David Galula et la théorie de la contre-insurrection
David Galula est un juif nord-africain qui a eu une vie extraordinaire. J’ai écrit sa biographie à partir d’une interview du général américain David Petraeus. Ce dernier a largement contribué à la diffusion de la pensée de Galula au sein des forces armées américaines. Je propose aux lecteurs de Times of Israel quelques passages de l’introduction de mon livre.
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David Galula n’est pas le premier génie ignoré de ses contemporains et oublié des livres d’histoire. D’autres, avant et après lui, ont contribué au progrès des sciences sans avoir obtenu la reconnaissance due aux vraies élites, celles qui participent au changement du monde. Il est certainement possible d’écrire une autre histoire de l’humanité faite de ces inconnus qui n’ont eu droit ni à la gloire ni à la fortune en dépit de leurs talents et de leurs réalisations.
Lire Galula est une urgence absolue parce qu’il est le seul à avoir compris les ressorts profonds d’une guerre asymétrique, le type de guerre qui monopolise l’actualité et que nous avons le plus grand mal à gagner. Afghanistan (un enfer pour l’URSS comme pour l’OTAN), Somalie, Irak, Mali, République Centre Africaine pour ne citer que les théâtres d’opération où la France a été partie prenante ou l’est encore à ce jour. A chaque fois, la « non-victoire » est au rendez-vous et les réussites réelles sur le terrain sont fragiles comme au Mali où l’insurrection islamiste ne se décide pas à rendre l’âme.
A quoi sert l’arme atomique contre Merah ou Abdeslam ? Quel est le rôle d’un sous-marin nucléaire ou d’un bombardier furtif face à des individus qui se cachent dans des grottes ou dans les bas-fonds de nos villes ? Le terrain de jeu a été déplacé ailleurs, l’ennemi ne veut pas jouer avec les règles du jeu de la guerre conventionnelle, celle qui oppose des Etats souverains et leurs armées régulières. Al Qaeda ne va jamais lancer de divisions blindées contre Bamako ou Nice. Les djihadistes ne sont pas fous.
Sans faire de jugement de valeur, Galula donne les clés pour comprendre la feuille de route des insurgés. Il déploie en des termes simples et précis une solution qui, étape par étape, permet à une démocratie de se défendre contre un ennemi qui a tous les droits : il peut mentir et accuser sans fondement alors qu’elle doit parler vrai et prouver ce qu’elle avance, il promet tout et n’importe quoi alors qu’elle porte sur les épaules un bilan qui par définition est contrasté, il tue et torture alors qu’elle est tenue de respecter les rituels de l’Etat de Droit.
La solution à nos problèmes se trouve sous nos yeux et nous l’ignorions ; ni les leaders politiques ni le milieu universitaire de ce côté de l’Atlantique ne se sont emparés des outils puissants que Galula a légués il y a cinquante ans déjà.
Derrière ce rendez-vous manqué se trouve la tragédie du bon sens car Galula n’est pas un « fou de la gâchette » qui va préconiser de tirer avant de réfléchir. Il n’est pas assoiffé de gloire non plus. Si Galula est encore un inconnu à ce jour c’est peut-être parce que le bon sens passe toujours au second plan quand la guerre est là, haine et hostilité saturent les esprits et la raison d’Etat s’efface devant les passions.
La pensée de Galula est humaniste car elle place l’homme et ses besoins au cœur de ses préoccupations. Là où les uns proposent de bombarder, Galula préfère recenser les habitants et cartographier les réseaux familiaux et claniques ; là où plusieurs auraient cédé à la tentation de la vengeance en brûlant un village entier, lui propose une réponse ferme mais proportionnée.
Là où l’Etat-Major insiste pour surveiller les points hauts, Galula place ses hommes au cœur des douars pour que les habitants se sentent effectivement protégés, quand ses collègues et supérieurs maltraitent les détenus, Galula autorisent les proches à visiter leurs prisonniers pour convaincre la population de la supériorité morale de la France sur le FLN.
Galula est un guerrier qui s’empêche. C’est pour cela peut-être que le nom d’Aussarres est arrivé jusqu’à nous alors que Galula a été condamné aux oubliettes de l’histoire. On ne parle jamais des trains qui arrivent à l’heure dit-on… Galula n’est pas parvenu jusqu’à nous parce personne n’a vraiment intérêt à faire une guerre « politique » qui prend en compte l’état final souhaité à savoir la paix et non la terre brûlée.
Une paix harmonieuse où la société continue de fonctionner sans porter à jamais les stigmates des offenses infligées de part et d’autre. Galula est un soldat qui fait la guerre pour construire la paix, il voit dans le militaire un agent politique qui utilise le besoin humain de sécurité comme une arme pour éloigner la population de la rébellion.