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De l’esprit de Pessah et du drame des réfugiés en Méditerranée

Pensée solidaire pour tous ceux pour qui les flots ne se fendent pas en nos temps profanes et qui périssent noyés dans la Méditerranée

Les Juifs du monde entier viennent de sortir de l’Egypte après que l’intervention des dix plaies et l’ouverture de la mer ont permis leur délivrance.

Miracle rappelé le soir du seder – miracle fondateur d’un peuple, miracle annonciateur d’une révélation, miracle pré-figurateur d’une vision du monde révolutionnaire, qui a fait écrire à Henrich Heine que depuis l’Exode la liberté s’écrit en lettres hébraïques.

C’est pourquoi l’esprit de Pessah aurait dû inspirer à chacun des participants revivant la traversée de la mer d’avoir une pensée solidaire pour tous ceux pour qui les flots ne se fendent pas en nos temps profanes et qui périssent noyés dans la Méditerranée dans une indifférence, hélas, devenue à peu près générale. Il est pourtant prévisible que beaucoup des convives de la table du seder n’y ont pas songé.

Le rabbin Delphine Horvilleur a écrit, pour résumer sa pensée, qu’il ne servait à rien de faire le seder sans penser aux réfugiés. Le rabbin René Pfertzel, avec qui j’ai partagé à Lyon cette soirée, nous disait la même chose. Et avec eux de nombreux rabbins de toutes obédiences se sont exprimés en ce sens.

On pourrait certes leur objecter qu’accomplir le rite sans en comprendre le sens, c’est déjà, du moins, le perpétuer afin de le transmettre aux générations suivantes, qui pourront peut-être retrouver la véritable signification de cette nuit que la Hagadah nous présente comme différente de toutes les autres nuits. Rien n’est pourtant moins sûr : par définition, une espérance n’est jamais qu’un pari. En réalité, le risque demeure de faire sans jamais comprendre, alors même que dans le Sinaï les Hébreux se sont engagées à comprendre après avoir fait (c’est même à cela seul qu’il sert de faire).

Cette indifférence au sort des autres peuples n’en est pas moins après tout naturelle : la sortie de l’Egypte n’a été permise que par la mort des premiers nés au pays de Pharaon, c’est-à-dire celle des enfants non-juifs du fait d’une décision divine qui se trouve commémorée avec des chants et dans la joie tous les ans à la table du seder. Où l’on voit qu’il faut bel et bien chercher à comprendre la vraie signification de ce massacre à grande échelle pour ouvrir ses cœurs et restituer à la liberté sa portée universelle ! – quand la liberté d’un seul peuple peut entraîner l’oppression d’autres populations humaines (n’est-ce pas au nom de la liberté des propriétaires d’esclaves que l’Histoire a si souvent justifié l’esclavage ? et que des peuples en ont asservis tant d’autres pour satisfaire leurs propres aspirations?).

Les midrashim ont interrogé le texte en ce sens pour délivrer la dixième plaie d’Egypte de toute interprétation xénophobe ou raciste.

Un midrash explique ainsi que les premiers-nés étant consacrés au culte égyptien, leur anéantissement mettait fin à celui-ci. Le message divin adressé aux Hébreux – avant même qu’ils se constituent en nation dotée d’institutions, ce qui est différent d’un simple peuple – est de la sorte des plus clairs : méfiez-vous des religieux ! Ce sont eux qui entravent l’Histoire humaine. Ne vous laissez pas déposséder de la législation à venir par un clergé installé dans ses prérogatives et ses certitudes (chacun jugera en conscience si les prêtres du Temple puis les rabbins ont entendu ou non ce message…)

Un autre midrash prétend que la dixième plaie n’a pas été la mort des premiers-nés, mais la mort par les premiers-nés : apprenant quel sort les attendait si Pharaon ne cédait pas aux instances de Moché, ils auraient demandé à leurs pères de laisser partir les Hébreux puis auraient passé ceux-là par le fil de l’épée devant leur refus de s’incliner devant l’Eternel dominant les divinités égyptiennes (quand on disait que le religieux bloquait tout !). Bien que tirée par les cheveux, si l’on nous passe l’expression, cette interprétation a le mérite de supprimer toute référence à un quelconque infanticide.

L’auteur de ces lignes a eu par ailleurs l’occasion d’enseigner une troisième explication possible de la mort des premiers-nés, recourant à la fois à l’histoire et à la science : l’éruption du volcan Santorin vers environ 1 500 avant notre ère fut une catastrophe si exceptionnelle qu’on lui impute la disparition de la civilisation crétoise.

