Crescendo
Il ne pouvait pas s’en empêcher. Eternel apprenti guitariste, curieux de tout, spécialiste de rien, terriblement sympathique, tout nouveau enthousiaste de la saga politique, son neveu ponctuait sa démonstration d’accords intermittents, sonores et trébuchants. Je vais t’expliquer tout ce qui est en train de se passer. Bing, bing….
Jonathan, disposé à lui passer tous ses emballements successifs, curieux lui aussi de voir le regard porté par un jeune étudiant sur la situation, se cala dans son fauteuil, bière fraîche à la main. D’un geste large, il invitât la démonstration.
Tout a commencé par un grand coup de cymbales. Bing, bing. Tout frais intronisé à la tête de la justice du pays, un encore obscur avocat visiblement téléguidé sortit de son carquois un programme surprise. Reprise en main des principes et des pratiques de la justice elle-même, remise en cause de l’équilibre existant entre les trois pouvoirs, exécutif, législatif et juridique, annonce subliminale d’une prééminence à venir de l’exécutif. Recouvrant en fond musical a minima, l’enterrement indolore des déboires judiciaires du Deus ex machina, à l’origine de ce nouveau monde en gestation. Bing. Orchestration millimétrée. Alors que résonnaient encore aux oreilles mal préparées de l’opposition, les fameux « gauchistes », les premières notes de cette entame politique, la troupe de soldats parlementaires, dument encadrée et stimulée, légiférait en tempo furioso un concert de mesures, décisions, lois idoines. Sans que la contre-musique que tentait de faire entendre cette opposition politique ne parvienne à ralentir le rythme, soutenu, implacable, de l’attaque menée à la baguette par le maestro. Appuyée par une partition religieuse totalement libérée. Alimentée par la musique américaine, suprémaciste et évangéliste.
Deux accords de guitare intimèrent à Jonathan de renforcer son attention.
Survint alors le contrecoup d’une entrée en fanfare un peu trop impériale. Le public national, jusque-là vaguement atone, satisfait du bruit ambiant dans la société, se prit à s’intéresser à cette nouvelle tonalité. Un intérêt qui, peu à peu, puis plus rapidement, puis plus fortement, se transforma en refus. Un refus civilisé, plutôt bon enfant. Mais qui, face à l’obstination dans la poursuite de mise en œuvre du programme politico-juridique, face à l’ignorance des problèmes sociétaux majeurs, face à l’incompétence flagrante, pour ne pas dire déflagrante, d’un assemblage hétéroclite de responsables ministériels, devint lui également, plus obstiné, plus radical, plus généralisé. Bing, bing.
Se mit alors en place, du côté du pouvoir en place, non plus le train d’un discours définitif, autoritaire, déterminé, mais une alternance de réponses politiques à la réponse grand public. Jeu en contrepoint par mise en sourdine de l’avancement au pas de charge du programme de transformation du régime institutionnel. Par des déclarations apaisantes d’un chef redevenu apparemment raisonnable. Par l’interruption statutaire bienvenue de l’activité législative. Et en même temps, affirmation de la volonté réformatrice, cris, gesticulations des extrémistes religieux et idéologiques, soutien de la violence raciste dans la « Judée Samarie » revendiquée.
Bing. Une simili trêve qui, en fait, ne trompa personne. Coudre de fils blancs un processus ne le transforme pas en drapeau blanc. Les « manifestants » du samedi soir, devenus millions, échaudés par les fausses mines, les coups de chaud et froid, de plus en plus conscient de l’enjeu, toujours ludiques sur la forme, durcirent leur revendication sur le fond. Le mouvement du « Printemps » israélien, devenu estival, s’étendit à toutes les activités du pays. L’armée par ses réservistes, la Sécurité, la finance, l’éducation, la santé. Un bras de fer qui fit craquer la coalition au pouvoir, mais ne la fit pas rompre. La poussant même, à l’occasion de l’examen spectaculaire par la Cour suprême, son ennemi numéro un, des recours contre l’abolition de la clause d’irresponsabilité, à dévoiler l’ambition finale de gouvernement. Le grand remplacement ! Abolir l’Israël historique, Israël des origines, démocratique, laïc, social, pour lui substituer un Israël théocratique, nationaliste, libéral, agrandi, ethniquement homogène.
Bing, bing, bing !! La guitare sonna. Nous y voilà, cher tonton ! Crescendo ! Plus c’est gros, plus ça passe. L’orchestration se lâche. Le roi qui veut garder son trône plutôt que de se languir entre quatre murs, va jusqu’à traiter de traîtrise l’opposition. La femme de ménage du gouvernement éructe des menaces de rétorsions. Le diplomate chef ose quelque chose comme la cinquième colonne. Les idéologues, droits dans leurs bottes Kohelet, les leaders religieux appuyés par des masses masculines en noir, robotisées, exigent l’offensive.
Ton crescendo, c’est le choix de la guerre ? interrogea Jonathan, histoire de voir.
Confirmation. La guerre interne, on y est presque. Tout y concoure. Les religieux, pour garder un pouvoir inespéré. Les idéologues pour mener au bout leur mission soldatesque. Le grand manipulateur pour éviter le déboulonnage de sa statue. Les opposants par fidélité à l’histoire et à leurs valeurs. En espérant que les forces externes à l’œuvre pour le démocratie et la paix ; participent à l’évolution de la situation, et que les forces externes ennemies ne profitent pas de la position actuelle de faiblesse du pays. En espérant aussi que la règle du CPC finira par s’appliquer au pouvoir en place.
Bien alors, je te pose la question que tu veux que je te pose. Ta CPC, kesako ?
Le Coup de Pied au Cul, tonton.
Bing, Bing Bing !