Déclaration

C’était pratiquement une convocation. Etonnés, curieux tout de même, évasivement positifs, les participants habituels à leurs séances de réflexion, jouaient le jeux, assemblés dans le salle arrière de leur bistro favori. Devant eux, le couple de jeunes nouveaux membres. Elle, brune, dynamique, volubile, spontanée, gestes rythmant la parole. Lui, rouquin, calme, parole posée, réfléchi.
A elle la guerre, à lui l’amour. Spectateur comme tout le monde, Jonathan prit de plein fouet la déclaration. La jeune fille explicita immédiatement sa présentation liminaire. Tous deux voulaient trouver dans leur groupe une caisse de résonance à leur envie de partage, à leur engagement dans ce pays. Mais aussi, tous deux voulaient, sans attendre, ébranler les acquis, bousculer les habitudes. Elle par esprit guerrier, lui par goût de vérité. Et pour être clair, régler son compte au sujet majeur du blocage de pensée et d’action, la religion.
Le jeune rouquin intercala une incise dans le discours, avant que son amie, visiblement piaffante, ne reprenne sa démonstration. La religion, de la meilleure à la pire des choses. Meilleure pour les humains, au plan individuel, lorsqu’elle offre à celle ou celui qui en a besoin, une réponse à son interrogation existentielle. Dangereuse pour la société quand, passant au plan collectif, elle devient source des plus grand crimes et massacres. Pire pour le monde quand elle prétend à l’universel et passe au plan de la guerre totale.
L’islam, proclama-t-elle. Persista et signa. L’islam, car l’islamisme n’a pu prendre sa forme extrême que parce que, par définition religion de la soumission de l’individu au collectif, l’islam offre une plateforme idéale à la démesure et au despotisme. Demeurée figée dans son stade moyenâgeux. Confrontée à son décalage discriminant avec la modernité, elle constitue par nature, une composante de conflit. Qui ne peut être résolut que par une œuvre interne de rénovation drastique. Passer du contrôle collectif à l’ambition messianique totale trouve par contre dans les capacités d’armement, technologique, d’information contemporaines, les moyens de son accomplissement. Après le terrorisme de type Ben Laden, après la mise en place du califat Daesch, après la puissance soudainement révélée du modèle Jihadiste du Hamas, nul doute qu’un projet mondialisé ne soit actuellement mis souterrainement en place. Projet dont l’opération menée par Gaza n’est sans doute qu’une répétition miniature. L’islam, de fait, porte une ombre dégradante sur le monde arabe, pourtant héritier d’un richesse passée et apte autant que d’autre à enrichir le monde présent.
Curieusement, ce fut de nouveau le jeune-homme qui marqua une dramatisation de l’exposé. Du côté du judaïsme, ça n’est pas mieux. Plus tragique encore. Car nous concernant encore plus directement. Il ne s’agit pas ici de travers propres à la religion, puisqu’elle s’attache essentiellement à la dimension individuelle, hors de tentation œcuménique. Puisque, également, par la profondeur, la diversité de sa spiritualité, elle favorise la compréhension et la conduite de changement du monde. Il s’agit ici, au contraire, de la déviance provoquée par sa propulsion dans un univers politique et publique qui n’est pas naturellement pas le sien. Déviance qui remonte aux origines de la création de l’Etat d’Israël. Lorsque la mixité des règles démocratiques avec des éléments traditionnels religieux créa une première ambiguïté. Déviance qui prospéra par le rapprochement entre traditionalisme et nationalisme et une première irruption de parti religieux dans la vie politique du pays. Déviance devenue envahissante quand la religion, à travers ses partis, est devenue le bouclier protecteur d’une autorité politique sous menace de justice et sous renfort du conservatisme le plus sectaire. Déviance, enfin, qui devient en interne comme à l’extérieur, destructrice identitaire. Qui introduit dans la société israélienne des comportements ségrégationnistes, populistes, expansionnistes, des personnalités aussi extrêmes dans leur incompétence que dans leur expression publique. Qui ternit la réputation du pays, par extension l’image du juif, en leur faisant côtoyer injustement des notions aussi malodorantes que racisme, apartheid, génocide….Qui fragilise le sursaut unitaire et solidaire que le drame du 7 octobre et la guerre qui s’en suit ont provoqué.
Mèches brunes en bataille, la jeune femme reprit la balle au bond.
Déclaration de guerre à la déviance religieuse en appui de notre déclaration d’amour du pays. Nous ne voulons pas, dit-elle, que notre génération soit, elle encore, prisonnière de ces handicaps d’autres temps. Les peuples ont besoin, à part égale, les uns des autres. Sans s’encombrer des vieilles lunes qui ne savent pas qu’elles sont mortes. Notre horizon est plein de nouvelles, le climat, l’intelligence artificielle, la nouvelle démocratie, la paix.
Nous ne voulons que rendre à César, ce qui est à César, conclut son jeune compagnon, plus calmement, dans un sourire.
A dieu va, se dit Jonathan, dans le silence pensif qui suivit la double déclaration.