De la démocratie illibérale à un régime autoritaire ou dictatorial

Vue de la vieille ville de Varsovie (Crédit : Pixabay)
Vue de la vieille ville de Varsovie (Crédit : Pixabay)

Nombreux sont les analystes politiques qui qualifient aujourd’hui la Pologne de “démocratie illibérale”. Un régime politique dans lequel la notion de démocratie, en perte de substance, n’est plus qu’une sorte d’ornement. Une forme de gouvernance qui, bien qu’elle soit formellement démocratique avec l’organisation d’élections, ne respecte plus les principes fondamentaux de la démocratie libérale, soit la séparation des pouvoirs, l’État de droit, l’indépendance du système judiciaire, la liberté de la presse, la protection des droits de l’homme et des libertés individuelles. A cela s’ajoute la concentration du pouvoir généralement détenu dans les mains d’un petit groupe ou d’un seul leader. Le nationalisme est également un des attributs essentiels de la démocratie illibérale. Le gouvernement prône une identité nationale forte et exclusive au détriment des minorités ethniques, religieuses ou sexuelles. Les dirigeants de ces régimes ont souvent un discours populiste se glorifiant de défendre les intérêts du “peuple” contre les “élites”. A noter, la démocratie illibérale n’est pas encore un régime autoritaire. Les citoyens ont encore un certain degré de droits politiques, mais ces droits sont limités et souvent confisqués par le gouvernement.

Le processus de déstabilisation de la démocratie en Pologne a été progressif et a commencé avec l’arrivée au pouvoir du parti populiste et conservateur, le parti Droit et Justice (PiS) en 2015.

Quelles ont été les principales étapes de ce processus ?

La réforme du système judiciaire

Le gouvernement a entrepris une série de réforme du système judiciaire en vue d’affaiblir l’indépendance de la justice et de politiser le système judiciaire. Faire en sorte que le pouvoir judiciaire soit soumis au contrôle du pouvoir exécutif. Ainsi, à titre d’exemple, en juillet 2017 le gouvernement a adopté une loi donnant au ministre de la Justice le pouvoir de nommer et de révoquer les Présidents des tribunaux sans consultation. De plus, la loi abaissait l’âge de la retraite à 60 ans pour les femmes et 65 ans pour les hommes, ce qui a forcé environ 40 % des juges de la Cour suprême à prendre leur retraite anticipée.

Contrôle des médias publics

Le PiS a cherché a renforcer son contrôle sur les médias publics avec le licenciement de journalistes critiques, et en nommant ses partisans à des postes-clés. Le gouvernement a également limité les possibilités de financement des médias indépendants. Des mesures qui ont fortement impacté la liberté de la presse et l’équilibre de l’information dans le pays.

Restrictions des libertés civiles

Le gouvernement a adopté des lois qui ont restreint les droits des minorités, notamment les droits des personnes LGBT. Cela inclut des zones sans idéologie LGBT déclarées par certaines municipalités et des lois interdisant l’éducation sexuelle à l’école.

Érosion des contre-pouvoirs

Le PiS a cherché à affaiblir les contre-pouvoirs démocratiques, notamment les ONG et les institutions indépendantes de contrôle et de surveillance. Cela a été fait par des changements législatifs et des restrictions sur le financement de ces institutions.

Polarisation politique

Les divisions se sont creusées entre les partisans du parti au pouvoir et l’opposition, ce qui a entrainé une atmosphère politique tendue et un effritement du dialogue et des consensus politiques.

Comment le peuple polonais aurait pu faire échec aux attaques du gouvernement contre l’indépendance du système judiciaire et l’État de droit ?

Mobilisation citoyenne

Les citoyens peuvent organiser des manifestations pacifiques, des rassemblements et des sit-in. Une mobilisation populaire peut attirer l’attention nationale et internationale sur la situation et exercer une pression sur les dirigeants politiques.

Engagement politique

Les citoyens peuvent s’engager activement dans les partis politiques qui soutiennent l’indépendance du système judiciaire et l’État de droit. Ils peuvent également former des groupes de pression auprès des décideurs politiques.

Recours juridiques

Les citoyens peuvent saisir les tribunaux nationaux et internationaux pour contester les réformes qui portent atteinte à l’indépendance du système judiciaire. Déposer des plaintes auprès des tribunaux nationaux ou autres instances judiciaires internationales.

Solidarité internationale

Rechercher le soutien de la communauté internationale, notamment des organisations internationales des gouvernements étrangers, des ONG et des médias internationaux. La presse internationale peut avoir un impact significatif sur le gouvernement et aider à attirer l’attention sur la situation du pays.

