Comment sauver le soldat de Kiev

Un procureur chargé des crimes de guerre inspecte le site d'une attaque nocturne de drone russe sur l'infrastructure proche du port d'Izmail, en Ukraine, le 7 septembre 2023. (Crédit : Bureau de presse du procureur ukrainien via AP)
Un procureur chargé des crimes de guerre inspecte le site d'une attaque nocturne de drone russe sur l'infrastructure proche du port d'Izmail, en Ukraine, le 7 septembre 2023. (Crédit : Bureau de presse du procureur ukrainien via AP)

L’Ukraine est au bord de l’effondrement. Le compte à rebours est engagé.

Coup de rétroviseur depuis février 2022

Contrairement à toutes les déclarations du type « fleur au fusil » d’il y a deux ans, Kiev est très loin de pouvoir battre la Russie.

Tous les éléments connus radicalisent les options. Il n’y a pas de victoire prochaine en vue, mais d’évidence, la poursuite du conflit, au mieux. Pour ceux qui l’auraient oublié, depuis 2015, le conflit d’abord localisé dans la région du Donbass a fait plus de 15.000 victimes et des milliers de déplacés et de blessés, qu’on a tendance à oublier. Depuis, il faut y ajouter des dizaines de milliers de victimes en Ukraine et quatre fois plus de blessés, de mutilés, d’estropiés. Les experts militaires estiment que pour un mort, il y a quatre blessés.

Vu de Kiev

Kiev est soulagé par la décision américaine de lui allouer, enfin, près de 61 milliards de dollars d’aide, dont l’essentiel restera aux États Unis, en vue du renouvellement des stocks de munitions et de la livraison de nouvelles armes, dont des missiles à plus longue portée (300 Kms). Moscou accélère sa campagne estivale pour profiter du temps qui lui reste avant la mise en place des nouveaux moyens destinés à redynamiser l’armée ukrainienne.

L’union Européenne cherche encore ce qu’elle peut faire au plan militaire, sauf à fournir des équipements limités en nombre, ici une batterie Patriot antiaérienne fournie par l’Allemagne, là quelques canons César mais avec peu ou pas de munitions correspondantes, des transports de troupes que n’utilise plus l’armée française. L’Allemagne hésite toujours à fournir ses missiles Taurus à longue portée, craignant son implication directe.

Les États Unis livreront des munitions pour le système Patriot mais excluent de fournir d’autres batteries. A court terme, cette décision et les aides cumulées avec celles de l’UE permettront, un ralentissement du grignotage, par les forces russes, des positions ukrainiennes sur une ligne de front de plus de 1.000 kms et qui s’échelonne sur près de 30 kilomètres de profondeur, avec parfois jusqu’à cinq lignes de défense.

Information & désinformation

Les médias et nos dirigeants occidentaux mentionnent régulièrement les pertes subies par la Russie, les morts, les blessés, les cibles visées. En revanche, là où les informations sont disponibles, on ne lit, ni ne voit quasiment rien sur l’état des lieux côté ukrainien. Ces indices confirment implicitement la gravité de la situation. Les hauts responsables de Kiev ne sont pas avares de déclarations alarmantes. Certes, on doit faire la part de la propagande et de la désinformation. Mais sans changement majeur dans la conduite des opérations, Kiev court à un échec annoncé.

A mesure que les munitions arriveront en quantités, surtout les obus qui font tant défaut, les Russes s’abstiendront de concentrer des troupes et des chars à une portée de mortier. De plus la fourniture accrue d’intercepteurs de drones et de missiles devrait provoquer une pause à la maîtrise des airs par Moscou sans la donner à Kiev pour autant.

Toutefois, l’issue à plus long terme reste incertaine, sauf si l’Otan – par Européens interposés – s’engage dans le conflit. Alors tout peut arriver. A la suite de divers incidents côté russe, on en a trop vite conclu qu’il s’agissait de succès stratégiques de Kiev. L’occident a vite fait d’adopter cette théorie, parce qu’on veut y croire. C’est sans doute une erreur.

