Comment j’utilise une série TV saoudienne pour donner aux Juifs un visage humain

Capture d'écran de la série tv « Umm Haroun »
Capture d'écran de la série tv « Umm Haroun »
La série « Umm Haroun » est pleine de stéréotypes antisémites, mais elle représente pourtant un pas de géant – et un outil d’enseignement utile.

Quelques heures après la déclaration de l’indépendance israélienne à Tel Aviv, des tirs se font entendre dans un village du Golfe persique. Les habitants de la ville, musulmans, chrétiens et Juifs, se précipitent vers la scène du crime pour y découvrir un homme gisant sur le sol, mort. Son talith à bandes noires est jeté sur sa tête. La caméra zoome pour capturer le collier arborant une étoile de David autour de son cou. Générique.

La dernière scène du premier épisode d’Umm Haroun, la nouvelle série du Ramadan controversée, est un récit à suspens rare sur les écrans arabes. La série évoque une femme âgée, une Juive, tentant de traverser les perturbations sociales dans sa communauté fragile qui ont été entraînées par l’irruption du conflit israélo-palestinien.

Le Ramadan est une période, dans le calendrier arabe, où de nouvelles productions télévisuelles sont révélatrices de l’air du temps, que ce soit aux niveaux politique et social. Production saoudienne présentant des acteurs koweïtiens dans un premier rôle et filmée aux Emirats arabes unis, Umm Haroun est une série largement considérée comme reflétant le récent rapprochement entre l’Etat juif et les Etats arabes du Golfe, et en particulier l’Arabie saoudite.

Même si elle est mal jouée et que les stéréotypes antisémites sont nombreux (« Je voudrais que tu sois aussi radin de paroles que tu l’es de ton argent », dit, en colère, l’épouse du rabbin à son mari), Umm Haroun va plus loin que n’importe quel drame arabe pour refléter les dilemmes réels qui se sont posés aux Juifs du Moyen-Orient, pris en tenaille dans le combat entre le sionisme et la cause arabe. Quand surviennent les tirs meurtriers à la fin de l’épisode 1, le rabbin de la communauté et ses fidèles s’engagent dans un débat animé sur ma manière de répondre à la naissance d’Israël. « Qu’est-ce qui ne va pas ? Pourquoi n’êtes-vous pas heureux ? », demande Ezra, l’un des fidèles, aux membres de sa communauté. « Enfin, une terre bien à nous après de si nombreuses années d’exil ! »

« Mais ils vont nous expulser après ce plan de partition ! », répond un autre.

« Nous n’avons aucune autre terre que celle-ci », dit le rabbin, Daoud. « C’est là où nous sommes nés, c’est là où nous avons grandi ! »

Ma fascination pour la question délicate des relations délicates entre Juifs et Arabes est liée à un projet en ligne que j’ai initié il y a presque trois ans maintenant. Appelé « les Peuples du Livre« , je m’efforce, à travers cette initiative, d’éduquer les publics arabes sur les pratiques et l’histoire des Juifs en utilisant de courtes vidéos, animées et filmées, et disséminées sur les réseaux sociaux.

Et pour des visées éducatives, Umm Haroun est un trésor. Dans les trois premiers épisodes seulement, les spectateurs découvrent le rituel juif du baiser donné à la mezuzah, celui du Shabbat, du port du talith, des vêtements déchirés en signe de deuil. Avec des communautés juives qui se sont dorénavant éteintes dans pratiquement tout le monde arabe, ces coutumes paraissent étranges, mystérieuses ; les téléspectateurs curieux n’ont pas de voisin juif vers lequel se tourner pour en apprendre davantage. Et pour eux, j’ai récemment diffusé une courte vidéo expliquant les éléments juifs présentés dans la série tout en évitant les éléments politiques sensibles.

Les réactions à la série, sur mes pages YouTube et Facebook, ont été passionnantes. Certains ont accusé la série de blanchir l’occupation israélienne en se focalisant sur les maltraitances imposées aux Juifs dans leurs pays d’origine.

« Pourquoi n’y a-t-il aucune série en Israël qui s’intéresse à la religion islamique ? », s’interroge un commentateur. « Ils nous attaquent en permanence et ils dépeignent l’Islam comme une religion terroriste, et nous, on rend hommage aux Juifs et on fait une série sur leur histoire ».

« Nous n’avons aucun problème à coexister avec les Juifs, avec lesquels nous sommes unis à travers notre père Abraham », écrit un autre. « Mais les occupants sionistes sont arrivés au-delà des mers et ils ont occupé la Palestine, tuant et expulsant ses habitants ».

Un certain nombre de téléspectateurs ont indiqué avoir découvert pour la première fois des pratiques juives inconnues. « Le lieu de culte Juif s’appelle-t-il le ma’bad ou le midrash?” demande un téléspectateur, se référant à deux différents mots utilisés dans la série pour évoquer les institutions juives. « Et qu’est-ce que c’est que ce morceau de bois qu’embrasse le rabbin quand il entre dans la maison ? Ça existe vraiment ? Comment appelle-t-on cela ?

Mais la série permet également d’exprimer des tensions intra-arabes : ainsi, des Irakiens ont pu accuser le Koweït d’appropriation culturelle, clamant qu’il n’y avait jamais eu une communauté juive significative dans le minuscule Etat du Golfe. L’arrière-plan historique dans la réalité, ont-ils clamé, se situait à Basra, une ville du sud de l’Irak, où vivait une Juive célèbre qui s’appelait Um Shaul. Une autre version évoque une Juive du Bahrein nommée Um John.

« Les familles juives irakiennes étaient grandement maltraitées », écrit une téléspectatrice. « Elles avaient été forcées à quitter l’Irak et tout ce qui leur appartenait avait été confisqué par le gouvernement. C’est une injustice et Dieu ne tolère pas les injustices envers ses serviteurs, indépendamment de leur affiliation religieuse. »

Umm Haroun pourrait ne jamais être diffusé sur les écrans de télévision en Occident. Ses Juifs sont trop stéréotypés, ses dialogues trop forcés, trop didactiques. Mais pour tous ceux qui aspirent à réduire l’écart qui séparent les Juifs et les Arabes, même de tous petits pas sont les bienvenus.

à propos de l'auteur
Elhanan Miller est journaliste et chercheur spécialisé dans le monde arabe. Son initiative en ligne People of the Book vise à rapprocher Juifs et Musulmans à travers des vidéos virales partagées sur les réseaux sociaux.
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