Éducation et sensibilisation

Il est essentiel de sensibiliser la population sur l’importance de l’indépendance du système judiciaire et de l’État de droit. Des campagnes d’éducation civique, des programmes d’information et des débats publics peuvent permettre de renforcer la compréhension de ces principes fondamentaux et de mobiliser un large soutien.

Il est toujours préférable d’agir de manière pacifique, légale et en respectant les droits de l’Homme lors de la défense de l’indépendance du système judiciaire et l’État de droit, mais il est important de souligner que chaque situation est unique et que les actes à entreprendre peuvent varier en fonction du contexte politique et social spécifique.

Le risque de ne pas s’opposer à l’instauration d’une démocratie illibérale est que celle-ci ne se transforme progressivement en un régime autoritaire.

La démocratie illibérale se réfère à un système politique qui combine des éléments démocratiques et non-démocratiques. Les élections peuvent être partiellement libres, mais elles sont souvent limitées par des restrictions sur le type des candidats autorisés à se présenter, des campagnes de propagande gouvernementales et des contrôles sur le processus électoral. La démocratie illibérale maintient également des formes de liberté limitées, mais elle est souvent associée à des régimes autoritaires.

Un régime autoritaire est un système politique dans lequel un seul leader ou un petit groupe de dirigeants détient de pouvoir absolu et exerce le contrôle politique et social sur la population. Ces régimes sont généralement caractérisés par des restrictions sur les droits et libertés du citoyen et par un manque de participation démocratique. Les régimes autoritaires sont souvent associés à des répressions politiques sévères et à un manque de respect des droits de l’Homme.

Dans quelles conditions la démocratie illibérale peut-elle devenir l’antichambre d’un régime autoritaire ?

Manipulation des élections

Les dirigeants d’un régime démocratique illibéral peuvent manipuler les élections pour maintenir leur pouvoir en restreignant l’accès à la participation politique, en contrôlant les médias et en limitant les candidats autorisés à se présenter. Cela peut sauver quelques apparences tout en s’assurant que les seuls candidats favorables au régime sont élus.

Suppression des droits et libertés

Un régime démocratique illibéral peut restreindre progressivement les droits et les libertés fondamentales, tel que la liberté de la presse, la liberté d’expression et le droit de réunion. Cela, sous le prétexte de maintenir l’ordre public ou de lutter contre des menaces internes ou externes.

Concentration du Pouvoir

Les dirigeants peuvent progressivement accroître leur pouvoir en affaiblissant les contre-pouvoirs, tels les institutions judiciaires indépendantes, les médias indépendants et la société civile. Cela leur permet de contrôler les décisions politiques et de réprimer toute opposition.

Culte de la personnalité et propagande

Les dirigeants peuvent cultiver un culte de la personnalité autour d’eux-mêmes, en se présentant comme les seuls sauveurs et les seuls garants de la stabilité et de la prospérité du pays. Ils peuvent également utiliser la propagande pour manipuler l’opinion publique et justifier leurs actions.

Répression politique

Un régime démocratique illibéral peut progressivement intensifier la répression politique en emprisonnant des opposants, en restreignant la liberté de la presse et en utilisant les forces de sécurité pour réprimer toute forme de dissidence. Cela permet aux dirigeants de maintenir un contrôle strict sur la société et d’éliminer toute opposition potentielle.

Cela dit, toutes les démocraties illibérales ne deviennent pas forcément des régimes autoritaires, mais certaines conditions peuvent favoriser cette transition. Il n’en reste pas moins vrai que s’opposer aujourd’hui à l’instauration d’une démocratie illibérale constitue le moyen le plus efficace de prévenir les risques d’une dérive autoritaire et dictatoriale.

Pour conclure, soulignons l’extrême importance pour chaque citoyen de se poser une question essentielle : Voulons-nous vraiment être tributaire de l’arbitraire du Prince ? Dans la situation actuelle, nous ne pouvons absolument pas faire l’économie d’une telle question ni d’en méditer les conséquences et implications. L’arbitraire du Prince implique que les décisions prises par le dirigeant ne sont pas basées sur des critères objectifs, mais plutôt sur sa volonté personnelle, ses caprices, ou ses intérêts particuliers.

à propos de l'auteur
Docteur en philosophie de l’université Paris I (Panthéon-Sorbonne) Ancien journaliste à Kol Israël (Kan) et au journal en ligne Proche-Orient.Info
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