Détruire ou Réparer le monde ?

Tikun olam, réparer le monde

On est totalement envahi par les nouvelles de cette famille Dee, d’origine anglaise, ravagée par ce triple crime en Israël, les deux jeunes filles et leur mère. Cette pensée nous obsède, nous voyons leurs visages, leurs sourires.

Comment dire cette émotion qui nous étreint devant cette tragédie. Sommes-nous les seuls à la ressentir parce que nous sommes juifs ?

Comment penser en dehors de l’effroi éprouvé ? Comment dire la rage et l’accablement devant la manière dont ici, on rend compte de ce drame. Elles vivaient dans une “colonie”, elles étaient des “colons”, donc ce qui leur est arrivé ne serait que justice et leur assassin serait un justicier, tout comme celui qui a écrasé un touriste italien sur la promenade du bord de mer à Tel Aviv.

Il n’était pas un colon, c’était à Tel Aviv qui ne se situe pas dans les “territoires occupés” mais à l’intérieur de l’Etat d’Israël reconnu par l’ONU.

Est-ce qu’on est capable de comprendre cela en Europe ? Cette culture de la haine, cette capacité à tuer, à s’acharner à semer la mort ?

Est-on capable, ici, de percevoir la différence entre ces tueurs islamistes ou islamiques et leurs victimes ?

Appartiennent-ils au même monde que le nôtre ? Ont-ils des neurones identiques aux nôtres ? Ou bien ont-ils été reformatés par l’éducation à la haine dont ils ont été langés depuis leur naissance ?

Avez-vous lu les manuels scolaires palestiniens dont les messages de haine anti juive sont écrits sur chaque page ?

Il faut écouter les paroles du père survivant de cette famille Dee.

Il faut mesurer la charge de désespoir en même temps que l’absence de haine vengeresse dans ses mots.

Il faut regarder de près les gestes symboliques de ces dons d’organes de la mère assassinée qui ont permis de sauver quatre autres vies.

Faut-il faire une différence entre les victimes du Bataclan et cette famille juive installée à Efrat, et ce touriste italien qui a eu le tort d’être au mauvais moment au mauvais endroit, c’est-à-dire en Israël ?

“Vous n’aurez pas ma haine”, a écrit le compagnon d’une victime du Bataclan. Voilà un beau principe qui dit une belle âme.

Est-il applicable ? Comment ne pas devenir fou et haineux devant cet appétit pour le sang des autres, ce goût à tuer. Comment extraire de ses pensées ces brûlures qui font que plus rien d’autre ne compte.

Que faut-il choisir ? La vengeance ou la prière ? En quoi croire devant cette rupture anthropologique dans ce qui au contraire devrait lier les hommes entre eux dans le genre humain. Qu’est-ce qui lie les hommes !? Est-il encore vrai ce mot d’”humanité” pour un tueur palestinien ?

C’est le lot banal de la vie en Israël et c’est aussi le lot banal de l’histoire des Juifs. Tellement immense, tellement intense que ceux-ci en ont construit une manière d’en rire pour conjurer l’habitude d’ en souffrir.

Le 19 avril sera le quatre vingtième anniversaire de la révolte du ghetto de Varsovie, quand une poignée de jeunes Juifs décidèrent d’affronter le Mal les armes à la main. Ils savaient qu’ils allaient mourir mais leur agonie fut leur triomphe. Puisse-ce souvenir être célébré par tous ceux qui ont compris la force symbolique de ce soulèvement.

Désormais, pour quoi sommes-nous prêts encore à mourir en Europe ? Pour l’âge de la retraite ? Pour le statut de la fin de vie ? Pour des bassines d’eau douce ? Quand notre humanité ne se décline plus qu’autour de deux verbes, produire et consommer, on se dit que quelque chose s’est détraqué dans l’idée que nous nous faisons de notre place dans le monde des humains. Nous vivons en paix mais certains ici-même jouent à la guerre et d’autres refusent de voir l’origine de cette terreur.

Peut-on leur dire, aux jeunes révoltés ou aux âmes généreuses, qu’en Israël l’utopie de l’humain est encore vive, qu’elle célèbre la vie, qu’elle dessale l’eau de mer pour la rendre potable et que chaque jour certains essaient d’honorer le message des dix paroles reçues au Sinaï.

La proximité de la célébration de la fin de l’esclavage des hébreux dans l’Egypte de pharaon avec l’anniversaire de la révolte du ghetto de Varsovie incite à penser que le pire n’est pas le plus sûr, qu’il ne possède pas la marque du destin malgré cette nouvelle douleur survenue sur une route d’Israël.

Elle nous étreint le coeur mais elle peut être pansée par notre éternel souci de réparer le monde. Tikkun olam…

à propos de l'auteur
Né à Oran et nostalgique de la plage, Jacques est à la retraite de la CSI/CNRS. Ex chercheur à la Cité des sciences, essayiste, documentariste, il est co auteur du film "décryptage" (2003) sur les représentations d'Israël et de l'essai "le nom de trop" (Armand Colin) sur la délégitimation d'Israël. Gauchophobique sur Israël et sur d'autres choses, Jacques est allergique à la bonne conscience
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