David, roi du Deuxième Israël
C’est le titre d’un film qui lui était consacré et que la presse israélienne reprend en apprenant la mort de David Lévy à l’âge de 86 ans. Ces mots s’imposent.
Ce natif de Rabat, arrive en Israël en 1959, à l’âge de dix-neuf ans. Il s’installe à Beit Shéan, ville de développement, cet autre nom de la pauvreté urbaine. Il en sera maire pendant treize ans, avant son frère et son fils. Car, chez les « Marocains », on a le sens de la famille.
Le jeune David devient une personnalité syndicale puis politique. Membre de la Knesset pendant plus de trente ans, il sera plusieurs fois ministre et vice-Premier ministre. Trois fois chargé des Affaires étrangères, il y suscitera moqueries et mépris parce qu’il ne parle pas l’anglais, alors qu’il maitrise le français, l’arabe et l’espagnol. Il ne parviendra jamais à devenir le chef du Likoud et à prétendre au poste de Premier ministre, Itzhak Shamir, puis Binyamin Netanyahou ayant su convaincre les militants du grand parti de droite qu’ils avaient plus de capacités que lui. Au soir de sa vie, ses mérites sont reconnus avec un Prix Israël couronnant son parcours.
Dès ses débuts dans la vie publique, il avait choisi de dénoncer une certaine gauche jugée arrogante et méprisante vis-à-vis des Séfarades. Il avait quelques raisons pour cela. Lui et les siens ont vécu les humiliations qui étaient alors le lot quotidien de ceux arrivant en Terre promise sans argent et sans diplôme. Ces prolétaires devaient quémander un travail auprès du bureau de l’emploi qui les confinait dans des travaux sales et mal payés. Plus encore, ces Orientaux intriguaient et inquiétaient les Israéliens de la première génération : « Marocain-couteau ! » (Marocaï-Sakin !). Même la grande cause nationale ne pouvait les réunir.
Pour les Juifs venus d’Europe, le sionisme était une idéologie, un projet politique qui a pour nom Israël. Pour ceux venus du monde arabe, le pays des Juifs était d’abord celui de la tradition, de la religion juive. Les deux Israël ne trouveront jamais un terrain d’entente. Mais le Second saura s’affirmer, défendre son identité et gravir les échelons de l’échelle sociale.
David Lévy sera le porte-drapeau de la revanche séfarade, cette révolution réussie. Car le petit juif de Rabat, le prolétaire de Beit Shéan a incarné pendant des décennies ce Deuxième Israël qui désormais fait presque jeu égal avec le Premier dans la politique et les affaires. Il n’en est pas encore de même à l’université ou dans la presse, mais cela viendra.
Les esprits chagrins souligneront que David Lévy n’avait ni les compétences, ni l’acharnement au travail nécessaires pour jouer les premiers rôles. Il n’empêche. Dans le ciel étoilé des Juifs orientaux, l’étoile de David Lévy continuera longtemps à briller.