Convergences musulmanes et juives

Stocklib
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  1. « Il est Allâh vivant »

הוּא אֱלָהָא חַיָּא

Daniel 6,27

Dans le livre de Daniel, Dieu se dit en hébreu « Allâh ». Il s’agit en effet d’araméen écrit en hébreu (70 % du lexique de l’araméen est le même qu’en hébreu). Entre Musulmans et Juifs, au-delà des différences religieuses subsiste une grande proximité spirituelle perceptible dès que l’on rapproche l’arabe et l’hébreu (les deux langues provenant de l’araméen). Ces deux langues sémitiques révèlent l’unique origine de l’islam et du judaïsme et leurs convergences vers une spiritualité universelle qui pourrait déborder les deux religions monothéistes.

Abdennour Bidar, dans son dernier livre « Les cinq piliers de l’islam et leur sens initiatique » (paru en mars 2023 chez Albin Michel) met en relief l’aspect spirituel (initiatique) universel de l’islam, le rapprochant ainsi non seulement du judaïsme mais aussi des traditions religieuses non monothéistes. Il dénonce dans l’islam majoritaire une forme de dérive polythéiste à travers la figure idolâtrée du Prophète et tente d’esquisser des pistes de rectification.

Il cherche à montrer le sens profond de l’islam et son but similaire au judaïsme, l’unité du Nom divin. Cette unification dépend de notre propre unification, à la fois individuelle et collective : rassembler l’humanité dans une fraternité non pas religieuse mais spirituelle. Nous sommes -consciemment ou inconsciemment- à la recherche d’un langage spirituel commun et cette quête passe par l’apprentissage de tous les langages spirituels.

Imprégné de soufisme, Abdennour Bidar n’est pas insensible à l’influence extrême-orientale des spiritualités asiatiques dans l’islam, notamment en provenance de l’Inde. Pour le philosophe de la laïcité et de l’islam, Allâh se reflète dans le Musulman et prie avec lui. On pourrait aller jusqu’à dire que le Musulman accompli est habité par le Divin au point de pouvoir être qualifié de divin.

Cela évoque l’expression « namasté » de l’Inde (« je salue le Divin qui est en toi »). Sur ce point le judaïsme sera plus réservé tandis que le christianisme sera très à l’aise : le fidèle catholique entend à chaque liturgie eucharistique « puissions-nous être la divinité de celui qui a pris notre humanité ».

Quelques extraits du livre « Les cinq piliers de l’islam et leur sens initiatique » :

« Nous disposons déjà, en langue française, de nombreux manuels de base qui présentent les cinq piliers de l’islam de façon simple et accessible. Mais ils ne proposent pas l’approfondissement de sens qu’attendent bien des musulmans exigeants, en quête d’autre chose que d’une description plate des piliers et de leurs règles, et de sempiternels discours religieux sur les bienfaits de la piété, sur la récompense du Paradis et la menace de l’Enfer, sur les « hassanat », ces bons points qu’on gagne en récompense de l’obéissance à Allâh (…) C’est pourquoi je vais essayer ici d’aller un peu plus loin, en explorant la dimension symbolique des cinq piliers de l’islam (arkân al islâm), c’est-à-dire leurs significations plus profondes que le sens religieux ordinaire ou littéral, et en explorant aussi leur dimension initiatique, c’est-à-dire leur puissance d’éveil de notre regard à la réalité d’Allâh. A la Réalité d’Allâh devrais-je dire, parce que ce Nom Allâh en islam désigne ce que le mot « Dieu » ne dit pas assez explicitement : la Réalité Une et Infinie. » (page 7)

« Pour moi la liberté personnelle est la maître mot de la vie spirituelle. « Pas de contrainte en religion (La ikrâna fî ddîn) » dit le Coran. Un verset toujours cité, et si souvent trahi pourtant ! Nul ne doit être contraint à pratiquer les cinq piliers de l’islam, ni aucune prescription religieuse. J’ai beaucoup insisté, dans mes livres précédents, sur ce principe de liberté dans la religion1, parce qu’au mépris du verset coranique que je viens de citer, il n’est pas toujours reconnu en islam. » (page 10)

« L’heure est venue pour l’islam de mourir comme loi extérieure pour renaître comme autonomie spirituelle. (…) Le monde humain est entré depuis deux ou trois siècles dans l’ère de la liberté personnelle de conscience et d’expression, qui s’est déjà manifestée sur le plan politique par l’avènement de la démocratie. Or cette démocratie politique restera une chimère, un leurre, aussi longtemps qu’elle ne s’accomplira pas en démocratie spirituelle. » (page 61)

« Où donc est la Mecque ? Il est insuffisant de la situer dans tel ou tel pays ou telle direction de l’espace, car son lieu réel n’est pas un emplacement géographique. C’est un lieu intérieur, un acte intérieur qui est regard et vision. » (page 70)

« La métaphysique de l’islam trouve dans la devise Liberté, Égalité, Fraternité sa plus parfaite expression politique. » (page 79)

« J’appelle ainsi les musulmanes et les musulmans qui souhaitent s’adonner à la prière à s’en emparer maintenant différente de l’ordinaire, comme cet exercice spirituel d’union à Allâh et non plus seulement comme acte de dévotion. » (page 97)

A propos du jeûne : « Une abstinence de l’inessentiel, et une cure d’Essentiel. » (page 147) « Le jeûne est exercice de fixation de l’esprit. Immense effort de rassemblement de soi dans une seule direction » (page 153)

« Quel écosystème de vie va-t-on créer ensemble pour que chacune et chacun puisse y approfondir sa visée de la Réalité, que ce soit par l’islam ou par tout autre voir spirituelle ? » (page 154)

« Le véritable monothéisme, en effet, n’est pas la croyance en un Dieu unique, c’est la focalisation insatiable de son être entier vers, puis dans la Vision de la Réalité d’Allâh. » (page 160)

Au regard de cette proximité entre les conceptions du Divin musulmane et juive on peut se demander pourquoi les deux religions s’entendent si mal. L’ignorance réciproque y est pour beaucoup. Comment y remédier ?

Note:

1. Abdennour Bidar, Un islam pour notre temps, Seuil, 2004 ; Self islam, Histoire d’un islam personnel, Seuil 2006 ; L’islam sans soumission. Pour un existentialisme musulman, Albin Michel 2008 ; Lettre ouverte au monde musulman, Les liens qui libèrent, 2015

à propos de l'auteur
Passionné de judaïsme et d'Israël, Pierre Orsey est né en 1971 et habite près d’Avignon.
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