Cyrille Duvert, Le foulard et la balance. Une histoire juridique de l’islam en France
C’est à un sujet presque incontournable que s’attaque l’auteur de ce volume si nourri et si consistant. Il mine une réflexion approfondie sur les différents qui ont opposé les musulmans et la loi du pays ou le droit français ; et ce, sur des sujets comme le statut de la femme, la virginité au mariage, l’interdiction du blasphème et tout particulièrement le foulard dont les femmes musulmanes sont priées de se couvrir dans l’espace public afin de proclamer leur appartenance confessionnelle. Autant de points que le droit français ne peut pas reconnaître sans se renier.
Je n’entrerai pas dans tous les cas d’espèce référencée dans ce solide travail d’historien ou de sociologue mais je reconnais que l’auteur, en sa méthode et par son honnêteté ouvre sous nos pieds un abîme dans lequel je ne veux pas m’engouffrer.
Au cours de toutes ces pages écrites d’une plume ferme, l’auteur pose une question majeure dans ce débat qui met certains musulmans en délicatesse avec la loi du pays : l’identité musulmane ou islamique est elle compatible avec la culture européenne, notamment avec la laïcité, en ce qui concerne la France dont l’histoire politique et religieuse est inséparable de cette dualité entre le politique et le religieux ?
Le sous-titre de l’ouvrage montre que la relation est difficile et le chemin à parcourir semé d’embûches. En plusieurs décennies, la socio-culture française n’a toujours pas réussi à surmonter toutes ces oppositions. Ce qui me conduit à écrire cela, c’est la toute dernière phrase de ce livre que je cite : plus d’un siècle plus tard, il semble, alors, qu’une relation équilibrée entre les pouvoirs publics et l’islam soit encore à trouver…
Tout est dit en toute clarté et cette détermination à dire les choses telles qu’elle fut appelée à nommer un chat un chat, a hélas manqué à la plus haute juridiction administrative du pays, chaque fois qu’elle fut consultée sur cette question si disputée et si discutée.
Le Conseil d’État n’est pas le seul à blâmer ; les autorités politiques craignaient d’ouvrir la boite de Pandore et se retranchaient, sans le dire vraiment, derrière un discours vague et général, espérant que les juges administratifs allaient assumer un gros risque. J’en veux pour preuve l’esquive du Conseil d’État à l’occasion du collège de Creil en 1989. Si je me permettais de parler franchement, je dirais que les juges envoyaient aux autorités politiques le message suivant : débrouillez vous tout seuls, ce n’est pas notre problème…
Mais il ne faut pas instruire à charge exclusivement. Le problème est à cheval sur deux mondes, celui de la Raison face à la Révélation et ce face-à-face ne peut pas être arbitré par de harts juristes qui n’ont pas de formation philosophique suffisante et qui est parfois même inexistante… Un exemple, le président actuel de la République a suggéré à ses interlocuteurs musulmans de réécrire le Coran. Se pose donc la question de la prééminence : est-ce la loi religieuse qui passe avant ou la loi politique, civile ?
Quand on élargit le champ de cette controverse, on découvre qu’il y a une certaine légitimité à contester cette division forcée et arbitraire entre le spirituel et le politique, ou même le religieux. Mais voilà, c’est pour cette raison que les penseurs de l’Occident ont consacré une grande attention au contrat social permettant, comme le disait Renan dans un discours célèbre, de vivre ensemble avec nos différences…
Mais ces dernières étaient nature politique (un peu du côté d la religion en raison des protestants), mais les divergences se situaient au sein d’un cade bien précis : le christianisme. Et plus d’un siècle après la sagacité du grand philosophe-historien ne s’applique plus car la situation démographique a entièrement changé.
Peut-on faire un crochet par le cas du judaïsme, même si l’histoire de l’islam conquérant ne ressemble en rien à l’église juive qui n’ a jamais ambitionné de promouvoir un prosélytisme à l’échelle du monde… Dès les premiers siècles de l’ère chrétienne, un sage du talmud a émis un principe dont nos conseillers d’État pourraient s’inspirer : Dina de mlkhouta dina : la loi du royaume, c’est la loi… A condition, bien entendu, que ce royaume n’essaie pas d’user de la contrainte pour faciliter l’unification religieuse, païenne ou chrétienne. Mais on ne peut pas envisager l’islam de la même manière, lui qui a d’autres ressources qui tiennent à la démographie…
Certains, dans le domaine politique vont jusqu’à parler de grand remplacement, d’islamisation, de cinquième colonne, etc… Il convient de se méfier de ces jugements à l’emporte-pièce et de ces généralisations abusives, même si tout n’est pas faux. L’État doit avancer prudemment évitant les définitions essentialistes et tenant compte de la diversité de la population qui se reconnait dans cette dénomination relieuse.
Comment conclure ? L’auteur qui a étudié toutes ces manifestations séparatistes de prés, est pessimiste. Et il a raison, mais il faut dégager une perspective d’avenir, il faut peser sur les évènements. Nous devons favoriser par tous les moyens l’émergence d’une classe d’intellectuels reconnus à la fois par leurs coreligionnaires et par les autorités européennes. Cette classe d’esprits acquis à notre socio-culture, procédera à une relecture des textes canoniques et dégagera une place assignée à une sorte d’humanisme musulman.
Après tout, Ibn Rushd, l’Averroès des latins, a importé les Lumières de l’hellénisme tardif au sein de sa propre communauté religieuse. Mais, reconnaissons le, il ne fut guète suivi par les siens ; seuls les juifs et les chrétiens l’ont lu et commencé. Mais en dépit de cet état de faits, il faut essayer d faire e revivre ce siècle médiéval des Lumières. Même si, depuis peu, de grands historiens relativisent cet âge d’or qui serait alors unes une simple lubie de quelques historiographes.
C’est la seule voie du salut.