Contre la menace russe, Berlin, fer de lance de la défense européenne

La ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock fait une déclaration aux médias avant le début d'une rencontre du Conseil des ministres des Affaires étrangères européens à Bruxelles, le 27 mai 2024. (Crédit : François Walschaerts/AFP)
La ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock fait une déclaration aux médias avant le début d'une rencontre du Conseil des ministres des Affaires étrangères européens à Bruxelles, le 27 mai 2024. (Crédit : François Walschaerts/AFP)

Réapparition du risque nucléaire

Les protestations se font de plus en plus nombreuses et pressantes contre le stationnement en Allemagne de missiles Américains de moyenne portée, susceptibles d’être équipés d’ogives nucléaires.

Malgré les nombreuses difficultés auxquelles il est confronté, tant au plan intérieur qu’extérieur, le gouvernement fédéral a conclu un accord avec les États Unis – en vue du stationnement permanent d’ici 2026 – de missiles de croisière Tomahawk qui peuvent atteindre St Petersbourg et Moscou, de missiles guidés SM-6, et de missiles hypersoniques Dark eagle qui peuvent aussi atteindre ces grandes villes, mais au vu de ses performances, qui semblent imparables et capables de détruire les centres de radar du système nucléaire. Ce qui modifierait substantiellement l’équilibre précaire actuel.

Sa mise en œuvre à terme pourrait permettre à l’Allemagne de redonner à l’Ukraine un avantage opérationnel, qui lui fait cruellement défaut depuis des mois (oui, mais quand ?). L’échec de l’offensive de printemps, longtemps annoncée comme décisive, n’a jamais eu lieu en raison de prévisions beaucoup trop optimistes.

L’UE en parallèle avec l’OTAN a voté un crédit de 50 milliards d’euros prévu « en vue de la reconstruction de l’Ukraine ». Plus d’un milliard d’intérêts, dus à la Russie au titre de ses placements en Europe, ont déjà été reversés à Kiev. Sans préjuger de la suite, on peut être surpris qu’on en soit déjà à la reconstruction, alors qu’on est en pleine destruction des infrastructures énergétiques jour après jour, à peine 4 mois avant l’hiver et l’élection américaine.

L’Allemagne et l’UE à la recherche de nouveau alliés

Depuis sa décision historique de se remilitariser, cet accord vient consacrer la position en flèche de l’Allemagne qui veut être le leader de la défense européenne  évoquée depuis 1952 : la CED (Communauté Européenne de Défense).

Cette nouvelle donne tendra encore plus les relations entre les deux partenaires du couple historique franco-allemand. D’autant que Paris est tourmentée par des vents contraires qui la neutralisent.

C’est également la confirmation de l’intégration et de l’ancrage au sein de l’OTAN des armes nucléaires déjà en place au titre du parapluie américain, en Italie, aux Pays Bas, en Allemagne, en Belgique et en Turquie. On parle de 180 bombes nucléaires. Contrairement à l’argument de la France d’être la seule, au sein de l’UE, à disposer de la dissuasion nucléaire, il s’agit plutôt du déploiement de la dissuasion nucléaire, autour de la Russie, avec l’Allemagne en tête de pont. Le gouvernement fédéral a justifié sa décision en constatant que la Russie n’avait pas renouvelé le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire avec les États Unis. Ce qui est inexact, si on retrace l’historique de ce dossier. Ce sont les Américains qui, les premiers, ont différé leur accord, pendant qu’ils concluaient de très larges contrats, précisément pour le développement de ces armes.

La Russie observe

Si Moscou estime que ce changement à venir dans le rapport des forces est de nature à lui faire perdre ses avantages actuels sur le terrain, elle peut vouloir anticiper cette hypothèse et lancer des opérations préventives, même avec des opérations nucléaires, contre ce changement éventuel.

Les protestations se font d’autant plus vives en Allemagne, que ce risque nucléaire est mis en avant par un des membres du SPD de la coalition. Ce dernier s’étonne également qu’il faille ajouter des missiles aux ogives déjà présentes, et d’en faire porter la responsabilité à la seule Allemagne. La ministre des Affaires étrangères Mme Baerbock déclarait récemment « nous devons nous protéger nous-mêmes et nos partenaires baltes, notamment par une dissuasion renforcée et des armes de sécurité supplémentaires », car Berlin se considère désormais comme responsable de la sécurité des trois états baltes ; et pour faire taire toutes les critiques, la ministre précise : « toute autre chose serait non seulement irresponsable, mais aussi naïf, face aux critiques d’un Kremlin glacial et calculateur ». Elle (ex Les Verts, et pacifiste) n’a pas élaboré ce qu’elle entend par irresponsable versus ce qui serait responsable. Le pacifisme antérieur des Verts n’est plus de mise. De plus, le parti d’extrême droite AFD ne se prive pas de lancer régulièrement des fakes news pour désinformer le public, et maintenir la pression en politique intérieure en insistant sur les choix risqués du gouvernement pour la population

