Daniel Cohen, l’économiste qui coulait changer le monde, Albin Michel, 2024
Daniel Cohen, l’économiste qui coulait changer le monde, Albin Michel, 2024
Dès que fut diffusée la triste nouvelle de la disparition du célèbre économiste français Daniel Cohen, les hommages du monde entier ont commencé à pleuvoir, arrachant un très grand nombre d’intellectuels et de savants à la torpeur estivale d’une journée d’août. On s’y y attendait un peu, hélas, depuis que le grand économiste avait été hospitalisé et confiné dans un espace stérile, un état qui durera cinq longs mois. Sa famille l’appelait chaque jour plusieurs fois et le soutenait de toutes ses forces. Ce grand savant avait contracté une maladie qui mit à bas l’ensemble de son système immunitaire, la moindre infection pouvait, dès lors, avoir une issue fatale.
Le travail de ce grand économiste dont quelques futurs Prix Nobel seront ses étudiants, n’est pas resté confiné à des cercles de spécialistes. Il était ouvert au vaste monde, au grand public et au bien-être général… En effet, l’économie n’est pas une simple discipline comme les autres car elle sert à nourrir les hommes. La première préoccupation de l’homme est de se nourrir, de ne pas mourir de faim, d’écarter de soi le spectre de la famine. Même la Bible le reconnait lorsqu’on y lit ceci : toute l’énergie de l’homme est destinée à sa bouche (kola mal ah-adam le-fihou). C’est-à-dire de se nourrir, faute de quoi on ne subsisterait pas. On a besoin de nourriture comme de l’air à respirer.
Cette condition est partagée par tous les hommes, par delà toutes les autres considérations concernant sa foi, la couleur de sa peau ou son lieu de naissance ou de résidence. Cela touche tout le monde, ce qui explique que tous les secteurs de l’activité intellectuelle ou simplement culturelle, se sont concernés par cette mort de Daniel Cohen, même au beau milieu du mois d’août. Tous les grands quotidiens, les hebdomadaires, les radios, les chaînes de télévision les agences de presse, n’ont pas tardé à réagir en ce triste jour d’été..
La président de la République et la première dame ont exprimé leur peine et rendu hommage à l’énorme d’exception, au remarquable savant formé à l’École Normale Supérieure et dans bien d’autres institutions de portée internationale. Je ne peux pas résumer dans ce bref compte rendu toutes les idées développées pour illustrer les mérites de ce grand homme, né dans une famille juive de Tunisie en 1953 et dont le parcours scolaire et universitaire fut un parcours de l’excellence . Sa passion pour l’économie a stupéfié le monde entier car il a su convaincre les candidats hésitants à opter pour les sciences économiques au lieu d’écrire une thèse sur l’histoire ou les lettres.
Quelques qualités de ce grand homme, d’abord son attachement à l’humanité de chacun, pas de tour d’ivoire où le savant se serait réfugié, refusant d’éclairer ses congénères. Est-ce que je me trompe si je dis que cet homme qui s’appelait Cohen portait deux noms d’origine biblique, est était doublement attaché à ses origines. On l’oublie souvent mais l’antisémitisme a empoisonné la vie de tant de hautes personnalités juives, particulièrement méritantes, les contraignant à se cacher, à dissimuler leurs origines pour passer inaperçus…
On peut faire le rapprochement entre notre grand Daniel Cohen et le Joseph biblique, fils du patriarche biblique Jacob. Comment un esclave hébreu, incarcéré en Égypte, l’Égypte pharaonique, a-t-il pu se hisser au rang, au poste de vice-roi ou de Premier ministre, chargé d’organiser une sorte d’économie de guerre. Ses efforts au service de sa patrie d’adoption furen couronnés de succès. Les paysans de la vallée du Nil lui crieront leur profonde gratitude en disant : Tu nous as sauvés, hé-héyitanou !. C’est en endiguant le fléau de la famine que ce fils de Jacob s’est fait un nom et occupe une place d’honneur dans l’histoire de l’humanité.
Il a opéré au niveau de la fraternité universelle, d’un humanisme sans faille ni frontière. Son œuvre lui survivra et continuera de marquer de son empreinte indélébile les nouvelles générations. Puissent-elles s’inspirer d’un sui haut exemple.
Le titre changer le monde comporte des relents messianiques, certes, sécularisé mais qui n’en est pas moins présent dans l’histoire et dans ce cas précis au sein d’une vie individuelle. Il y a là aussi quelque chose de prophétique. Un autre verset biblique me semble être ici à sa place on évoque le cas d’une entité qui n’a plus besoin de prouver quoi que ce soit, de faire ses preuves : Voyez, son salaire est avec lui et son œuvre le précède. C’est le cas de Daniel Cohen.
Changer le monde, le remettre sur la voie du progrès et de la solidarité entre les classes sociales pour que chacun puisse exploiter au mieux ses capacités. C’est une forme de tikkoun, comme le suggère le rabbin Ariel Messas dans sa belle méditation qui clôt ce volume d’hommage Ô combien mérité.