De l’usage inconsidéré des mots

Un vœu pieux ; les juges de la cour suprême exhortant leurs collègues et le monde à ne pas prononcer en vain  le mot : génocide. (Image générée par Chatgpt)
Un vœu pieux ; les juges de la cour suprême exhortant leurs collègues et le monde à ne pas prononcer en vain le mot : génocide. (Image générée par Chatgpt)

L’apparition du totalitarisme au XXe siècle a pris l’Humanité de court. Depuis la nuit des temps ou depuis que l’Homme existe, on sait ce qu’il est capable de faire…

Mais ce XXe siècle a dépassé toutes les imaginations, et personne n’a pensé, avant son avènement, à ce que l’homme pourrait concevoir et entreprendre quand il s’organise avec méthode, puissance, rationalité, et qu’il met au service du mal tout son pouvoir. Cette sombre période s’appelle le nazisme, dont l’idéologie centrale a été de rayer tout un peuple du monde des vivants.

Pour la première fois dans l’histoire, cette idéologie a utilisé la technologie, l’organisation, la discipline, l’endoctrinement, dans le but de supprimer physiquement tout un peuple : hommes, femmes, enfants, bébés. Cette tentative d’éradiquer une population bien définie s’appelle un génocide.

Ces deux qualificatifs, « nazisme » et « génocide », devraient être utilisés avec la plus grande parcimonie, prudence ; ce sont deux mots terribles qui ont été inventés il y a près de cent ans et qui expriment l’inconcevable, l’indicible – littéralement ce qui ne peut être dit et donc être prononcé.

Ces mots devraient être enfouis dans les lèvres, ne pas sortir de la bouche, ni du clavier, ni de la plume, autrement qu’à bon escient. Or aujourd’hui, on est forcé de constater qu’il y a une banalisation de leurs usages qui est insupportable et dangereuse.

Le 7 Octobre n’est pas un génocide, c’est un massacre, un pogrome ; certes, le pire depuis 1945. Rappelons que quand Auschwitz tournait à plein régime, en deux ou trois journées, il faisait disparaître de la surface de la terre plus de Juifs que tous ceux qui ont été tués au Moyen-Orient depuis l’existence de l’État d’Israël, y compris les tués du 7 Octobre !

Ce que les Russes font aux Ukrainiens ce sont des massacres, pas un génocide.

Ce qui se passe au sud Soudan ce sont des centaines de milliers de victimes, des viols de masse, mais toujours pas un génocide.

Rappelons la définition du génocide : « des actes commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».

Le mot « en partie » prête malheureusement à controverse. Les seuls massacres d’ampleur où la volonté d’extermination a été présente est le génocide arménien par les Turcs, les tueries de masse des Tutsis au Rwanda, et le génocide cambodgien (1975–1979).

Dans ce classement sinistre, la Shoah tient incontestablement la première place en ce qui concerne le systématisme et le nombre de victimes. Aujourd’hui, en 2025, la population Juive est à peu près équivalente en nombre à ce qu’elle était en 1939. En fait, nous aurions dû être présentement deux fois plus nombreux !

Quand des politiciens, des journalistes, des tribunaux nationaux ou internationaux, ou plus généralement une opinion publique, condamnent Israël de génocide à Gaza, ou même quand ils mènent une enquête sur la possibilité de génocide, ils agissent dans le meilleur des cas par ignorance, mais souvent ils commettent – et je pèse mes mots – un crime, en retournant le sens de l’Histoire.

Je pourrais digresser longuement – et cela a été largement fait sur cette guerre dite asymétrique – sur l’utilisation systématique de civils comme rempart humain. Mais je préfère donner un exemple, un seul de l’absurdité et de la mauvaise foi de l’accusation : a-t-on déjà vu des « génocidés » potentiels qui ont la possibilité de dire pouce ? À qui on propose une trêve pendant laquelle non seulement l’extermination cessera, mais en bonus ils recevront des centaines de camions de ravitaillement des tracteurs et autres matériaux, et qui n’accepteraient pas ?

Imagine-t-on des SS entrant dans les chambres à gaz en proposant en échange de je ne sais quoi, un arrêt temporaire du massacre, de la nourriture en abondance ? Imagine-t-on les squelettes vivants délibérant pour savoir si ça vaut le coup ou non d’accepter ! L’absurdité est flagrante.

La tentative d’accuser les victimes d’hier de tortionnaires d’aujourd’hui est monstrueuse. Que ceux qui accusent Israël de crimes de guerre se posent la question : qu’aurais-je fait si j’étais confronté à une telle situation ?

Imaginons la Corse, une île indépendante dont la charte serait la destruction de la République Française, avec comme but l’expulsion et la disparition de tous ses habitants ; imaginons que toutes les semaines, années après années cette île bombarde la métropole de centaines de roquettes, faisant somme toute relativement peu de victimes mais poussant des millions d’habitants à se mettre quotidiennement sous les abris. Imaginons que la France réplique en envoyant des Rafales bombarder l’île en faisant des victimes collatérales civiles innocentes, et imaginons l’indignation du monde civilisé devant ces crimes « odieux », et réclamant à corps et à cris des sanctions.

Imaginons encore qu’un commando de quelques milliers de maquisards corses parviennent sur le sol français et commettent des massacres, des viols, des prises d’otages sur des dizaines de milliers de victimes innocentes. Imaginons que la France réplique en envoyant l’armée régulière sur l’île et, tout en combattant les maquisards, tue quelques milliers ou dizaine de milliers de victimes civiles.

Imaginons que pour ses actions, ou plutôt réactions, la France soit expulsée du conseil de sécurité, et mise à l’index des nations. Comment réagirait le public français ? N’aurait-il pas le sentiment d’une injustice insupportable ?

Pour couronner le tout, imaginons que le tribunal international de la Haye accuse la France de présomption de génocide contre la population sans défense de la Corse !

Évidemment, tout n’est pas blanc et noir. Il y a eu de nombreuses bavures. Pire qu’un crime, il y a eu des erreurs. La principale est que le gouvernement Israélien aurait dû dès le début prévoir une alternative au Hamas, ce qui de facto aurait donné un rôle à l’Autorité palestinienne, aurait permis de déraciner le Hamas et finalement diminuer le nombre de victimes de part et d’autre. Le Premier ministre s’est refusé à tout prix à une telle solution, à cause des implications internes qu’une telle décision aurait eu sur son gouvernement.

Tout commence d’abord par des mots. On sait, par expérience, que les mots conduisent à l’irréparable, parfois à l’ineffable. Utilisons-les avec prudence ; chaque mot a un sens, ne le dénaturons pas. Les mots peuvent être source de vie, mais quand ils sont détournés, dévoyés, alors les mots sont source de maux et se retournent ultimement contre ceux qui les ont prononcés avec malveillance.

à propos de l'auteur
Dr. Daniel Suraqui est physicien nucléaire. Il a été enseignant à l’Université de Jérusalem puis a développé des systèmes informatiques. En 2011, dans le cadre de la compagnie dont il est le fondateur, il a été le premier à développer une application sur Androïd, un clavier révolutionnaire appelé SlideIT qui a été utilisé par des millions d’utilisateurs et qui est basé sur de nombreux brevets. Après lui, d’autres compagnies ont utilisé cette technologie de sorte qu’aujourd’hui ce type de clavier existe dans toutes les langues et pratiquement dans tous les téléphones. Il a également écrit plusieurs livres et est un passionné d’Histoire.
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