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Départ de Varsovie

Jugeant la situation plus favorable de l’autre côté de la nouvelle frontière, mon grand-père revient chercher les siens

Quel envahisseur choisir ?

J’ai laissé mon grand-père et les siens dans mon précédent billet au moment de l’invasion de Varsovie par les Allemands. Nous sommes le 1er septembre 1939. Cela commence par le bombardement de la capitale polonaise par les Stukas, bombardiers allemands. C’est ainsi que la maison des parents de mon grand-père Avraham et Justina prend feu.

En raison du dénuement dû au siège de la ville, l’eau manque pour éteindre l’incendie. Le temps que les flammes se propagent, ils n’ont que le temps de s’enfuir avec de maigres affaires. Je suppose qu’ils se réfugient avec leur fils Kuba chez les parents de ma grand-mère Etel et Fichel mais n’en sais pas davantage. Pourquoi chez Etel et Fichel ? Parce que c’est là que, pour une raison que j’ignore, vivent mes grands-parents.

Quand la Pologne est envahie par les deux puissances (allemande et soviétique), la famille écoute à la radio des nouvelles du côté soviétique. Les conditions y paraissent meilleures. La Russie est aussi porteuse de l’idéologie socialiste, qui correspond à celle du parti juif auquel appartient mon grand-père, le Bund. La nouvelle frontière se trouve à 90 kilomètres environ à l’est de Varsovie. Mon grand-père étant le chef de famille, c’est à lui que revient la décision de partir ou de rester.

C’est ainsi qu’il se rend en éclaireur à Bialystok au nord-est, peut-être parce qu’il s’agit de la première grande ville proche du côté nouvellement soviétique, peut-être aussi parce que la population juive y est fortement implantée.

Malkinia

Jugeant la situation plus favorable de l’autre côté de la nouvelle frontière, mon grand-père revient chercher les siens. Sur quoi s’est-il fondé pour prendre cette décision ? Comment est-il arrivé jusqu’à Bialystok puis revenu ? Le voyage fut-il aisé ou risqué ? Je n’ai pas pris la peine de poser ces questions quand il était temps de le faire.

Le périple commence donc. Un matin, à peine un mois après l’invasion de Varsovie, mes grand-parents Moszek et Lonia, leur fils Samuel, les parents de mon grand-père Justina et Avraham et son frère Kuba se rendent à la gare de Varsovie et prennent des billets pour le village près de la nouvelle frontière, Malkinia. Plus tard, en 1942, Malkinia sera une étape pour les Juifs déportés du ghetto de Varsovie vers Treblinka, toute proche.

Etel et Fichel restent à Varsovie. Tout comme les sœurs de Lonia, Manye et Tseché, peut-être pour ne pas laisser leurs parents seuls, assurément dans l’ignorance de ce qui les attend. On n’a jamais retrouvé leur trace.

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Manye, Tseche, un frère (?) et leurs parents (montage)

Ils sont donc 6 à partir. Se doutent-ils que c’est le début d’une longue odyssée ? Bien des réfugiés pensaient que Hitler serait rapidement vaincu et qu’ils ne tarderaient pas à retrouver leur foyer. On peut imaginer que ce fut le cas de ma famille.

Laissons-la descendre du train et rejoignons-la lors d’un prochain billet pour la première épreuve : comment va-t-elle réussir à passer la nouvelle frontière, déjà sous surveillance ?

Je parlerai aussi de la façon dont j’ai pris connaissance de ces événements. Par mes grands-parents ou ma mère, tout naturellement ? La manière est plus détournée et lui donne à mes yeux d’héritière de la troisième génération la valeur inestimable d’un récit arraché à l’oubli.

à propos de l'auteur
Historienne de formation, Léa de Kokjengak a travaillé au Mémorial de la Shoah. Elle est aujourd'hui chef de projet édition et secrétaire de rédaction. Où ? Gardons le mystère : Léa de Kokjengak est un pseudonyme. Qu'importe sa véritable identité : née en 1973 d'une famille juive polonaise, elle est simplement une représentante de la troisième génération après la Shoah. Son propos : vous faire partager ses recherches sur l'histoire de sa famille pendant la guerre, ses interrogations sur son héritage et ses racines.
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