Daniel Cohen, Une brève histoire de l’économie, Albin Michel, 2024.
Le premier conseil que je vous donnerai en approchant ce livre, c’est de ne pas avoir peur de son contenu, ne vous laissez pas décourager par un titre en apparence rébarbatif ! Le hasard a voulu que ce sympathique petit ouvrage, si accessible et si clair, dût le dernier de l’auteur qui nous a quittés il y a peu de temps.
Dès que j’ai fini de lire la belle préface et les tout premiers chapitres, j’ai été pris par un charme indéfinissable ; j’avais l’impression d’avoir entre les mains un ouvrage à caractère messianique ; certes, notre homme s’appelle Cohen, je ne sais pas s’il y attachait de l’importance, mais grâce à lui, j’ai été sensible à l’idée que la vie a un sens et que l’économie, vue sous cet angle, en a un elle aussi. Incontestablement. Après tout, sans économie l’humanité disparaitrait. Quand l’auteur note que la principale préoccupation de l’homme depuis toujours a été de se nourrir, cela me rappelle le constat biblique sauvant : tout le mal que l’homme se donne c’est pour sa bouche, donc se nourrir. (Kol amal ha adam le fihou…) Les économistes ont donc une aura de sainteté et de messianisme… Cela tombe bien, comme je le rappelais plus haut, notre auteur se nomme Cohen
Et je ne rappelle même pas que l’enclave hébreu qu’était Joseph fils du patriarche Jacob a été l’économiste en chef de l’Égypte pharaonique, frappé par une famine terrifiante, au point d’inspirer à son dirigeant suprême des cauchemars. Je ne sais pas, et je ne saurai jamais si le professeur Cohen y a pensé en travaillant , mais même s’il ne connaissait pas ces textes, ces derniers s’y connaissaient en lui… Hegel parle de la ruse de l’histoire qui se joue même des plus avancés parmi nous.
La démographie compte aussi beaucoup dans cette affaire : l’auteur offre un tableau comparatif en un demi paragraphe, preuve que cet économiste qu’était Daniel Cohen maitrisait parfaitement son sujet. Des quelques milliers de terriens que nous étions à l’aube de l’humanité, nous sommes désormais plusieurs milliards.
Les tendances malthusianismes se sont imposés presque instinctivement : moins on est, plus la part du gâteau reçue est grande… Il y a donc un rapport entre la qualité de vie et la démographie. L’auteur signale une hausse généralisée du niveau de vie après des guerres ou des calamités naturelles… Mais, au fond, l’évolution des principaux pays d’Europe va donner tort à Malthus puisque la société rurale va permettre la naissance d’une société industrielle … grâce aux ressources du sous sol et aussi grâce à l’esclavage, hélas.. Les grandes découvertes ont changé la face et l’avenir du monde. Ce qu’on produisait en des jours, voire des mois, se fait en quelques secondes par un groove d’ouvriers réduit. Mais toute société humaine a besoin de se conformer à un ordre éthique qui est presque toujours en contradiction avec les notions de partage, de solidarité et de justice sociale. Le marxisme a tenté d’obvier à ce défaut mais il a principalement accru les inégalités et confisqué la plupart des libertés individuelles.
Mais la vie économique n’est pas un long fleuve tranquille, la crise de 1929 est là pour le prouver. Quand on revoit cet enchaînement diabolique des causes et des effets, on ne peut pas se dire que la catastrophe n’était pas inéluctable. Mais c’est aussi la preuve indirecte que le capitalisme sait se redresser et apprendre de ses erreurs ; c’est le secret de sa survie, envers et contre tout.
Mais il n’a pas pu faire l’économie de crises financières. Le système bancaire a manqué de peu de sombrer et les développements inégalitaires sont préoccupants. Des secteurs entiers de la population s’estiment délaissés ou oubliés par l’expansion économique et le niveau de vie. Les gens veulent travailler moins tout en développant une société de loisirs et de bien-être sans limite. Pourrons nous durablement promettre une retraite à taux plein et partir en vacances trois, voire quatre fois par an… C’est une équation difficile à tenir.
Un autre phénomène, inouï jusqu’ici, s’est imposé à nos sociétés de manière irréversible, la mondialisation qui concerne aussi bien les êtres humains que les réalités économiques et financières. Aucne région, aucun peuple ne peut rester durablement par rapport aux autres. Les relations commerciales ont aboli les distances. Et on a pu le constater négativement, si je puis dire, par la diffusion du Covid 19 sur toute la planète. Pendant de longs mois, le monde a vécu au ralenti et les victimes se comptent par millions.
Mais tout ceci n’est rien, comparé aux défis incarnés par le numérique, le Trans humanisme et l’intelligence artificielle. Les limites de l’humain risquent d’être franchies, sans qu’on soit sûr que ce sera au bénéficie de l’humanité. Cela pose aussi la question suivante : avons-nous intérêt à ce que le progrès soit illimité e t incontrôlé ? Ce n’est plus si sût ; il nous faut une autre philosophie que cell, héritée des Lumières du XVIIIe siècle. Les donnés ne sont plus les mêmes.
Il y aurait tant d’autres choses à ajouter et qui se trouvent, sous une forme claire, dans ce beau livre qui m’a tant appris. J’ajoute, en qualité de philosophe, que les fais économiques sont toujours accompagnés d’une réfection puissante. Je me rends compte que toute analyse approfondie débouche nécessairement une réflexion de nature philosophique. C’est toujours le cas, ici.
Et n’oublions pas de lire l’émouvante postface du frère de l’auteur, Michel Cohen.