La Russie a beaucoup appris en deux ans. Les Européens n’ont pas tenu leurs promesses antérieures faute de disposer eux-mêmes de stocks suffisants pour leurs propres besoins. Ce problème n’est pas encore résolu. En réalité, il faudrait plus que doubler les productions existantes, pour satisfaire simultanément les besoins ukrainiens et respecter la mise en stock dans l’UE qui n’anticipait pas une guerre d’usure, première erreur. Son corollaire a été la sous-évaluation des réserves en munitions, car aucun des pays européens, France comprise, n’est préparé à une telle guerre d’usure, seconde erreur.

Ce qu’on évite de dire à propos des livraisons d‘armes occidentales

Les officiers ukrainiens, d’après le portail Springer, considèrent que l’efficacité des matériels fournis laisse parfois à désirer, contrairement aux commentaires trop élogieux des médias occidentaux.

Les missiles de croisière Storm Shadow et Scalp anglais ont été utilisés avec succès, mais pendant une période limitée. En effet, les Russes après analyse ont trouvé le moyen de les neutraliser. Ils ont aussi développé un système de brouillage qui neutralise 50% des drones ukrainiens. Sur la vingtaine de chars américains, cinq sont déjà hors d’usage et ne semblent pas aussi performant qu’annoncé.

Ce qui se dit côté Union Européenne

Le ministre italien des affaires étrangères a déclaré : « S’il n’est pas possible d’empêcher la défaite ukrainienne, alors aucun accord de paix avantageux ne pourra être conclu. L’objectif est de faire sortir la Russie d’Ukraine ».

Le ministre britannique David Cameron déclarait de son côté : « la meilleure chose que nous puissions faire cette année, est de maintenir les Ukrainiens dans ce combat ». On voit bien que les options se réduisent à mesure que le conflit perdure.

Pendant ce temps, la ministre allemande suggère de recenser tous les systèmes Patriot dans le monde et d’en transférer à l’Ukraine, alors que la Russie détruit systématiquement toutes les centrales fournissant de l’Energie, six mois avant le début de l’hiver. Ce qui place le pays devant un choix redoutable, donner la priorité à l’armée, ce qui se traduira par des souffrances supplémentaires pour le peuple ou la donner au peuple. Ce serait mettre l’armée en difficulté.

La saisie des avoirs russes sera-t-elle l’arme fatale

L’argent est-il le seul nerf de la guerre ? Pas sûr.

Faute de trouver une solution probante pour abattre la Russie, les Américains et les Européens considèrent la possibilité de saisir les avoirs russes gelés aux États Unis et ailleurs, notamment en Europe par Euroclear en Belgique (210 Milliards), leur montant estimé oscille entre 280 et plus de 300 milliards d’Euros. Les États Unis (5 milliards)sont les seuls au monde à pouvoir pratiquer l’exterritorialité judiciaire des transactions en Dollar US, s’il y a une raison juridique purement américaine. Comme motif suffisant, on avance l’invasion russe. Il faudrait sans doute aussi une décision du Conseil de sécurité. Ce qui parait impossible. L’objectif serait de faire bénéficier l’Ukraine de ce pactole. Pour mettre ces montants en perspective, on sait que la Russie a un budget militaire de l’ordre de cent milliards par an soit 6% de son budget, l’Europe en est encore très loin.

Les obstacles juridiques

Plusieurs thèses s’affrontent. Les partisans d’une saisie pure et dure des dépôts avancent qu’il ne s’agirait ni plus moins que de « contre-mesures » sauf que le droit international en la matière précisant que « des contre-mesures » et donc des recours devant les juridictions internationales s’entendent lorsque les états dépositaires des fonds sont directement impliqués. En clair, s’ils sont attaqués. Or aucun des pays qui soutiennent l’Ukraine n’est attaqué. Au-delà, une telle démarche constituerait un événement sans précédent avec toutes les conséquences qui pourraient en découler. On a bien vu qu’après la multiplication des sanctions, la Russie est toujours debout. On est très loin de la « mettre à genoux ».

Les prochaines échéances

En même temps, le ralentissement de l’économie en Europe souligne à quel point nos finances sont précaires et notre endettement croissant. Alors la vraie question dont on ne fera pas l’économie : l’Union Européenne, la France ont elles basculé dans une économie de guerre ou sommes-nous en passe d’y entrer, sans le dire ? La question est posée et nos dirigeants devront y répondre très clairement après l’élection européenne du 9 juin qui ne fera que précéder de trois mois l’élection américaine.

à propos de l'auteur
Ancien cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles, depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine.
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