Démocratie électorale

L’information a suscité quelques commentaires alors qu’elle aurait mérité de faire les gros titres des journaux : selon l’institut V-Dem qui fait autorité en la matière, Israël n’est plus une démocratie libérale, mais une « démocratie électorale » c’est-à-dire un régime où les élections sont libres. C’est un retour en arrière de 50 ans, et désormais l’État juif se retrouve dans la même catégorie qu’un pays comme le Brésil.

Pour justifier la dégradation du statut d’Israël, V-Dem cite notamment la tentative de réforme du système judiciaire qui aurait nui à son indépendance. On pourrait mentionner bien d’autres atteintes aux libertés qui menacent la démocratie israélienne depuis des années.

En premier lieu, la loi sur l’État-Nation votée en 2018 qui ne fait aucune mention du droit des minorités. Auparavant, il y avait eu la loi sur les associations qui obligent celles majoritairement financées par des autorités étrangères à le mentionner sur tous leurs documents.

N’y sont pas soumis des associations comme la très à droite Kohelet qui est financée également de l’étranger, mais par des fonds privés (des milliardaires américains). Il y avait eu aussi l’interdiction pour des groupements pacifistes de tenir des conférences dans les écoles alors que les groupes messianistes peuvent le faire. Toujours à l’école, il y avait eu l’interdiction d’un roman qui narrait l’histoire, oh combien criminelle ! entre une Juive et un Arabe.

Plus près de nous, le ministre de l’Éducation, Yoav Kish, voulait annuler la très populaire cérémonie de remise des prix Israël cette année pour ne pas avoir à l’attribuer à Eyal Valdman, père d’un otage et opposant notoire à la politique du gouvernement.

Plus largement, on sait depuis Pierre Mendès France que « la démocratie est un état d’esprit ». Son contraire aussi. Les attaques incessantes contre la liberté de la presse ont créé un climat. Le ministre des Communications, Shlomo Kariv, entend bien en profiter pour réformer l’audiovisuel en supprimant la chaîne 12 trop indépendante à ses yeux, afin de favoriser la chaîne 14 totalement dévouée à la droite et à son chef. On ne l’a guère remarqué, mais la guerre favorise aussi l’autocensure des journalistes. Ainsi, il y a très peu d’articles ou de reportages sur les exactions commises par des colons en Cisjordanie alors qu’elles ont justifié la prise de sanctions par les États-Unis et l’Union européenne.

Dans le même ordre d’idées, on mentionnera une interprétation parfois extensive de la notion de « soutien au terrorisme » dont sont accusés certains Arabes israéliens. En d’autres termes, Israël n’est pas près de retrouver auprès de V-Dem, ni surtout aux yeux de l’opinion internationale, son statut de démocratie libérale.

à propos de l'auteur
Philippe Velilla est né en 1955 à Paris. Docteur en droit, fonctionnaire à la Ville de Paris, puis au ministère français de l’Economie de 1975 à 2015, il a été détaché de 1990 à 1994 auprès de l’Union européenne à Bruxelles. Il a aussi enseigné l’économie d’Israël à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 1997 à 2001, et le droit européen à La Sorbonne de 2005 à 2015. Il est de retour en Israël depuis cette date. Habitant à Yafo, il consacre son temps à l’enseignement et à l’écriture. Il est l’auteur de "Les Juifs et la droite" (Pascal, 2010), "La République et les tribus" (Buchet-Chastel, 2014), "Génération SOS Racisme" (avec Taly Jaoui, Le Bord de l’Eau, 2015), "Israël et ses conflits" (Le Bord de l’Eau, 2017), "La gauche a changé" (L'Harmattan, 2023). Il est régulièrement invité sur I24News, et collabore à plusieurs revues.
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