms ». Cette notion de consécration éclaire un peu la qualité du peuple d’Israël choisi par HaChem pour être le peuple qui transmet Sa lumière : Israël est destiné à devenir « lumière des nations » (Isaïe 49,6).

Dieu s’est choisi un peuple pour se faire connaître. De la même façon que Jacob a préféré Joseph, ainsi nous (les autres frères, les autres nations) sommes jaloux de celui qui est arrogant du fait de son élection. Nous nous sentons rejetés, moins aimés ; et pourtant ce peuple n’a pas reçu ce privilège comme un cadeau mais il a été formé pendant quarante ans dans le désert pour pouvoir porter (supporter) la Parole de Dieu (la Torah) et la protéger afin de devenir lumière pour éclairer les nations.

Si Israël n’était pas resté à l’écart des autres peuples, cette connaissance de Dieu se serait perdue. Si le Dieu d’Israël est le Dieu de toute l’humanité, cela signifie que je peux aimer le Dieu du peuple juif et que ce peuple désire me faire connaître son Dieu, sa Torah, non pas pour que je devienne juif mais pour que j’aime le Dieu qui nous aime tous.

Pour des Chrétiens ayant lu attentivement les Évangiles cette compréhension est accessible. Dans certains passages des Évangiles, de Matthieu par exemple1, Jésus demande de ne pas se mélanger avec les païens et les Samaritains (les goyim et les « demi-juifs »). Moïse, au début du Deutéronome (Devarim 1,5) commence à expliquer la Torah à ceux qui ne sont pas hébreux ; selon Rashi il l’a exposée en soixante-dix langues.

Toute l’histoire d’Israël et de l’interprétation de la Torah montre une ouverture progressive aux Nations. HaChem demande à Israël d’élargir l’espace de sa tente (Isaïe 54). Quelle est la fameuse promesse faite à Abraham ? C’est la promesse d’élargir Israël à l’ensemble de l’humanité.

Comment expliquer à des personnes qui n’ont pas lu la Bible, à des non-croyants ?

Il faut le reconnaître, apparemment le peuple juif est discriminant, voire raciste. Aussi Dieu lui-même serait discriminant, il établit une séparation, une différenciation entre Israël et les autres peuples, il distingue nettement son peuple des autres. Une personne athée -qui rejette Dieu- serait donc naturellement antisémite (et antisioniste bien sûr). Et un non-croyant, un agnostique, quelqu’un qui ignore tout du Dieu d’Israël et d’Israël, comment peut-il comprendre ?

Ma réponse à cette question n’est sans doute pas « la » bonne mais c’est une proposition de réflexion pour ne pas clore cette délicate question de la définition profonde du mot « Israël » (et du mot « juif »). J’ai envie de dire qu’un agnostique français ne peut pas comprendre.

Un Occidental imprégné de culture chrétienne et de « la culture des Droits de l’Homme » a beaucoup plus de mal à comprendre la notion de préférence nationale qu’un Oriental ou un habitant de l’hémisphère Sud. La notion d’égalité de tous les citoyens et de tous les peuples est bien ancrée dans notre mentalité française et je ne me sens pas capable d’argumenter pour défendre la notion de discrimination à laquelle j’adhère intuitivement. Je ne sais pas argumenter rationnellement ma compréhension (mon acceptation) de ce choix de Dieu d’un peuple particulier et non pas directement de toute l’humanité.

En disant cela, je jette l’éponge : je n’ai pas d’arguments valables pour défendre Israël. Je n’ai pas d’arguments solides pour défendre Dieu, le Dieu d’Israël et de l’humanité. Et pourtant, je l’aime tel qu’il est.

1Matthieu 10,5 : « Ne prenez pas le chemin qui mène vers les nations païennes et n’entrez dans aucune ville des Samaritains. »

à propos de l'auteur
Passionné de judaïsme et d'Israël, Pierre Orsey est né en 1971 et habite près d’Avignon.
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