Le retour de la Grande-Bretagne sur la scène européenne

Pour réduire sa dépendance et celle de l’Europe envers Washington, l’Allemagne veut élargir sa coopération avec Londres, en matière de production d’armes à moyenne portée. Une déclaration commune vient d’être signée dans ce sens par le ministre allemand B. Pistorius et son homologue anglais J. Healey. Les deux gouvernements souhaitent collaborer étroitement dans le développement et l’achat de matériels militaires. Ce qui inclut précisément aussi les armes de moyenne portée qui peuvent atteindre Moscou depuis l’Allemagne.

Des projets de coopération à long terme étaient en cours (2014), mais furent stoppés net par le Brexit. La guerre en Ukraine a changé la situation, et les deux pays ont relancé leur coopération, dont la France semble absente. Le conseil Européen des relations étrangères a même été jusqu’à déclarer qu’avec le Brexit, l’Union avait perdu sa coopération « avec les forces armées les plus compétentes d’Europe, les Britanniques » Ce qui a dû faire plaisir à la France, qui n’en demandait pas tant. L’UE semble très désireuse de développer cette coopération en vue d’atteindre la souveraineté stratégique. C’est le grand retour de Londres dans le concert européen, par ailleurs empêtré dans des problèmes de gouvernance après les dernières élections.

Les deux parties veulent intensifier cette collaboration relancée par la guerre en Ukraine, où le Royaume-Uni joue déjà un rôle important, tant dans la formation des troupes que des fournitures d’armes. Il est, entre autres, question de développer un nouveau canon d’artillerie télécommandé qui sera monté sur un char à roues (Boxer) nouvelle génération. La Grande-Bretagne participe aussi à la production d’un missile européen à moyenne portée balistique, de croisière ou hypersonique, initié par l’Allemagne, avec la France, l’Italie et la Pologne.

Les rivalités constantes entre la France et l’Allemagne ont sérieusement compromis la réalisation du futur avion de combat européen, la Grande-Bretagne ayant été obligée de se retirer du projet en 2018, Brexit oblige. Sa sortie est maintenant envisagée en 2045, beaucoup trop loin au gout des Allemands qui ont passé commande aux États-Unis, alors que Paris pensait vendre des Rafales.

La Grande-Bretagne développe avec l’Italie et le Japon, son propre avion de combat sixième génération, le Tempest, sortie prévue en 2035, dix ans avant le projet franco-allemand.

Les quatre prochains mois décisifs

Le président Ukrainien fait tout ce qu’il peut pour pousser à une confrontation entre la Russie et l’OTAN, ce qui a déterminé la République Fédérale à développer ses moyens offensifs, si la situation dégénère. En Ukraine, des divergences apparaissent entre le président qui joue sa survie politique, le chef d’état major, et le maire de Kiev (qui se verrait bien remplacer le président), lesquels envisageraient en effet une solution négociée qui arrêterait l’effusion de sang et la destruction du pays, où ce qui s’appelait le grignotage du territoire prends des proportions plus grandes que prévues.

Le retrait de J. Biden n’est pas sans poser de nouveaux problèmes. On connaît la position de D. Trump qui s’est déjà montré plus que réticent à poursuivre le conflit. De même qu’il voudra que l’UE augmente substantiellement son budget militaire. Kamala Harris, elle, semble être de « tendance Obama ». Elle ne voudra pas s’engager plus, mais sans doute se replier, et laisser les Européens face à la Russie.

Comme on l’a vu en France, il peut encore se passer beaucoup de choses : un cessez-le-feu à Gaza ou pas, le retour des otages ; en Israël le gouvernement actuel pourrait tomber, avec de nouvelles élections à la clé ; une France sans gouvernement mais avec une procédure ouverte par l’UE pour déficit excessif, et un budget incertain à présenter en septembre ; une décision de Biden de se retirer avant l’élection, car il lui reste à tenir jusqu’en janvier ; une bavure dans les échanges de feu entre la Russie et l’Ukraine, impliquant l’OTAN, qui provoquerait une réaction du Kremlin ; l’Ukraine qui s’interroge sur l’abandon éventuel de territoires à la Russie contre la fin de la guerre ; l’élimination de dirigeants terroristes… Bref l’incertitude à tous les étages. Ainsi va le monde !

à propos de l'auteur
Ancien cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles, depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine.
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