Deux géologues, Gilles Lericolais et William Ryan, ont avancé l’hypothèse que cette éruption pourrait expliquer les neuf premières plaies d’Egypte. Même l’énigme de la dixième peut être résolue puisque des cendres volcaniques contaminant des réserves de nourriture auraient entraîné la mort par intoxication des premiers-nés, qui étaient les premiers servis dans ces civilisations antiques.

Cette possibilité a le mérite de faire de ce massacre à grande échelle non pas la manifestation du courroux divin, mais la conséquence d’un phénomène naturel – dont l’Eternel, qui en connaissait l’existence dans son Omniscience, s’est servi pour délivrer les Hébreux quand une fenêtre de sortie se présentait à eux (d’autant plus qu’il a été scientifiquement prouvé que le souffle de vents puissants peut faire s’ouvrir la mer des Joncs).

Le miracle est de la sorte la rencontre des hommes et de certaines circonstances favorables. Qui se produisent ou non. Notons en passant que l’explication de la Shoah serait alors qu’aucune de ces circonstances ne s’est alors rencontrée, et qu’elle ne s’est pas produite par décision de l’Eternel (cette hypothèse offense la mémoire des morts et profane le Nom divin) mais du fait de Son observance des lois physiques qu’Il a créées et ne peut plus enfreindre après Son retrait du monde. Une fois ainsi comprise cette mort des innocents, on peut alors éprouver la pleine signification de Pessah.

Il n’en demeure pas moins que les craintes exprimées dans la communauté juive à l’égard des réfugiés est bien compréhensible (même s’ils ne « déferleront » pas dans notre pays : nous n’en accueillerons que 30 000, bien loin de prendre notre part et cela au mépris de toute solidarité avec nos partenaires européens).

On nous dit en effet à grands cris que des terroristes se sont glissés parmi ces réfugiés. Modérons cette angoisse : il y a pour eux des chemins d’entrée plus sûrs que des barques surchargées risquant de chavirer en pleine mer (on déplore chaque année la tragédie de milliers de noyés).

Du reste, les terroristes qui ont frappé notre pays et, comme il est à craindre, le frapperont encore, ne sont pas nés dans la Syrie des El-Assad ou l’Irak de Saddam Husssein, mais dans la France de François Mitterrand et de Jacques Chirac, issus de quartiers hier abandonnés de la République, et que nous n’osons pas voir à présent abandonnés de la Nation.

On nous annonce aussi qu’ils sont antisémites. Cette affirmation est sans aucun doute exacte. Ils ont été éduqués dans cet état d’esprit. Mais ils ne le sont pas plus que les réfugiés syriens soignés dans les hôpitaux israéliens, qui y sauvent leur vie et s’y font des amis après avoir découvert à quoi les juifs ressemblent en vrai. Les nôtres seront même plus faciles à débarrasser de leurs préjugés : ce sont les membres des classes moyennes et supérieures qui ont les moyens financiers de se frayer un chemin jusqu’à nous, ils sont beaucoup plus instruits que les réfugiés qui se sont contentés de franchir une frontière sur le Golan.

Voilà donc de quoi alimenter nos réflexions sur la place à accorder à la solidarité envers ces réfugiés fuyant la guerre et les djihadistes, en ces jours de Pessah célébrés par les descendants de personnes qui avaient fui en leur temps l’Afrique du Nord et l’Europe de l’Est pour trouver asile au pays des droits de l’Homme.

Ces parents, grands-parents et aïeux avaient suivi une route vers la liberté inaugurée par les Hébreux et empruntée aujourd’hui par les réfugiés. Il serait bon d’associer leur souvenir à cette semaine pour revivre avec eux, comme avec les Hébreux, la sortie de l’Egypte de l’année 5776. Célébrer véritablement Pessah, cela ne signifie-t-il pas faire de ces huit journées non une visite au musée de l’Histoire mais plutôt une redécouverte de la libération offerte à toute l’humanité ?

à propos de l'auteur
Gilles Orselly, cadre administratif dans une grande collectivité locale du Sud-ouest, est écrivain, prix François Mauriac de l’Académie française et prix Soubiran de l’Académie du Languedoc. Il a réalisé le moyen-métrage « Paroles de Résistants-Grenoble le 22 août 1944. Il a été l’un des animateurs du cercle de recherche sur la pensée juive de Grenoble et a été responsable de plusieurs associations cultuelles.
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