De l’ombre à la lumière
La Hanoukia me regarde comme je la regarde.
Elle attend son huile. Son fer est noirci, ses torsades tordues. Je pense aux coups de marteau qui ont dessiné ses étoiles. La main qui tenait l’outil tremblait-elle ? Je ne sais même pas à qui était cette main.
Je ne sais pas bien non plus quand fut le premier allumage.
Mais je sais que la dernière fois de ma grand-mère Victoria, il y a 81 ans, elle a dû sortir religieusement la forme plate de son enveloppe de papier journal. Le papier a bruissé quand elle l’a déplié et les enfants devaient s’agiter un peu autour d’elle. Elle a considéré un moment, sans doute, la plaque de métal repliée sur elle-même avant de l’ouvrir comme un livre.
Elle a saisi les fils de fer torsadé des côtés et en les insérant dans les encoches, elle a maintenu la structure en angle droit. Elle a sans doute aussi déplié le petit anneau du haut et y a placé le premier gobelet de fer blanc que lui tendait mon grand père. Avant de laisser les enfants mettre un à un les huit autres dans les trous laissés à cet effet dans l’arc de cercle horizontal.
Comme nous ce soir, la famille a allumé la première bougie, en pensant sans doute comme nous à tous ceux dont on n’avait plus de nouvelles. Et comme ma grand-mère avait la foi, la flamme de sa bougie était une belle flamme d’espoir et de liberté.
Je sais ce qu’il en a été de son espoir et de sa liberté, mais je sais aussi qu’elle avait raison d’y croire puisque je suis là, 81 ans plus tard, de retour sur cette terre qu’elle appelait de tous ses voeux, à allumer en son nom sur sa précieuse hanoukia de fer noirci aux torsades tordues la même petite flamme, fragile mais tenace, de l’espoir du retour de ceux qu’on attend.